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Assurément il est tout-à-fait incroyable qu'ils eussent constamment gardé le silence sur une question qu'il leur importoit si fort d'éclaircir; et toutefois il est inoui qu'ils aient jamais eu l'idée de proposer quelque doute sur ce point. L'assertion de Baillet est donc manifestement téméraire, invraisemblable, et incapable de faire impression à un homme tant soit peu versé dans l'histoire de l'époque dont il s'agit.

Ce qu'il y a de plus singulier, c'est que les différentes assertions de Baillet sur ce point sont réfutées par l'auteur même dont il invoque le témoignage. Le seul qu'il ait cru pouvoir citer est le P. Doublet, religieux de l'abbaye de SaintDenis, et auteur d'une Histoire de cette abbaye, publiée à Paris en 1625 in-4°. Nous avons été curieux de vérifier cette citation. Quel a été notre étonnement, lorsqu'à l'endroit même indiqué par Baillet (1), nous avons vu que, selon l'ancien manuscrit suivi par le P. Doublet, << Charles-le-Chauve apporta, de son palais » d'Aix-la-Chapelle à l'église de Saint-Denis, » un saint Clou, une partie de la sainte Cou» ronne, et une portion de la sainte Croix! A palatio suo (Aquisgrani) ad præfatam ec

(1) Hist. de l'abbaye de Saint-Denis, par Doublet, pag. 1259. Cette histoire a été effacée par celle de Félibien que nous avons citée plus haut.

» clesiam (S. Dionysii) attulit sacrosanctum » unum clavum,........ PARTEMQUE SPINEE CORONÆ >> DOMINICA, et partem vivifica Crucis. » Qu'on juge, d'après cela, quelle confiance mérite Baillet, lors même qu'il cite en marge d'importantes autorités.

On en jugera encore mieux, si l'on examine de près cette autre assertion du même auteur: L'église de Verceil, en Piémont, dit-il, se >>> croit en possession de la sainte Couronne, » dont elle fait la fête tous les ans, au 23 fé»vrier; on ne sait d'où pourroit lui être venue » une telle Relique (1). »

Une assertion si extraordinaire demanderoit sans doute de fortes preuves; et il est d'autant plus étonnant que Baillet n'ait pas essayé de les fournir, qu'en parlant ainsi, il se met en opposition avec le torrent des auteurs qui ont écrit sur cette matière. Toutes les recherches que nous avons pu faire, soit dans les auteurs qu'il cite, soit dans une foule d'autres, n'ont pu nous en découvrir un seul qui vienne à l'appui de son assertion, et même qui ne la contredise formellement; en sorte que nous ne pouvons l'excuser qu'en supposant qu'il parle ici d'après quelque bruit populaire, ou d'après quel

(1) Baillet, Vies des Saints, 3 mai, n. 6.

que ouvrage tout-à-fait obscur et sans autorité (1).

Mais quelle que soit la source de cette assertion de Baillet, nous ne balançons pas à dire qu'elle est, non-seulement invraisemblable en elle-même, mais absolument fausse; car, 1° ce ne sont pas seulement les auteurs français qui regardent comme authentique la sainte Couronne conservée à Paris. Les savans étrangers, et même les Italiens qui ont traité cette matière, sont unanimes sur ce point, et ne supposent même.pas qu'il existe là-dessus aucune contestation. On peut voir en particulier ceux que nous avons cités en note dans la Préface de cette Notice. On doit remarquer que la plupart de ces auteurs sont Italiens, et que tous sont étrangers, à l'exception du P. Ferrand,

(1) Peut-être pourroit-on supposer que Baillet aura d'abord écrit par distraction, Verceil au lieu de Venise, et qu'il aura ensuite mis, pour plus ample explication, Verceil en Piémont. Ce qui rend cette conjecture plausible, c'est qu'un des auteurs cités par Baillet parle en effet de la ville de Venise, comme possédant une portion notable de la sainte Couronne. (Malloni, de sacra Sindone, pag. 193 et 195.) Au reste, dans cette supposition même, Baillet seroit encore inexcusable d'avoir attribué à la ville de Venise la prétention de posséder la sainte Couronne toute entière, tandis que les auteurs qui parlent de la sainte Épine de Venise, et Malloni en particulier qui l'avoit vue, ne la donnent que comme une portion de la sainte Couronne qui se conserve en France.

Jésuite, et du P. Serry, Dominicain français, qui a passé la plus grande partie de sa vie en Italie. Or il est constant que ces auteurs ne disent pas un seul mot de la sainte Couronne que Baillet prétend être conservée à Verceil; tandis qu'ils supposent, comme une chose indubitable et universellement reconnue, l'authenticité de la sainte Couronne qui se conserve à Paris (1).

2° Parmi un si grand nombre d'Italiens, ecclésiastiques ou laïques, que la curiosité ou leurs affaires attirent journellement à Paris depuis plusieurs siècles, il est inoui qu'un seul homme instruit ait élevé des doutes sur la sainte Couronne qui se conserve en cette ville. De nos jours encore, comme on le verra dans le paragraphe suivant, le cardinal Spina, archevêque de Gênes, assistant à la vérification de la sainte Couronne, qui eut lieu en 1806 au palais archiepiscopal de Paris, autorisa, par sa signale Procès-verbal de cette vérification, et reçut avec reconnoissance une portion de la sainte relique. Nous avons encore interrogé ou fait interroger sur ce point plusieurs ecclésias

ture,

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(1) Baron. Annales, ad ann. 34. - Acta SS. 25 aug. §. 30, 36 et 37. - Bened. XIV, de Festis, lib. I, cap. vii, n. 58. P. Serry, Exercitationes historicæ de Christo. Oper. tom. III. On trouve à la suite de ce dernier ouvrage, ceux de l'auteur italien qui l'a combattu.

tiques italiens, résidant actuellement à Paris, et plusieurs ecclésiastiques français, qui, ayant fait un long séjour en Italie, et spécialement à Verceil, en ont soigneusement observé les plus précieux monumens; tous ont témoigné le plus grand étonnement, en apprenant l'assertion de Baillet.

3° Enfin, non contens de ces témoignages, nous avons consulté ou fait consulter plusieurs ouvrages anciens et modernes sur l'Italie, et spécialement ceux qui ont coutume de s'étendre davantage sur les monumens religieux de ce pays. Nous avons consulté, entre autres, l'ouvrage italien de Salmon, qui a pour titre : État présent de tous les pays et de tous les peuples du monde (1); nous y avons bien trouvé une description détaillée des monumens de Verceil, et surtout de l'église cathédrale de cette

(1) Lo stato presente di tutti i paesi e popoli del mondo. In Venezia, 1751: tom. XVIII; dell'Italia, cap. III, §. 3, pag. 166. Remarquez que cet auteur est dans l'usage de rapporter, d'après les voyageurs anciens et modernes, toutes les particularités intéressantes de l'histoire naturelle, politique et religieuse des peuples qu'il passe en revue. Il n'oublie pas les reliques des principales églises de Rome et de l'Italie. A l'article de Verceil en particulier, il parle de l'église cathédrale dédiée à saint Eusèbe, premier évêque de cette ville, du corps de ce saint qu'on y conserve, du manuscrit des Evangiles écrit de sa propre main, etc. Dans tout cet article, pas un mot sur la sainte Couronne.

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