un arrêt de la Cour de cassation du 22 nov. 1832 (1), d'après lequel la réception de sucres bruts vendus sur échantillon ne prive pas l'acheteur du droit de faire vérifier s'ils sont conformes aux échantillons, encore que la réception ait eu lieu sans protestation ni réserve. 1611. Dans les explications qui précèdent sur la forme et les effets de la délivrance en ce qui touche les droits réciproques de celui qui doit la chose, de celui à qui elle est due et des tiers, j'ai puisé dans le contrat de vente les exemples destinés à l'éclaircissement des principes généraux, parce que c'est dans ce contrat que se présentent le plus habituellement les questions de délivrance ou de tradition. Mais on comprend qu'elles peuvent se présenter dans tous les contrats qui ont pour objet de transporter à une personne physique ou morale la propriété d'une chose; c'est ce qui a lieu par exemple dans la dation en payement et dans le contrat de société quant à l'obligation de réaliser les apports. 1612. Je dois de plus faire observer que jusqu'ici je n'ai traité de la délivrance qu'en ce qui touche les meubles corporels ; la livraison des meubles incorporels, tels que les créances, est soumise à des conditions particulières dont nous nous occuperons en traitant de la cession et de l'endossement. 1613. Enfin, il faut remarquer encore qu'il y a certains meubles corporels, tels que les navires, dont la délivrance s'opère par des moyens particuliers (2). Je passe maintenant à ce qui concerne les obligations du débiteur ou du vendeur relativement à la conservation de la chose jusqu'à la livraison. SOMMAIRE. § 2. De la conservation et des risques de la chose due. 1616. 1614. De l'obligation de veiller à la conservation de la chose. De quelle faute est tenu le débiteur dans l'accomplissement de cette obligation. 1615. Anciennes théories sur la prestation des fautes. Système du Code Napoléon. Interprétations diverses auxquelles il a donné lieu. 1617. Des fautes en matière de commerce. 1618. Des dommagesintérêts dus pour cause de négligence. 1619. De la responsabilité des (1) Dev., 32. 1. 819. - (2) Voy. C. com., 193 et suiv., et la loi du 27 vendé.n. an II. .... au compte ou à la mesure. - risques de la chose due. Elle porte sur l'acheteur ou sur le créancier, tant que le vendeur ou débiteur n'est pas en demeure.-1620. La règle est applicable en matière commerciale comme en matière civile. - 1621. Elle n'est pas applicable quand une condition empêche l'acquéreur ou le créancier de devenir propriétaire de la chose........ Quand la chose n'est ni certaine ni déterminée. 1622. Quand il s'agit de choses qui se vendent au poids, 1623. Des conventions qui peuvent laisser la 1624. Du risque quand la chose est venchose aux risques du vendeur. due en bloc. 1625. Du risque des choses qu'on est dans l'usage de goûter ou de vérifier avant d'en faire l'achat. Distinctions entre les matières civiles et les matières commerciales; entre les choses présentes et les choses absentes. 1626. De la chose vendue sur échantillon. 1627. Conventions dérogatoires. 1628. Dù risque en matière de dation en payement. - 1629. Celui qui supporte la perte supporte en général la détérioration, et profite de l'accroissement. 1630. Règles particulières en matière d'obligations alternatives;... d'obligations sous condition suspensive;... de vente à l'essai. Renvoi. 1631. Transition au paragraphe suivant. De la demeure en ce qui touche son effet résolutoire. Renvoi. - 1614. Comme nous l'avons déjà vu (1), l'obligation de veiller à la conservation de la chose est une des suites de l'obligation de donner (2). Aux termes de l'article 1137 du Code Napoléon, «< l'obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n'ait pour objet que l'utilité de l'une des parties, soit qu'elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins d'un bon père de famille. Cette obligation est plus ou moins étendue, ajoute le même article, relativement à certains contrats dont les effets à cet égard sont expliqués sous les titres qui les concernent. » Il suit de là que, en règle générale, celui qui est obligé de veiller à la conservation d'une chose, est en faute s'il n'apporte pas à cette conservation tous les soins d'un bon père de famille; qu'en certains cas particuliers il peut être en faute, bien qu'il ait fait plus, et qu'en certains autres cas il peut n'être pas en faute, bien qu'il ait fait moins. Dans tous les cas où il est en faute, il répond, envers celui à qui appartient la chose qu'il est chargé de conserver, des dommages qu'elle a soufferts par suite de sa faute. Sauf le point de savoir ce qu'on doit entendre par les soins d'un bon père de famille, que le Code prend pour mesure de la (1) Voy. sup., n. 1593. (2) C. Nap., 1136. 13 vigilance qu'on doit apporter aux affaires des autres, point sur lequel nous reviendrons tout à l'heure, cet article 1137 me paraît parfaitement clair, et je ne puis m'expliquer les critiques auxquelles il a donné lieu, que par la préoccupation des anciens systèmes sur la prestation des fautes, à laquelle se sont laissés aller même ceux qui les ont combattus comme inapplicables sous l'empire du droit actuel. Ceci demande quelques courtes explications. 1615. Tout le monde sait que dans l'ancien droit français, qui suivait à cet égard les errements du droit romain, on distinguait trois espèces de fautes: la faute lourde, lata; la faute légère, levis; et la faute très-légère, levissima, qui correspondaient, la première, aux omissions que les personnes les plus bornées ou les plus négligentes ne commettent pas dans leurs affaires propres; la seconde, aux omissions que ne commettrait pas le commun des hommes, ou le bon père de famille; la troisième, aux omissions qu'évite le père de famille très-soigneux et très-diligent. Le débiteur n'était tenu que de la faute lourde dans les contrats faits pour le seul intérêt du créancier; il était tenu de sa faute légère dans les contrats qui ont pour objet l'intérêt réciproque des parties; enfin, il était tenu de sa faute même trèslégère dans les contrats qui ont pour objet l'intérêt unique de la partie qui avait reçu, et qui devait rendre la chose qui faisait l'objet du contrat (1). Cette classification des fautes, fort satisfaisante au premier abord, sous le rapport purement symétrique, ne l'était pas autant dans la théorie, et laissait beaucoup à désirer dans la pratique. Aussi avait-elle été vivement critiquée, soit par les interprètes du droit romain, qui soutenaient avec raison que la division tripartite des fautes n'est pas exacte; que les définitions des fautes lourdes, légères et très-légères, n'ont point une signification assez fixe et assez absolue pour les appliquer dans la pratique; enfin, qu'il n'y a aucun moyen de reconnaître la classe (1) Pothier, Observations placées à la suite du Traité du contrat de mariage; Vinnius, sur le § Quib. mod. res contrah.; Heineccius, Elem. jur. à laquelle une faute devrait appartenir (1); soit par des auteurs qui, envisageant la question surtout dans ses rapports avec le droit français, n'admettaient que deux espèces de fautes qu'ils mesuraient, l'une sur la diligence qu'un homme attentif à ses affaires a coutume d'y apporter, qualem diligens pater familias adhibere solet; et l'autre, sur la diligence que le débiteur de qui on l'exige a coutume d'apporter à ses propres affaires, rebus suis consuetam diligentiam. Dans le premier cas, c'était une faute légère; dans le second cas, c'était une faute lourde (2). Mais si on simplifiait la méthode en réduisant les fautes de trois classes à deux, on n'en faisait pas disparaître les inconvénients, qui restaient les mêmes quand il s'agissait de faire passer la classification de la théorie dans la pratique. 1616. C'est cette méthode vicieuse que le Code Napoléon a voulu faire disparaître. Cela résulte très-positivement de l'exposé des motifs présenté au Corps législatif par l'un des auteurs du Code: « Cette division des fautes est plus ingénieuse qu'utile dans la pratique, disait M. Bigot-Préameneu, après avoir rappelé la division tripartite des fautes; il n'en faut pas moins sur chaque faute vérifier si l'obligation du débiteur est plus ou moins stricte; quel est l'intérêt des parties; comment elles ont entendu s'obliger; quelles sont les circonstances. Lorsque la conscience du juge a été ainsi éclairée, il n'a pas besoin de règles générales pour prononcer suivant l'équité. La théorie dans laquelle on divise les fautes en plusieurs classes, sans pouvoir les déterminer, ne peut que répandre une fausse lueur, et devenir la matière de contestations plus nombreuses. L'équité elle-même répugne à des idées subtiles (3). » L'article 1137 rejetant, en conséquence, les anciennes classifications des fautes, leur donne un régulateur commun, qui est la diligence du bon père de famille, tout en se réservant de de (1) Thomasius, Dissertatio de usu practico doctrinæ de culparum præstatione in contractibus, T. II, dissert. p. 1006; Doneau, Comment. jur. civ., lib. VII, cap. vi. (2) Lebrun, Essai sur la prestation des fautes. Voy. une analyse de cet ouvrage fort rare, dans le Répert. de M. Merlin, vo Fautes. (3) Motifs, t. V, p. 22. mander plus ou moins, relativement à certains contrats qui pourraient se contenter d'une diligence moins éclairée, ou en réclamer une plus active. Néanmoins, les auteurs qui, en écrivant sur le Code Napoléon, ont eu à s'occuper de la prestation des fautes, se rattachent tous aux anciennes classifications, soit qu'ils reconnaissent que le Code les a abolies, soit qu'ils pensent qu'il les a conservées. Ainsi, M. Toullier, qui se prononce pour l'abrogation des anciennes règles admises par les interprètes sur la classification tripartite des fautes, prétend que le débiteur répond de la faute très-légère (1); M. Duranton soutient au contraire que le Code, tout en semblant exclure la théorie des interprètes du droit romain sur la classification des fautes, l'a cependant maintenue, ce qu'il fait résulter de ce que l'article 1137, après avoir pris pour régulateur des fautes la diligence du bon père de famille, dont l'omission constituerait une faute légère, dispose que cette obligation peut être plus étendue, ce qui, suivant lui, conduirait à la faute très-légère, ou moins étendue, ce qui conduirait à la faute lourde (2); enfin, M. Troplong, se plaçant entre M. Toullier et M. Duranton, pense que le Code n'a conservé que la faute lourde et la faute légère, et qu'il exclut toute recherche et toute responsabilité de la faute très-légère (3). Je ne suivrai pas ces jurisconsultes dans les développements où ils sont entrés, et je n'entreprendrai pas l'examen particulier de leurs doctrines respectives. S'il fallait faire un choix entre elles, j'inclinerais à adopter celle de M. Toullier, qui a le mérite de la simplicité, et qui, en n'admettant qu'une seule espèce de faute, se rapproche davantage du système du Code (4). Mais je me bornerai à adresser à ces trois systèmes un reproche commun qui, s'il est fondé, comme je n'en doute pas, les attaque également tous les trois dans leur base commune. En effet, tous les trois partent de ce point qu'il y a des fautes qui, considérées d'une manière abstraite, in abstracto, sont des (1) T. VI, n. 230 et suiv. (2) T. X, n. 398 et suiv. (3) De la vente, t. I, n. 363 et suiv. (4) Voy. M. Duvergier, De la vente, t. I, n. 279 et suiv. |