" Comment jugera-t-on que le mariage a été contracté in extremis? « La loi, dit le tribunal de Lyon, doit-elle livrer « à des consultations de médecins, toujours conjecturales et « souvent contradictoires, le sort si intéressant des indivi« dus innocens qui survivent?» Sur cette question, il règne dans les opinions une véritable anarchie, qu'aucune règle ne peut faire disparaître ; tantôt on a réglé que la mort arrivée plus de deux mois après le mariage n'empêchait pas de le considérer in extremis; tantôt la mort arrivée le lendemain lui laissait les effets civils; il a fallu des arrêts pour arracher aux collatéraux les moyens que leur offraient les morts arrivées à la suite d'une couche ou dans l'enfantement. Tel tribunal veut que vingt jours d'existence après le mariage suffisent pour le valider; d'autres en demandent quarante, et le tribunal d'Orléans va jusqu'à demander que, pour donner à l'article tout l'effet qu'on doit désirer qu'il ait, peut-être vaudrait-il mieux dire que tout mariage est fait à l'extrémité de la vie, lorsqu'à l'époque de sa célébration l'un des conjoints est attaqué de la maladie dont il décède. Ainsi un mariage contracté par un pulmonique ou un goutteux qui, après cinq ou six ans, mourrait de pulmonie ou de goutte, serait un mariage contracté in extremis. A cette incertitude de jurisprudence, que l'on joigne les opinions différentes et opposées des médecins sur l'origine et les causes des maladies qui affligent l'humanité, et l'on sera obligé d'avouer que la loi qui livrerait à cette jurisprudence, à ces opinions contradictoires, l'état et la fortune des citoyens, livrerait l'un et l'autre au plus odieux arbitraire. Ce n'est pas tout; il faudra livrer également à l'arbitraire la question du concubinage. La section, à l'unanimité, a rejeté l'article du projet qui privait des effets civils les mariages contractés in extremis qui n'auraient point été précédés de concubinage : mais ceux de ses membres qui proscrivent le mariage contracté in extremis précédé de concubinage ne peuvent indiquer aucune règle, d'après laquelle on puisse distinguer le concubinage de toute autre innocente liaison. Les parlemens, pour éviter une inquisition odieuse, ne voyaient le concubinage que dans ses résultats certains, dans la survenance d'enfans; ils semblaient s'être interdit de l'apercevoir dans d'autres indices qui ne présentaient à la justice que des présomptions. Ils voulaient des preuves, et il résultait de cette jurisprudence qu'un mariage contracté in extremis, précédé d'un concubinage dont la preuve n'était pas donnée par la survenance d'enfans, avait tous ses effets civils; c'est-à-dire que cette jurisprudence, en laissant subsister le concubinage dans tout ce qu'il avait d'odieux, se réservait de ne le punir qu'au moment où la survenance d'enfans devait attirer sur la femme devenue mère et sur les enfans issus de l'union cette commisération qu'inspire le malheur, et cette sorte de respect que commande toujours une femme environnée de ses enfans. L'union était consolidée là où elle devenait au moins inutile; elle était rompue lorsqu'elle devenait nécessaire. En un mot, le dernier résultat de cette jurisprudence était de confirmer une union dans des circonstances où elle n'offrait rien d'utile aux mœurs et à la société, et de rompre cette union précisément au moment où les mœurs et la société réclamaient avec le plus de force sa confirmation. On a objecté que cette loi empêcherait qu'un vieillard ne fût circonvenu à ses derniers momens : on se trompe; car la loi n'empêche le mariage in extremis que quand il est précédé du concubinage; ce n'est donc pas contre la suggestion que la loi est dirigée, ce n'est pas à la suggestion qu'elle oppose une barrière. Mais, a-t-on dit, l'homme se trouve alors hors d'état de pouvoir donner le moindre consentement : c'est une erreur, car il peut tester, il peut disposer de sa fortune; et ce qu'il dictera, le législateur veut que ce soit une loi. Mais les auteurs du projet sont si bien convaincus qu'il peut consentir, qu'ils l'autorisent à contracter une obligation qui réside toute entière dans le consentement, puisqu'ils lui permettent de contracter mariage. Ils dépouillent, il est vrai, ce mariage de tous ses effets civils, mais ils en permettent la célébration; l'officier civil recevra le consentement; ce consentement est par eux supposé donné bien librement, bien en connaissance de cause, puisqu'il fait l'essence du mariage dont ils autorisent la solennelle célébration. Enfin on a dit qu'il ne convenait pas d'allumer les flambeaux de l'hymen aux torches funéraires. Mais la plus grande partie de ces mariages ne se célèbrent pas au lit de mort; et d'ailleurs, qu'est-ce que cette légère inconvenance à côté de l'idée de donner au mourant la plus douce des consolations? A la lueur de ces flambeaux funéraires qui le touchent peu, le mourant voit sa femme, sa nombreuse famille; s'il peut, en réparant le scandale de sa vie passée, assurer à ses enfans, à sa femme, un nom, un état, une fortune, il meurt tranquille; mais qui pourra peindre la désolation, le désespoir de cet homme mourant, s'il descend au tombeau poursuivi par cette horrible idée' qu'il laisse au monde sa femme, ses enfans, sans nom, sans honneur, sans fortune, livrés à la misère et à l'humiliation! M. BERLIER dit qu'après une dissertation où l'on a traité tout ce qui touche à la doctrine, il ne lui reste qu'à répondre à quelques objections dirigées, dans cette séance mêine, contre la légitimation par le mariage in extremis. Il observe d'abord qu'on a vainement tenté d'appliquer aux seuls mariages secrets la crainte des mésalliances; que cette cause s'applique aussi aux mariages in extremis ; qu'en effet la prohibition, à l'égard des uns et des autres, est consignée dans les articles 5 et 6 de l'ordonnance de 1639, et que cette relation, cette origine commune, indiquent assez la cause des uns, quand d'ailleurs elle est avouée pour les autres. M. Berlier reconnaît avec plaisir que les adversaires de la doctrine qu'il soutient se sont beaucoup relâchés de leur accusation d'immoralité contre cette doctrine, et se sont principalement rabattus sur la captation qui peut environner un homme contractant in extremis, un moribond. Avant d'apprécier tout ce que cette crainte a d'exagéré, M. Berlier s'étonne qu'elle ne soit toujours dirigée contre le mariage in extremis que quand il y a des enfans. C'est, a-t-on dit, parce que les effets sont fort différens, et qu'on peut, dans cet état de dissolution prochaine, faire reconnaître au malade des enfans qui ne seront pas les siens. Mais d'abord il s'agit de légitimation, et non d'une reconnaissance qui a pu exister antérieurement, et serait dèslors à l'abri de tout soupçon. Au reste, et dans la thèse générale, M. Berlier répond qu'il ne peut être ici question d'un homme dont les organes seraient assez altérés pour n'avoir et ne pouvoir exprimer aucune volonté; qu'il n'y a pas de contrat là où le consentement manque ; que cette règle générale a été ailleurs particulièrement et spécialement exprimée pour le contrat de mariage; que, dans l'absence de volonté attestée par une agonie, l'officier public devrait refuser la célébration; qu'il ne serait pas, comme on l'a dit, un simple instrument de rédaction dans une telle conjoncture, et qu'il deviendrait coupable, ainsi que les témoins, s'il était passé outre ; qu'enfin ils pourraient tous être poursuivis, et l'acte annulé. M. Berlier observe ensuite qu'on s'expose toujours à s'égarer quand on prend l'exception pour la règle, et qu'on argumente contre une classe d'actes de la fraude qui peut s'introduire dans quelques-uns. En ramenant les choses à leur véritable point de vue, les époux de l'espèce de ceux dont il s'agit auront sans doute assez communément le pressentiment d'une fin prochaine ; mais ce ne seront point des êtres dépourvus de l'existence. On a remarqué que les testamens n'étaient pas annulés pour avoir été faits in extremis, s'ils étaient d'ailleurs exempts de fraude: comment en serait-il autrement pour le mariage in extremis? Y a-t-il différence? Oui, mais elle est toute en faveur du mariage : car ce contrat n'est pas, comme un testament, susceptible de se consommer sans intervalle et par le seul appel de l'officier public; il y a, pour le mariage, des formalités préliminaires, des publications qui attestent la volonté avant qu'elle s'exprime définitivement dans le contrat; l'acte qui commence sous de tels auspices, et dans le— quel on a persévéré jusqu'à sa conclusion, peut-il être ai sément soupçonné de fraude? que faut-il donc pour la validité des actes, si une telle garantie ne suffit pas? M. Berlier revient ensuite sur la faveur due aux enfans, et finit au surplus par observer qu'il ne propose pas d'admettre un article formel qui valide les mariages in extremis à l'égard de toutes personnes, mariages qu'il ne veut ni encourager ni proscrire, mais qu'il se borne à demander la suppression d'un article d'exception, suppression à la faveur de laquelle le principe de la légitimation par mariage subséquent planera sur toutes les espèces. Telle est, selon M. Berlier, la seule voie à suivre, et celle dont on ne saurait s'écarter sans prendre l'ombre pour la vérité, et sans devenir cruel en voulant ètre moral. L'article est supprimé. L'article 5 est adopté sans discussion, il est ainsi conçu: 333 « Les droits des enfans légitimés seront les mêmes que « ceux des enfans légitimes. (Procès-verbal de la séance du 26 brumaire an X. 17 novembre 1801.) La section II du chapitre III, intitulé de la Reconnaissance des Enfans nés hors mariage, est soumise à la discussion; elle est ainsi conçue : Art. 6. « La loi n'admet point la recherche de la paternité 340 « non avouée. » |