avec une sincérité si grande les traits de Napoléon, lors de son séjour à Berlin. Sous sa forme un peu sèche et rigide, dans son expression de fixité quasi hiératique, cette effigie, dégagée de toute interprétation fantaisiste, rend très fidèlement la physionomie du vainqueur d'Austerlitz, d'Iéna, d'Eylau, de Friedland, du négociateur de Tilsit. C'est une sorte de document photographique, où l'on perçoit, sinon « le mystérieux reflet des pensées de l'âme » que tant d'interprètes ont vainement tenté d'exprimer, du moins l'exacte anatomie extérieure de la tête, la vérité des traits et l'attitude si caractéristique des épaules. On trouvera aussi dans cet ouvrage la reproduction d'une estampe allemande (voir page 165), où Napoléon est représenté en buste, de profil, coiffé du petit chapeau, vêtu de l'habit de chasseur de la garde, et qui reproduit assez fidèlement les traits du portrait de Dahling, sur lequel ont été copiées d'ailleurs de 1806 à 1815, la plupart des représentations de Napoléon, y compris celle de notre vieux Debu court, qui certes ajoute moins de prestige à son nom que la Promenade au Palais-Royal et le Menuet de la Mariée. Sans doute, dans cette image, qui ne rappelle que bien vaguement les anguleux portraits d'Appiani et les profils aigus de Boizot, la face s'est déjà élargie, les joues se sont empâtées, mais l'énergique dessin des traits se lit encore très facilement. Cette précoce et presque subite obésité, dont l'Empereur devait souffrir dès les approches de la quarantaine, se devine déjà, non seulement dans les innombrables estampes publiées à l'étranger pendant les campagnes de 1805, de 1806 et de 1807, par des artistes d'ordinaire assez inhabiles, mais il y en a même trace dans des portraits officiels : « tel celui où Isabey représente l'Empereur en pied, en costume de cour; mais le peintre est assez courtisan pour ne retenir de cet épaississement que la noblesse et la gravité qu'il apporte1». Il serait, croyons-nous, téméraire de rechercher une vraie physionomie de l'Empereur dans les portraits officiels exécutés dans les premières années de l'Empire, par David, Gros, Gérard, Robert Lefèvre, Appiani, Muneret, dans les miniatures d'Isabey, et de ses nombreux émules et collaborateurs. Qu'on se rappelle les lettres si significatives de Duroc, grand maréchal du palais, chargé 1. L'Image vraie de Napoléon, par FRÉDÉRIC MASSON. er des commandes : « Recommandez aux peintres, écrit Duroc le 15 septembre 1807, de faire des figures plutôt gracieuses »; le 1o octobre: «Recommandez aux peintres de s'attacher moins à la parfaite ressemblance qu'à donner le beau idéal, en conservant quelques traits et en faisant un portrait plutôt agréable »; puis le 22 octobre: « Je vous renvoie, monsieur, le portrait de Sa Majesté la figure n'a pas assez de noblesse; enfin, dans celui-là comme dans tous les autres, le peintre cherche à attraper une ressemblance qu'il ne peut pas attraper, et cela le conduit à faire d'autres fautes. >> C'est donc à un artiste allemand que revient l'honneur d'avoir exécuté, et cela sans avoir laissé deviner l'ombre d'un sentiment de haine patriotique dans l'interprétation de son modèle, l'image la plus précieuse au point de vue iconographique qui existe de Napoléon dans les premières années de son règne. Et c'est aussi dans une série de croquis rapides, exécutés soit sur le pont du Bellerophon et du Northumberland, soit dans les environs de Longwood, soit même dans la chambre mortuaire de l'Empereur, croquis signés des noms de Marryat de W. Crockatt, d'Archibald Arnolt, d'Harry Bunbury, mais le plus souvent anonymes, qu'il faudra, après un léger travail de restitution nécessité par le développement volontairement excessif et parfois cruellement caricatural des traits caractéristiques du personnage, chercher l'image à peu près fidèle des traits et des attitudes de l'Empereur à la fin de sa vie. Tellement il est vrai que les ordres de Duroc avaient supprimé chez nos artistes officiels toute franchise personnelle d'interprétation et que les illustrateurs populaires n'étaient que les copistes maladroits des portraits de commande. L'arrivée de l'Empereur à Paris fut marquée par le Te Deum de NotreDame, célébré en grande pompe, en l'honneur de la paix de Tilsit, la session du Corps Législatif, l'institution d'une noblesse héréditaire, le vote du Code de commerce, la réception solennelle de l'ambassade de Perse. Le 16 novembre 1807, Napoléon, désireux de se faire connaître aux nouveaux sujets que lui avait donnés le traité de Presbourg, se rendait à Milan, où la garde impériale faisait son entrée triomphale, couverte des lauriers d'Auster litz, d'Iéna, d'Eylau, de Friedland. L'Empereur et roi d'Italie parcourut rapidement ses nouveaux États et fit son entrée à Venise, le 29 novembre, le jour même où l'armée française, commandée par Junot, pénétrait dans Lisbonne et chassait de son royaume la famille de Bragance, qui, liée par ses intérêts commerciaux aussi bien que par ses affinités politiques avec l'Angleterre, n'avait jamais tenu compte du décret de Berlin. Après avoir traversé les États Vénitiens et la Lombardie, et s'être rencontré NAPOLÉON, EMPEREUR DES FRANÇAIS, ROI D'ITALIE, le front ceint de la couronne de fer des rois lombards, d'après une gravure de Longhi. à Mantoue avec son frère Lucien, dont il voulait faire épouser la fille au prince des Asturies, Napoléon rentra à Milan. C'est de là qu'il publia ces curieuses lettres patentes qui conféraient le titre de prince de Venise au vice-roi Eugène de Beauharnais, et celui de princesse de Bologne à sa fille Joséphine; Melzi, ancien président de la République Cisalpine, devint duc de Lodi. Il rentra à Paris le 1er janvier 1808. Arrivé à un si haut sommet de toutepuissance qu'il dictait pour ainsi dire des lois au monde, tenait l'Europe courbée sous sa main de fer, renversait des trônes pour en élever d'autres destinés à ses frères et à ses compagnons d'armes créait de toutes pièces une aristocratie nouvelle et méditait déjà de faire asseoir à ses côtés une archiduchesse d'Autriche, il fut saisi du vertige mortel de la gloire et, oubliant pour toujours l'humble origine de sa fortune, il ne songea plus désormais qu'à frapper l'imagination des foules par l'éclat et la pompe de sa cour et à transmettre à la postérité le souvenir de sa volonté souveraine dans la colossale grandeur des monuments commémoratifs'. 1. En collectionnant et en classant les documents iconographiques contenus dans cet ouvrage, l'auteur n'a pu prétendre à la réalisation d'un travail sans lacune, d'une œuvre absolument complète. Il n'a eu d'autre pensée que de faire entrer dans le cadre ouvert à son vaste sujet les représentations les plus caractéristiques de la figure du héros. Aussi l'on y chercherait vainement certaines contrefaçons d'images signées de noms célèbres, et entre autres celles du Napoléon législateur, qu'Hippolyte Flandrin peignit pour le Conseil d'Etat, et qui a péri en 1871, œuvre des plus médiocres et dont le souvenir nous est gardé par une gravure d'ailleurs digne d'elle. A ceux qui regretteraient de ne pas la voir figurer dans cet ouvrage, nous nous permettons de conseiller la lecture de la description suivante, due à la plume de Thoré : « Comme le Napoléon de M. Flandrin fera bien comprendre à la postérité le dictateur de la France! David et Gros ont peint d'après nature le guerrier et le vainqueur. Il était réservé aux artistes de notre temps de nous montrer Napoléon en culotte de molleton et en gilet |