pacité du bâtard dont le père et la mère auraient pu se marier ensemble au temps de la conception ou de la naissance cessât en cas que ces père et mère qui l'avaient avoué se mariassent, ou le reconnussent en contractant un mariage qui le légitimait de plein droit, et qui lui donnait les mêmes droits qu'aux enfans nés avant le mariage. Ces législateurs ne s'étaient pas avisés de fixer une époque de la vie où ce principe cesserait d'avoir son application. Et cependant, à cette époque aussi, se contractaient sans doute souvent des mariages in extremis ; à cette époque subsistaient dans toute leur force tous les motifs et même presque tous les préjugés qui ont dicté la disposition de 1639; et cependant ce principe est resté sans exception. ་་ « Sur quel fondement en effet, dit le tribunal de Lyon, la « législature pourrait-elle s'arroger le droit d'empêcher un citoyen de se marier à quelque époque de la vie qu'il veut," « pourvu qu'il remplisse les formalités qu'elle a prescrites ; « la morale, l'équité, bases nécessaires de toutes les lois, ne « lui ordonnent-elles pas, au contraire, de réparer dans ses «< derniers momens l'injustice et l'immoralité de sa vie antérieure? ་་ Cette innovation est contraire à la lettre et à l'esprit du droit commun sur la légitimation par mariage subséquent. En France, nous suivions, pour la légitimation par mariage subséquent, des principes plus larges encore que ceux adoptés par les Romains. « Ce n'était, dit Pothier, qu'aux enfans nés ex concubinatu, qui était une union permise « par les lois et un vrai máriage naturel, que les lois romaines accordaient le droit d'acquérir le titre et les droits « d'enfans légitimes. Le droit canonique, fondu dans cette partie de notre legislation, a été plus indulgent que le droit romain; et depuis la décrétale d'Alexandre III, rendue vers le milieu du douzième siècle, ce fut un principe reçu que la force du mariage était si grande, qu'elle rendait légitimes les enfans que les parties contractantes avaient eus ensemble avant leur mariage, quoique l'union eût été illicite. Pendant cinq siècles, ce principe philantropique si favorable à la légitimation, si concordant avec le vœu du mariage, fut observé sans altération, et fut même adopté par quelques-unes de nos coutumes, par exemple, par celle de Troyes, qui disait, article 108: Les enfans nés hors mariage, de soluto et soluta, puis, que le père et la mère s'épousent l'un l'autre, succèdent et viennent à partage avec les autres enfans. Certes, pendant les cinq siècles qui s'écoulèrent, des mariages in extremis ont été contractés : s'ils étaient d'un aussi grand danger qu'on le pense pour le mariage, pour les mœurs, pour la population, croira-t-on que pendant cinq siècles, le législateur civil ou ecclésiastique aurait gardé un aussi profond silence? Que faut-il donc penser de l'innovation de 1639? Qu'elle fut enfantée par des opinions religieuses, par des préjugés de mésalliances qui n'existent plus. Il suffit de citer les époques et les lieux qui virent naître cette jurisprudence, et le parlement subjugué qui l'adopta, pour se convaincre que les préjugés religionnaires entrèrent pour beaucoup dans les motifs de la loi qui l'a consacrée. Il suffit, d'un autre côté, de lire les auteurs qui vantent le plus sagesse de cette loi, pour se convaincre que la crainte des mésalliances fut le principe qui détermina le législateur. la Un des plus ardens défenseurs de cette loi est Lebrun. « On a voulu, dit ce jurisconsulte, dans ces derniers temps, établir une exception à ces maximes, dans le cas que celui qui a l'avantage de la naissance soit en santé, et que celui « qui cause la mésalliance soit à l'extrémité de la vie ; et << nous avons deux arrêts qui ont jugé qu'en ce cas le mariage in extremis avait les effets civils: mais comme le ma " riage n'en est pas moins fait à l'extrémité, soit que ce soit « le maître ou la servante qui survive ou qui prédécède, que « le maître en santé ne se marie pas seul, et qu'il épouse ་་ toujours une esclave moribonde et hors d'état de contrac«<ter mariage, il faut attendre les arrêts à venir, etc. » Ge passage dispense d'en citer d'autres. Il faut seulement ajouter que le sentiment de Lebrun fut entièrement adopté par l'édit de 1697, pour demeurer convaincu que le motif d'empêcher le maître d'épouser son esclave, que ce grand motif d'empêcher les mésalliances, qui seul dictait l'avis de Lebrun, aura pour beaucoup déterminé le législateur qui a consacré cet avis par l'édit de 1697. Certes, les motifs tirés des opinions religieuses et des mésalliances ne peuvent plus être présentés aux Français : sous ce point de vue la loi serait donc inutile; il est facile de démontrer combien elle serait dangereuse. Il est évident qu'elle multiplie les bâtards, par conséquent elle multiplie les gens sans aveu, les vagabonds; elle multiplie une espèce d'hommes qui, ne tenant à aucune famille, ne tiennent plus à aucune société; qui sont jetés au milieu de la société en proie à tous les besoins, à tous les regrets, en butte à toutes les humiliations, exposés à toutes les tentations, ennemis nécessaires d'un ordre de choses qui les avilit. Une pareille loi est donc en contradiction évidente avec l'institution du mariage, avec toute idée de socia→ bilité. Et pourquoi cette multiplication de bâtards? C'est, dans l'espèce, uniquement pour satisfaire d'avides collatéraux; c'est pour mettre en jeu l'intérêt de ceux-ci contre celui des enfans. Cet intérêt se développera, comme il s'est toujours développé, sans honte, avec scandale, pour porter le trouble et la désolation dans les familles. Il suffit d'un seul exemple, qui se trouve dans le journal du palais : un homme veuf, ayant un enfant d'un premier lit, se remarie : l'enfant du premier lit ayant atteint l'âge de dix-sept ans, son père veut l'émanciper; l'épouse s'oppose à l'émancipation, et soutient qu'il est bâtard, attendu, disait-elle, que le pre mier mariage avait été contracté in extremis. Les premiers juges avaient consacré, par un jugement, ces odieuses prétentions; et sur l'appel, la femme du second lit ne fut déclarée non recevable que quant à présent, c'est-à-dire que le parlement fit dépendre le succès de sa demande de l'existence d'enfans du second lit, au moment de l'ouverture de la succession du mari. Il est impossible d'imaginer une situation plus désespérante, une situation plus immorale que celle dans laquelle cet arrêt, juste suivant la loi, laissait le mari, laissait les deux époux. Cette loi punit deux innocens au moins, pour frapper inutilement un seul coupable; elle punit la femme et les enfans pour pouvoir atteindre le père, seul coupable. Le législateur pourra prétendre à régler les mœurs, mais ne changera pas la nature; et la loi présentée ne fera pas qu'il n'y ait plus, dans l'ordre moral, ni faiblesse, ni séduction. Cette loi sévère condamne un seul moment d'erreur ou de faiblesse au désespoir de toute la vie. La femme, dans une pareille situation, veut toujours le mariage; son honneur, sa fortune même, et le besoin d'assurer le sort de ses enfans par une subsequente légitimation, parlent sans cesse à son cœur, et dirigent tous ses vœux vers ce moyen unique de consolation et de repos; elle est devenue, par un seul moment d'erreur, l'esclave de la passion et du caprice de l'homme, qui seul est le maître de la durée et du changement de leur commerce; elle aspire sans cesse à la dignité du mariage; et si le mariage n'est pas contracté, le seul coupable est l'homme; s'il survient plusieurs enfans de cette illegitime liaison, le seul coupable est l'homme : la mère et les enfans sont innocens; et la loi punit certainement la femme et les enfans, pour pouvoir frapper le seul mari coupable, qu'elle n'atteint pas toujours. Et, supposé qu'elle frappe le mari, quel moment choisitelle? Précisément celui où il cesse d'être rebelle à la loi, le moment où il lui obéit, où il répare le scandale de toute sa vie; elle le frappe pour empêcher le bien qu'il veut faire ; elle fait le mal uniquement pour faire le mal. Par la proscription dont elle frappe la femme et les enfans, par l'étrange confiscation prononcée au profit des collatéraux ou du fisc contre celui qui n'a d'autre tort que d'être né, elle donne une indiscrète publicité à un scandale qui allait être couvert ; elle éternise des maux qui allaient finir. Cette loi, comme celle qu'elle remplace, n'établit aucune différence entre le sort des enfans qui peuvent ainsi justifier du mariage subséquent, et celui des enfans qui ne peuvent faire aucune justification. Elle laisse cependant subsister, entre les uns et les autres, une différence d'opinion: elle reconnaît les premiers pour légitimes, et les traite cependant comme des bâtards, comme elle traiterait des bâtards adultérins; elle ajoute ainsi la contradiction à l'injustice; elle introduit une monstruosité inconnue au droit ancien comme au droit moderne ; elle établit une demi-légitimation qui sépare la succession du père de la condition d'enfant légitimé. Oserait-on, pour faire cesser cette dissonance, les déclarer tout-à-fait bâtards? Ce serait augmenter l'injustice pour faire disparaître la contradiction. Certes, ce ne peut être le vœu des rédacteurs. Elle prononce que les enfans qui naîtront après le mariage ainsi contracté, et par conséquent les enfans qui seront conçus après ce mariage, seront traités comme bâtards. Cette cruelle innovation est due à l'édit de 1697; elle se retrouve dans le projet ; et chose étrange, elle doit s'y retrouver sous peine de contradiction : car si elle légitimait les enfans nés après, comment pourrait-elle ne pas légitimer ceux qui sont nés avant? Ce serait, comme l'a dit M. Tronchet, sur une autre question, une monstruosité; ainsi, pour éviter une monstrueuse contradiction, le législateur consacrerait encore une fois une monstrueuse cruauté. Enfin, cette loi met l'état et la fortune des femmes et des enfans à la merci du plus effrayant arbitraire. |