VOYAGE PHILOSOPHIQUE ET PITTORESQUE; SUR LES BORDS DU RHIN, EN BRABANT, EN HOLLANDE, etc.' X V LETTRE. Bruxelles. QU'ON u'on ne me répète plus ce vulgaire adage colporté depuis si long-temps par les imbécilles apôtres du despotisme, et que la tourbe garrule des philosophistes vante sans cesse au peuple dont ils se disent les officiers de morale. Non, ce n'est point exclu sivement à la propagation des lumières que sont dues les révolutions politiques. Jamais dans aucune portion de l'Europe l'ignorance n'a été plus absolue qu'à Bruxelles; jamais les ténèbres n'ont été plus épaisses; jamais Tome II. A fa crédulité de son joug de plomb (1) n'a imprimé plus fortement la raison dans la poussière. Ici le fanatisme a fomenté tous les troubles; la stupidité et l'assoupissement des esprits en ont été les intermédiaires. Les causes des révolutions dans un Etat sont entièrement indépendantes des divers degrés de connoissances propres à chaque individu qui compose la masse du peuple insurgé. Lorsque ses passions sont une fois mises en jeu, soit par suite de ce sentiment de révolte que la tyrannie finit toujours par inspirer à ses victimes lorsqu'elle est parvenue à son apogée, soit par les intrigues artificieuses de quelques hommes ambiticux ou méchans, alors la révolution est parvenue à son point de maturité. La seule différence qui existe entre ces deux causes, c'est que la première est durable, parce qu'elle a pour fondement cet inextinguible amour de la liberté que le despotisme étouffe, mais qu'il n'anéantit jamais; tan (1) J'ai voulu conserver ici l'expression originale de Forster. Voici le texte : « Ia, wahrlich, vollkommner » war keine unwissenheit, dicker keine finsterniss, n bleierner drückte nie das ioch des glaubens die ver» nunft in denstaub ». dis que l'autre rentre dans l'alime dès que l'illusion cesse. A chaque heure du jour, les églises, tant celles des paroisses que celles des monastères, sont remplies de dévots, et l'esprit de révolte les guette aux portes de ces temples. C'est là que le congrès fait afficher ses. mandats, ses ordonnances; c'est là que se lisent tous les jours les invitations au peuple de se lever contre les soi disans traîtres. à la patrie, principalement contre les dé mocrates, pour les détruire avec le fer et le feu; c'est là que s'exerce la calomnie contre le brave Vander Mersch ; c'est là que le génie de l'esclavage, ami du fanatisme, distille ses poisons contre les Hollandois réfu-. giés à qui l'indolent Bruxellois fait un crime de leur amour pour la liberté ; c'est là qu'on a même l'audace de couvrir du manteau de la religion les excès que le parti aristocratique, toujours lâche, insidieux, vil dans ses vengeances, se permet contre ses adversaires. Or, il est impossible de méconnoître l'esprit qui rédige les placards.. Il n'existe qu'une classe, une seule classe d'hommes qui sache confondre ainsi ce qui est purement humain avec les prétendus intérêts du ciel, éblouir la multitude, égarer la raison du peuple dans un labyrinthe de sophismes religieux. Les stigmates d'un despotisme plus âpre, plus dur encore que celui auquel les Hollandois ont eu le bonheur d'échapper, sont actuellement empreints sur le front des Belges. Un siècle entier ne pourroit les effacer. Ce peuple, ou, pour mieux dire, cette congrégation ne sait que faire de sa liberté; elle lui est à charge; le Bruxellois ne peut supporter sans un maître le poids de la vie. Nous ne voulons pas être libres! répondoient ces infortunés, lorsque nous les félicitions sur leur liberté; et ils ne sont pas même en état de justifier par l'apparence d'un principe cette proposition si étrange dans la bouche d'un peuple insurgé; nous ne voulons pas être libres!....Le son de ces mots a un accent si peu naturel un rythme si barbare qu'il ne peut être saisi que par des hommes qu'un long esclavage a désorganisés, ou que la perfidie des chefs a égarés jusqu'au delire. Nous ne voulons pas être libres! Infortunés Brabançons ! peuple séduit! quel est votre aveuglement! Ne sentez-vous pas de qui vous avez été, v you de qui vous êtes encore les esclaves ? Vous avez raison! ne pouvez plus être libres; la nature vous a créés pour l'esclavage: échappés à un maître, la marque de l'autre est imprimée sur votre front avili; et ce dernier se fait un jeu de vous reconnoître, de vous reprendre, dût-il même vous laisser croire que vous êtes libres. Et comme dit le poëte: «l'oiseau qui rompt son lacet, » même dans les plaines de l'air, traîne > encore après lui la marque honteuse de » son esclavage. Il fuit, il s'envole ; mais » ce n'est plus l'oiseau qui jadis naquit » libre ». La superstition est ce lacet d'airain dont se sert le despote pour enchaîner les nations. Funeste entreprise! car si les prêtres parviennent à saisir un des bouts de la chaîne, ils forcent le peuple et même le despote à voltiger à leur volonté. Le Brabant s'est rendu célèbre par sa superstition. Graces soient rendues à la politique cruelle de Philippe II qui enfonça le glaive dans le sein de ceux de ses sujets (1) (1) On connoît les atrocités du duc d'Albe, autorisées par Philippe II; et de semblables fureurs n'ont pu éveil, ler les peuples! Des siècles d'esclavage, de misère, de |