La volonté de Napoléon n'intervint pas dans l'élaboration du plan de l'Arc de Triomphe du Carroussel, qui n'est en réalité qu'une copie réduite de l'arc de Septime Sévère. Napoléon refusa toutefois les inscriptions rédigées par l'Institut pour figurer sur les quatre faces de l'édifice. Voir sa curieuse note à ce sujet : <«< L'Institut propose de donner à l'Empereur le titre de Germanicus ou d'Auguste. Auguste n'a eu que la bataille d'Actium. Germanicus a pu intéresser les Romains par ses malheurs, mais il n'a illustré sa vie que par des souvenirs très médiocres. On ne voit rien dans les souvenirs des Empereurs romains que l'on puisse envier. Un des plus grands soins de l'Institut et des hommes de lettres doit être de s'attacher à mettre une grande différence entre eux et les faits de l'histoire.... Le seul homme, et qui n'était pas Empereur, qui s'est illustré par son caractère et par tant d'illustres actions, c'est César. Mais tant de petits princes ont tellement déshonoré ce titre, s'il était possible, que cela ne se rapproche plus de la mémoire du grand César, mais de ce tas de princes allemands aussi faibles qu'ignorants, et dont aucun n'a laissé le souvenir parmi les hommes. >> La hauteur totale du monument est de 14 m. 63, sa largeur de 17 m. 88, son épaisseur de 6 m. 45. C'est en quelque sorte un bibelot, à côté du colossal Arc de l'Étoile. Un bibelot précieux, il est vrai, avec ses fines colonnes corinthiennes en marbre rouge, aux bases et aux chapiteaux de bronze, ses frises en marbre blanc d'Italie ses bas-reliefs de marbre qui décorent les deux façades et qui représentent la Bataille d'Austerlitz, la Capitulation d'Ulm, l'Entrevue de Tilsit, l'Entrée de l'armée française à Munich. Les bas-reliefs des deux faces latérales figurent la Paix de Presbourg et l'Entrée à Vienne. Dans toutes ces compositions militaires signées des noms d'Espercieux, de Cartellier, de Ramey, de Clodion, de Lesueur, de Deseinne, apparaît l'image de la France, qui, dans des proportions plus considérables, couronne encore l'édifice, traînée par quatre chevaux dans un char de triomphe. Sous le premier Empire, ces chevaux, au nombre de deux seulement, n'étaient autres que les fameux chevaux de cuivre qui décorent la façade de Saint-Marc à Venise, après avoir orné à l'origine l'arc de triomphe de Néron à Rome. En 1815, ils furent restitués à Venise'. 1. C'est Canova, jadis comblé d'honneurs et de richesses par l'Empereur, qui accepta la mission de venir réclamer les objets d'art enlevés par Napoléon à l'Italie. Il mit, paraît-il, tant d'âpreté et de morgue dans son rôle, que le public, très défavorablement impressionné, le surnomma l'emballeur du pape. Mécontent, nous dit M. Roger Peyre, de la façon dont Denon lui parlait, il s'écria : « On ne traite pas ainsi un ambassadeur! Ambassadeur! allons donc! vous voulez dire emballeur, sans doute! »> Toutefois, détail assez piquant, Canova ne sut pas emballer toutes les œuvres d'art enlevées par Bona On les remplaça par un groupe en bronze, de François Bosio, représentant une figure allégorique de la Restauration debout sur un char triomphal, traîné par quatre chevaux, figure d'un symbolisme si vague, qu'on la considère volontiers aujourd'hui comme l'image de la France. A leur arrivée au pouvoir, les Bourbons cherchèrent par tous les moyens à éteindre dans l'esprit du peuple le souvenir de l'Empereur; ils s'attaquèrent, iconoclastes politiques, jusqu'aux effigies de ce dernier, et les bas-reliefs de l'Arc du Carrousel, qui racontaient les triomphes du soldat d'Austerlitz, d'Ulm, du négociateur de Presbourg et de Tilsit, furent impitoyablement arrachés et remplacés par des sujets tirés de la guerre d'Espagne. Mais, dès son avènement, Louis-Philippe rendait aux bas-reliefs impériaux leur destination primitive. L'Arc du Carrousel, dont la construction coùta 1 400 000 francs, environ le prix d'exécution de la colonne Vendôme, est par le choix même des motifs de sculpture qui en décorent les quatre façades, plus complètement dédié à la gloire de Napoléon que l'Arc colossal de l'Étoile où l'on voit défiler la Marseillaise aux lèvres, les volontaires de Jemmapes. Il fut même question, lors de la construction de l'Arc de Triomphe du Carrousel, de donner pour couronnement à ce monument une statue de l'Empe reur. Le 15 août 1808, dit de Beausset dans ses Mémoires, Leurs Majestés, qui habitaient le palais de Saint-Cloud, vinrent à Paris pour assister aux fêtes de l'anniversaire de la naissance de Napoléon. Fidèle à ses habitudes, l'Empereur parcourut le palais pour en visiter les réparations et les embellissements. Il s'arrêta au balcon de la salle des Maréchaux, et demanda pour quel motif le sommet de l'Arc de Triomphe du Carrousel était couvert de toile. Il lui fut répondu que c'était pour l'achèvement du groupe en bronze qui devait le cou ronner. M. de Fleurieu, gouverneur du palais, s'étant hàté de dire que ces toiles cachaient les dispositions que l'on faisait pour placer la statue de l'Empereur sur le char auquel étaient attelés les chevaux de Corinthe conduits par deux Victoires, Napoléon dit : parte à l'Italie. Quelques-unes, et non des moindres, échappèrent à ses très consciencieuses recherches. Mentionnons, entre autres, le fameux Mariage de sainte Catherine, du Corrège, quatre Véronèses de la plus grande beauté, un Tiepolo, qui figurent aujourd'hui au musée de Caen. Ces toiles remarquables avaient été officieusement attribuées sous le Consulat au musée de cette ville, dirigé par un homme de goût fort bien en cour à Paris; on ignora bien longtemps ce qu'étaient devenus ces chefs-d'œuvre que le prévoyant conservateur avait roulés avec soin dans les combles de son hôtel de ville, et Canova, après la chute de l'Empire et lors de la restitution à l'Italie des œuvres d'art enlevées à ses musées, les fit vainement rechercher. « C'est une chose inconvenante; il faut ôter cette statue: ce n'est pas à moi à me faire des statues. Que les Victoires et le char soient achevés, mais que ce dernier reste vide. >> Conformément à des ordres si formellement exprimés, la statue fut déplacée et reléguée dans l'Orangerie. A vrai dire, cette protestation de l'Empereur contre la statue du Carrousel est assez surprenante, puisque en ce moment même il pressait, avec une sorte de fièvre, l'achèvement de la colonne Vendôme, qui, dans STATUETTE EN BRONZE. (Collection sa pensée, devait être surtout le socle énorme du colossal César de Chaudet'. C'est à l'époque où sortaient de terre tous ces imposants monuments commémoratifs, faits de bronze et de marbre, que Napoléon appela Canova pour la seconde fois. Pendant ce séjour à Paris, le sculpteur italien exécuta un buste très souvent reproduit, d'un mouvement sans grandeur et d'une expression noblement maussade. Sculpture molle et froide d'un artiste constamment troublé par les réminiscences classiques et ayant les yeux trop voilés par le passé pour saisir au passage le fugitif tressaillement de la vie. Le Napoléon de Canova est un César quelconque, dont le doigt du temps n'a pas encore usé les modelés de bronze ou de marbre. D'ailleurs Canova, avec son art figé, était moins désigné que personne pour faire cette figure de Bonaparte dont les peintres et les sculpteurs les plus habiles ont presque toujours vainement cherché à fixer sur la toile ou dans le marbre la fugitive expression, dans toute sa réalité. « La plupart des habiles artistes dont le talent honore la France, dit Bourrienne dans ses Mémoires, ont saisi heureusement le type de son visage, et pourtant on peut dire qu'il n'en existe pas un portrait parfaitement ressemblant'. « C'est qu'il n'est pas donné, même au génie, de triompher de l'impossi 1. Voir, pour plus amples détails sur l'histoire de l'Arc de Triomphe du Carrousel, les études de M. G.-J. Hadeux, dans le journal l'Art français (année 1894). 2. Bourrienne aurait pu ajouter que jamais figure humaine ne donna lieu à de plus libres interprétations. Aussi bien en France qu'en Italie, qu'en Allemagne et qu'en Angleterre, la plus grande partie des représentations de la figure de Napoléon sont dues à d'aimables fantaisistes qui nous ont laissé des |