preuves qui fixent la maternité détruisent elles-mêmes la paternité. Cette dernière exception a été développée dans la cause de mademoiselle de Choiseul, par l'avocat-général Gilbert; et quoiqu'elle n'ait point été accueillie, il est peu de bons esprits qui ne l'aient trouvée fondée en raison. Le Consul ajoute qu'en resserrant trop la matière, il en résultera plus d'une fois que la disposition de la loi sera en opposition avec le bon sens, et exposera les tribunaux à se placer entre la loi et leur conscience. Il faudrait donc leur laisser une latitude qu'on ne trouve pas dans le projet. LE PREMIER CONSUL dit que l'enfant ne pouvant pas se défendre au moment où son état est attaqué, le législateur doit en prendre soin. Cet enfant est né sous le mariage : cette circonstance décide en sa faveur ; et pour prévenir tout doute, il faut que la règle soit absolue. La maxime contraire affaiblirait l'autorité des maris. Ils doivent avoir un pouvoir absolu sur la conduite de leurs femmes, pour empêcher qu'elles ne leur donnent des enfans étrangers. La loi détruit le principe de ce pouvoir, si elle leur permet d'écarter l'enfant étranger en prouvant qu'ils n'en sont pas les pères. M. TRONCHET dit que l'article s'applique au cas où il y a eu cohabitation continuée : or, dans cette hypothèse, il est impossible de prouver que le mari n'a pas eu commerce avec sa femme. C'est là le principe sur lequel la loi romaine est fondée. L'adultère est sans doute une cause de divorce; mais cette cause peut être écartée par des fins de non-recevoir : la survenance d'un enfant, jointe à la circonstance de la cohabitation, est une de celles que la femme peut opposer avec le plus de succès. Il faudrait donc limiter la disposition relative à l'adultère, au cas où les époux habitaient la même maison au moment où l'enfant a été conçu. LE PREMIER CONSUL objecte qu'il est difficile de déterminer le moment de la conception. M. TRONCHET répond que c'est là en effet l'un des plus impénétrables secrets de la nature; que cependant la nature agit ordinairement d'une manière assez uniforme pour qu'il soit possible aux lois d'établir une règle générale; que le projet adopte cette règle, en lui donnant une latitude convenable. A l'égard de la cause d'impuissance, l'esprit du projet est de l'anéantir, parce qu'il est difficile et scandaleux de la prouver. Ce motif n'a pas même permis de l'admettre comme nullité du mariage : à plus forte raison ne doit-on pas avoir égard à l'exception tirée de la maladie du mari; une telle exception serait d'ailleurs démentie par des exemples. Il est prudent de jeter un voile sur des mystères que l'on ne peut pénétrer. M. PORTALIS dit que, dans le système des lois romaines, l'adultère de la mère ne compromettait pas l'état des enfans. Cette règle est juste; et elle ne doit recevoir d'exception que dans le cas où, pendant la séparation des époux, la femme a vécu dans un concubinage public: telle était la doctrine des parlemens; elle a été consacrée par un grand nombre d'arrêts, et particulièrement par un arrêt du parlement de Paris, rendu en 1778 sur les conclusions de l'avocat-général Seguier. Mais il serait dangereux de faire une exception à la règle pater is est, dans tous les cas où il n'y a pas eu de cohabitation continue entre les époux, parce que rien n'est plus équivoque que ce fait de la cohabitation. Il est en effet des professions qui tiennent les maris presque continuellement éloignés de leurs femmes; telle est par exemple la profession de voiturier, celle de marin et tant d'autres. Quant à l'impuissance, elle ne peut pas devenir le principe d'une exception, puisque dans la loi sur le mariage, on n'en a point fait l'objet d'une action en nullité; et ce silence absolu de la loi est fondé en raison, car il n'est pas de moyen de reconnaître avec certitude l'impuissance. Il y a tant de doute à cet égard, que l'on a vu des tribunaux déclarer le mari impuissant et ses enfans légitimes, parce que l'impuis sance est quelquefois relative. La loi ne doit statuer que sur ce qui est ordinaire; or, l'impuissance absolue est rare. D'ailleurs comment l'invoquer contre l'état d'un enfant? Ne peuton pas dire, au contraire, que l'existence de cet enfant est une preuve contre l'impuissance? Il est possible que le père soit actuellement impuissant, sans qu'il en résulte qu'il l'ait été au moment où l'enfant a été conçu. LE PREMIER CONSUL ajoute à ces observations, que d'ailleurs on conçoit, à la vérité, que la femme ait pu être admise à faire valoir l'impuissance de son mari; mais qu'il est inoui qu'on ait admis le mari à faire valoir sa propre impuissance pour contester l'état de son enfant. M. MALEVILLE fait lecture de la loi 6 ff. de his qui sui vel alieni, etc., laquelle est ainsi conçue: Filium eum definimus, qui ex viro et uxore ejus nascitur; sed si fingamus abfuisse maritum, v. g. per decennium, reversum anniculum invenisse in domo suá, placet nobis Juliani sententia hunc non esse mariti filium. Non tamen ferendum Julianus ait, eum qui cum uxore suá assidue moratus, nolit filium adgnoscere quasi non suum. Sed mihi videtur, si constet maritum aliquandiù cum uxore sua non concubuisse, infirmitate interveniente, vel aliá caus₫ vel si ed valetudine pater-familias fuit ut generare non possit, hunc qui in domo natus est, licet vicinis scientibus, filium non esse. Cette loi, dit M. Maleville, appuie le système du Consul Cambacérés, elle est pleine de raison. Le mariage forme une présomption de droit de la paternité, qu'on ne peut pas écarter sans preuves contraires; mais elle n'exclut pas ces preuves, et le bon sens nous dit assez que, parce qu'une femme ma riée sera accouchée, il ne s'ensuit pas nécessairement que son enfant appartienne au mari : seulement, la faveur des enfans et le repos des familles ont dû rendre le législateur très-difficile sur l'admission de ces preuves. Ainsi, quand l'exception du mari est fondée sur l'absence, on a voulu que la distance fût telle que le rapprochement fût impossible ; ainsi la dernière jurisprudence a peut-être sagement réjeté et l'allégation de l'impuissance pour cause de maladie, et celle de l'impuissance habituelle et naturelle; la première, parce qu'on a vu dans ce genre des exemples si extraordinaires, qu'ils ne laissent pas de base certaine pour asseoir son jugement; la deuxième, parce que l'homme doit s'imputer de s'être marié dans cet état, et que d'ailleurs le moyen qu'on prenait pour s'en convaincre était véritablement scandaleux. Mais il est une espèce d'impuissance accidentelle qui peut être survenue depuis le mariage, soit dans les combats, soit par toute autre cause, laquelle ne peut pas laisser le moindre doute, et il ne faudrait pas écarter par une règle absolue les exceptions qu'elle peut produire. M. PORTALIS dit qu'il est difficile de supposer qu'un individu mutilé ose présenter à la société le simulacre d'un mariage, et venir ensuite alléguer son impuissance pour désavouer ses enfans. Mais s'il se le permettait, l'enfant n'en profiterait pas moins du contrat de mariage, parce que ce contrat ne laisserait pas de subsister aux yeux de la société. En général, l'impuissance a été ou cause de divorce ou moyen de cassation; mais elle n'a jamais ébranlé l'état des enfans. L'absence de l'époux et d'autres causes semblables sont les seules qu'on ait crues jusqu'ici assez fortes pour faire douter de la légitimité. Au reste, ces questions d'état s'élèvent rarement pendant la vie des époux : ce ne serait donc qu'après leur mort que des collatéraux avides viendraient remuer, et, pour ainsi dire, réchauffer leurs cendres, pour les accuser d'avoir été froides et inanimées pendant leur vie. LE PREMIER CONSUL dit qu'il serait juste de refuser l'action aux collatéraux. Quand le mari a vécu avec l'enfant, ou il s'en est reconnu le père, ou il l'a adopté; lui seul devrait avoir le droit de réclamer, et seulement pendant les trois mois qui suivraient l'accouchement. Le Premier Consul pense qu'il convient de limiter la disposition à l'impuissance accidentelle. Il n'est pas possible de reconnaître l'impuissance naturelle; or, le législateur ne doit pas essayer de pénétrer dans des secrets que lui cache la nature d'ailleurs son silence est dans l'intérêt des enfans. L'impuissance accidentelle, au contraire, est un fait physique sur lequel on ne peut se tromper, et que dès lors le législa– teur ne peut dissimuler. Au reste, une disposition très-sage serait celle qui, dans tous les cas, obligerait le père à adopter l'enfant en même temps qu'elle viendrait au secours d'un infortuné, elle donnerait à l'État un bon citoyen; car qu'espérer de celui qui n'appartient à personne, et que tous repoussent et abandonnent à la dégradation? M. REGNAUD (de Saint-Jean-d'Angely) observe que la remarque du Premier Consul porte sur l'article 7, qui rejette les réclamations des collatéraux, lorsqu'il n'y a pas eu de désaveu de la part du père. Cependant il restera à pourvoir à ce que les enfans d'un premier lit n'abusent pas de la faiblesse d'un père mourant, pour se ménager le moyen d'enlever l'état à leurs frères nés d'un second mariage. On préviendrait cet inconvénient en ne donnant aucun effet au désaveu du père, à moins qu'il ne l'ait fait avant la maladie dont il meurt, et qu'il n'ait intenté son action un mois après l'avoir fait. L'article est adopté avec le retranchement du mot naturelle. Les articles 2, 3 et 4 sont soumis à la discussion ainsi qu'il suit : Art. 2. « L'enfant né avant le cent quatre-vingt-sixième 3.4 "jour du mariage, n'est plus présumé l'enfant du mariage. Art. 3. « Il en est de même de l'enfant né deux cent quatre- 315 vingt-six jours après la dissolution du mariage. » Art. 4. « La présomption de paternité résultante du ma- 312 riage cesse encore, 1o lorsque l'éloignement des époux est tel, qu'il y ait eu impossibilité physique de cohabitation; « 2o lorsqu'ils ont été séparés de corps et de biens : à moins, dans ce dernier cas, qu'il n'y ait réunion de fait et réconciliation entre eux. » |