Images de page
PDF
ePub

dans le caractère national vingt-cinq années d'observations sur les bases nécessaires de la société; immobile au milieu du mouvement, elle crut se retrouver à cette époque où les communes s'étaient soustraites violemment à sa tutelle. Sans doute le peuple avait alors connu toute sa force; mais depuis longtemps il en déplorait les excès, et se reposait dans sa dignité : les monumens, les lois accusaient également l'ancien régime et les temps d'anarchie; ce que la France avait abandonné de libertés publiques au système impérial la laissait riche encore des nombreux bienfaits de l'affranchissement de 1789; de même les puissances de l'Europe, en se conjurant pour lui arracher la prépondérance politique, n'avaient pu effacer sa gloire militaire : enfin, citoyens et soldats, tous demeuraient fiers de leurs. conquêtes, et, si l'aristocratie se préparait à soutenir des prétentions, tous étaient prêts à défendre des droits.

La chance des combats n'avait donc été contraire qu'à des individus seulement. Un triomphe plus sûr restait à ambitionner; c'était de maintenir au pouvoir restauré la faveur de l'opinion: ici la force est sans puissance, et souvent, comme dans les relations privées, de simples bienséances peuvent aussi désarmer tout un peuple. On n'avait pas cru devoir sacrifier un ruban à l'orgueil de la révolution, laissant ainsi les destinées du monde dépendre de la réunion de quelques couleurs; néanmoins les héros de Jemmapes et d'Austerlitz, justes envers le passé quand le présent trouvait tant de détracteurs, s'étaient courbés avec respect sous les enseignes des Bayard et des Catinat. Cette véritable concession des idées nouvelles devait mériter à l'armée des témoignages de confiance; et peut-être une saine politique, puisée dans le caractère de la nation, voulait-elle qu'on payât un tribut d'admiration au peuple qui dans un quart de siècle, et pendant toutes les tourmentes, semblait avoir épuisé les combinaisons de la science, et ravi aux arts leur secret. De leur côté les Français étaient prêts à prodiguer l'enthousiasme. Vingt-cinq ans n'avaient pas rompu tous les liens de famille et d'amitié entre les hommes de l'ancien régime et ceux de la révolution; ils s'étaient au contraire resserrés sous l'Em

pire on sait combien Napoléon favorisa les émigrés, et restaura cette noblesse qu'il regardait comme historique. La noblesse nouvelle, corrompue par les richesses, et trompant les vues de son fondateur, ne joignait plus l'austérité au faste; et, il faut le dire, dans plusieurs autres classes de la société le goût naturel du changement se fortifiait par un souvenir ou tout au moins par une tradition favorable aux mœurs faciles des gens de l'ancienne cour. Les vertus publiques s'étaient conservées chez le simple citoyen et dans les derniers grades de l'armée. Il n'y avait ainsi à satisfaire d'une part que des vanités personnelles; mais de l'autre il fallait respecter l'opinion nationale, et céder aux vœux du siècle.

Le trône consacra de cette ère nouvelle ce qui n'attaquait point le principe de sa souveraineté légitime. La Charte, octroyée par le prince, était révérée des Français comme un contrat, parce qu'elle renfermait des garanties réclamées par la nation dans ses premiers vœux pour un pacte constitutionnel; et l'on trouvait que ces garanties rendaient un air de jeunesse à la monarchie de Saint-Louis. Des esprits rigoureux censuraient en vain le préambule de cet acte, qui leur semblait antérieur de deux siècles à l'acte même; comme on pensait généralement qu'il n'était point l'ouvrage du roi, on n'y attachait pas une plus fâcheuse importance qu'à ce discours du ministre qui ne montrait dans la Charte qu'une ordonnance de réformation, quand Louis XVIII en personne venait de déclarer solennellement aux représentans de la nation que cette Charte était le fruit de l'expérience et de leurs conseils (1). On était donc fondé à espérer les plus heureuses applications de la connaissance profonde que ce prince avait des hommes, des pays et des lois. La réputation de savant spirituel lui était acquise avant son émigration. De telles qualités dans le monarque pouvaient lui gagner l'attachement d'un jeunesse brillante, instruite, mais prévenue contre les Bourbons, qu'elle avait appris à connaître moins par leurs malheurs que par leurs fautes.

Et c'est au milieu de tant d'élémens d'une fusion salutaire

(1) Foyez tome xx, page 549

de tous les intérêts, que l'aristocratie vint jeter le ferment de la discorde. Le roi n'avait pas seulement ramené de son exil quelques serviteurs dévoués, assez heureux de voir relevé le trône de leur maître, et de mourir réconciliés avec la patrie. Sur ses pas étaient accourus, sans avoir droit à sa reconnaissance, tous ceux dont la cupidité et les vengeances espéraient en son retour. Le trône n'avait trouvé au commencement de la révolution qu'un petit nombre de défenseurs, qui pour le soutenir étaient allés invoquer le secours de l'étranger, ou combattre dans ses rangs des émigrés reparurent en foule pour exiger la récompense de services qu'ils n'avaient point rendus. Une garde nombreuse, moins remarquable toutefois par sa force que par son ordonnance gothique, vint entourer le prince quand il n'avait à redouter aucun danger. On vit renaître cette minorité audacieuse de deux ordres dont les déportemens et les prétentions tyranniques avaient en grande partie provoqué la révolution. Des membres de l'ancienne noblesse et du haut clergé, quand le roi s'honorait de commander à des hommes libres et égaux en droits, voulurent retrouver des priviléges, des immunités, des vassaux, un tiers état. La France était redevenue la Gaule, que des Francs avides bouillaient de se partager.

« Avec les désirs et les regrets d'une grande fortune ruinée, on est prêt à tous les attentats. (1) » En effet, ces apôtres si intéressés de l'ancien régime, ouvrant leurs rangs à une classe d'hommes qui partout et toujours sont prompts à devenir instrumens ou complices, essayèrent de recruter une faction dont l'existence eût menacé tous les intérêts sociaux. Leur but, mal caché, était de faire rétrograder la génération jusqu'aux temps où l'ignorance et les préjugés composaient toute la force de ces autorités anarchiques qui ne consentaient à relever du trône que pour mieux s'assurer de la propriété du peuple; et combien de fois le trône ne dut-il pas se rapprocher des communes pour s'affranchir de la tyrannie de ses superbes vassaux? Un tel projet était peut-être plus insensé qu'atroce; aussi la France n'opposa-t-elle d'abord

(1) Montesquieu.

:

que le mépris et le ridicule confiante dans les lumières du roi, elle se bornait à parler de liberté, comme naguère elle ne s'était occupée que de combats et de victoires.

Un parti présente ordinairement les mêmes nuances que tout un peuple. Les individus qui le composent sont ou exagérés, et c'est le petit nombre; ou modérés, et ceux-là ne se comptent qu'après le succès; les êtres passifs, qui forment le gros du parti, restent indifférens sur les moyens, et, selon l'une ou l'autre influence, se montrent furieux ou timides; les sages observent, mais se taisent longtemps. Il en résulte que, l'exagération donnant toujours le signal, c'est d'abord la minorité qui entraîne les masses. On vit ainsi le parti ultra monarchique obtenir une apparence formidable. Par opposition au nom de révolutionnaires, une foule d'hommes paisibles avaient eu l'imprévoyance de se dire royalistes quand tout le monde voulait un roi et repoussait toute idée de révolution; bientôt, aux yeux des chefs du parti, ils se trouvèrent placés dans cette déplorable alternative, ou de n'être plus reconnus pour sujets fidèles s'ils devenaient royalistes constitutionnels, ou de méritér le titre de royalistes purs s'ils se faisaient rebelles avec une poignée d'hommes en démence. Un préjugé les poussa dans le gros du parti de la contre-révolution. Mais il est à remarquer qu'aucun d'eux n'eût osé dire : je suis contre-révolutionnaire. Serait-ce encore de la vanité ? Les royalistes constitutionnels, réduits à former aussi un parti, quoiqu'on ne puisse guère appeler parti la masse des citoyens qui se rallient à la loi de l'Etat ; les constitutionnels eurent également à leur tête quelques hommes exagérés, qui répandirent dans le peuple des craintes bien susceptibles de le porter à la rébellion. Donnant pour ainsi dire la vie à des fantômes, ils lui dénonçaient un état de choses qui n'existait que dans des imaginations déréglées, et leurs coupables insinuations, d'autant plus puissantes qu'elles étaient propagées dans le mystère, acquéraient de bouche en bouche les formes d'une harangue tribunitienne.

:

On disait, on répétait « La faction marche, dominant » les conseils, les chambres législatives et les administra» tions départementales! Elle désorganise, elle humilie cette » armée qui a vaincu l'Europe, et que l'Europe admire!

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

» Elle frappe et spolie toutes les classes du peuple! Elle pré>>pare la ruine des propriétaires de biens nationaux, le réta>>blissement de la dîne, des corvées, enfin du régime féodal! Déjà elle honore les crimes de lèse nation, et signale comme coupables de lèse majesté royale des millions de citoyens ! » A la face du ciel et des hommes, elle a osé maudire notre héroïque révolution comme une rébellion de vingt-cing ans à expier par l'obéissance absolue! (1) Vous l'avez >> entendue inviter humblement le roi à retirer la Charte, à ne s'entourer que d'hommes légitimes, de Francs régé» nérés; maintenant elle proclame que toute Constitution est un régicide; elle proteste formellement contre cette » Charte qui lui est si odieuse, et dans laquelle le monarque >> trouvait un titre à la reconnaissance publique. La faction a déployé l'étendard de la révolte; elle a ses clubs, ses ora» teurs, ses bandes armées, qui publient que le monde n'a » pas, comme le roi, promis de tout oublier, et que ce » monde est impatient de rompre le silence... Enfin, elle» médite une double infamie, d'interdire le monarque, et de frapper les patriotes par une Saint-Barthélemy... Le trône a vu l'audace de l'aristocratie avec une sincère douleur, avec une véritable indignation; mais parmi les rebelles il a >> reconnu des serviteurs longtemps fidèles : le trône use d'indulgence, et les rebelles se croient autorisés... Vous le » savez, de quelque côté que le monarque paraisse se tour»ner, il emporte et précipite la balance. A l'aspect de la » contre-révolution triomphante la nation ne se sentira-t-elle pas transportée d'horreur? Qu'elle ne voie plus à son tour, » dans les hommes de l'émigration, que des individus con» damnés par ses lois; dans ceux qui se proclament les seuls royalistes, les fidèles Vendéens, que des fanatiques armés » contre la plus sainte des causes; enfin, dans l'étendard » des lis, que le signe qu'elle a si longtemps combattu comme celui de la rébellion... Oui, quand le drapeau redevenu national est revendiqué par le parti contre-révo

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

(1) l'oyez, pour ces différentes assertions, l'Ess i de Traité sur la Charte du comte Laujuinais,

« PrécédentContinuer »