décide la question par application des principes généraux du droit civil, plutôt que par application des principes particuliers du droit commercial. Il suppose en effet qu'il y a toujours un titre exécutoire ou non exécutoire, tandis que le plus ordinairement, dans les contrats commerciaux qui ont pour objet une chose à livrer, il n'y a ni titre ni acte écrit, mais une simple convention verbale. Or, quand la convention principale peut être prouvée par témoins, ainsi que nous le verrons plus tard (1), je n'aperçois aucune raison qui empêche de prouver par témoins ou par présomptions les faits qui sont la conséquence de cette convention. Pour repousser, quand il s'agit de mise en demeure, l'application des principes qui sont de droit commun en matière commerciale sur l'admissibilité de la preuve testimoniale, il faudrait trouver dans le droit commercial lui-même une disposition formellement dérogatoire à ces principes; car l'article 1139 du Code Napoléon, considéré comme exclusif de la preuve testimoniale ou des présomptions en matière de mise en demeure, disposant dans un ordre d'idées particulier au droit civil, ne peut avoir, en ce point, aucune autorité dans le droit commercial qui est régi, en ce qui touche l'admissibilité de la preuve testimoniale et des présomptions, par des principes tout différents. Je pense donc que le fait de l'interpellation constitutive de la mise en demeure, peut être prouvé par témoins ou par présomptions. 1639. La preuve de la mise en demeure peut même, selon Scaccia, résulter du serment (2). 1640. Il faut du reste remarquer, en ce qui touche les effets de l'interpellation judiciaire ou extrajudiciaire, qu'elle ne constitue le débiteur en demeure qu'autant qu'il n'obéit pas à la sommation qui lui est faite, en se mettant en mesure d'effectuer la délivrance. L'interpellation ne le constitue donc pas en demeure à l'instant même, mais seulement lorsque, depuis l'interpellation, il s'est écoulé un délai moralement suffisant pour qu'il ait pu remplir son obligation; ce délai doit être plus ou moins (1) Voy. inf., ch. vi. (2) De com. et camb., § 1, quæst. 1, n. 387. long, suivant les circonstances de temps et de lieu. D'après Casaregis, il peut être de trois et même de dix jours: Tempus modicum trium vel decem dierum, intra quos debitor non dicitur in mora (1). En cas de contestation, c'est aux juges à pro noncer. 1641. Le débiteur est constitué en demeure ex contractu par la seule échéance du terme, lorsque telle est la convention des parties. Il n'est pas nécessaire que cette convention soit expresse: elle peut être présumée. Il est vrai que l'article 1139 du Code Napoléon semble supposer le contraire. « Le débiteur, dit cet article, est constitué en demeure... par l'effet de la convention, lorsqu'elle porte que, sans qu'il soit besoin d'acte, et par la seule échéance du terme, le débiteur sera en demeure. » Et M. Toullier va même jusqu'à penser que cette formule est sacramentelle, et que la convention doit exprimer en termes précis que le débiteur sera constitué en demeure, sans qu'il soit besoin d'acte, et par la seule échéance du terme (2). Mais le droit commercial admettant toujours les conventions verbales, il est manifeste que les clauses et conditions accessoires de la convention peuvent être arrêtées verbalement, comme la convention principale, se prouver de la même manière, et qu'il ne saurait par conséquent être ici question de clauses nécessaires et exprimées, ni, à plus forte raison, de clauses exprimées dans une forme sacra mentelle (3). Donc, dans tous les cas où il y a lieu de présumer que le terme fixé pour l'exécution de la convention est un terme de rigueur, et qu'il a été dans l'intention des parties que, passé ce terme, le débiteur fût en demeure, la demeure a lieu de plein. droit, sans qu'il soit besoin d'une interpellation. Dans ce cas, c'est l'échéance du terme qui interpelle le débiteur et qui remplit l'office d'une sommation ou de tout autre acte particulier : Dies interpellat pro homine atque constituit in morâ (4). 1642. Mais il est évident que le terme ne peut interpeller le (1) Disc. 161, n. 32. (2) T. VI, n. 249. (3) Cass., 27 avril 1840, Dev., 40. 1. 728, et 18 fév. 1856, Dev., 57. 1. 40. (4) Rote de Gênes, décis. 139, n. 1. débiteur que lorsqu'il est certain et déterminé: Dies incerta seu indefinita non interpellat pro homine (1). Il n'en serait autrement que si l'incertitude du terme dépendait d'une condition dont l'événement le rendrait certain; alors, l'échéance du terme, après l'événement de la condition qui le détermine, pourrait constituer le débiteur en demeure, si telle avait été la convention des parties (2). Suivant Casaregis, le débiteur est constitué en demeure par l'échéance du terme, alors même qu'il est stipulé qu'à partir de ce terme il tiendra la chose due à la disposition du créancier, ad omnem voluntatem creditoris : cette stipulation, loin de rendre le terme fixé incertain et de le reculer en quelque sorte jusqu'à la demande ultérieure, aurait pour effet d'interpeller le débiteur, quia semper remanet in morâ (3). Il me semble au contraire que, dans cette hypothèse, ce n'est pas le débiteur qui est en demeure de livrer, mais bien le créancier qui est en demeure de prendre livraison; puisque le débiteur fait tout ce qu'il doit en tenant la chose à la disposition du créancier, et qu'il ne serait en retard de remplir ses obligations que s'il n'était pas en mesure de livrer au moment où le créancier se présente pour prendre livraison. 1643. On comprend, du reste, que l'échéance du terme ne met le débiteur en demeure que si le retard n'est pas du fait du créancier. Si donc au jour de la livraison il ne se trouve personne pour recevoir la chose au lieu où la livraison doit être faite, ce n'est pas le débiteur qui est en demeure de livrer: c'est encore le créancier qui est en demeure de prendre livraison. Absente creditore, debitor non constituitur in mora per adventum temporis (4). — Debitor non constituitur in morâ quando creditor in loco ubi facienda erat solutio nullam destinavit personam ad recipiendum (5). (1) Rote de Gênes, décis. 61, n. 10; Scaccia, De com. et camb., § 1, quæst. 1, n. 384. (2) Casaregis, Disc. 61, n. 3 et 6. (3) Disc. 38, n. 18. (4) Rote de Gênes, décis. 89, n. 4. (5) Ansaldus, Disc. 54, n. 43. 1644. Quant à la mise en demeure ex lege, il est évident qu'elle ne peut avoir lieu qu'autant que la loi accorde cet effet à l'échéance du terme qu'elle a fixé. On en trouve un exemple dans l'article 1881 du Code Napoléon, relatif au prêt à usage, d'après lequel, si l'emprunteur emploie la chose pour un temps plus long qu'il ne le devait, il sera tenu de la perte arrivée même par cas fortuit. 1645. Les effets de la mise en demeure cessent lorsqu'elle est purgée; c'est-à-dire quand celui au profit de qui elle a lieu y renonce expressément ou tacitement. S'il y renonce expressément, il ne peut y avoir de difficulté; s'il y renonce tacitement, toute la difficulté consiste à apprécier les actes ou les faits desquels on entend faire résulter la renonciation; quant au principe, il ne saurait être douteux. Si, par exemple, le débiteur en demeure de livrer offre la livraison, et que le créancier la refuse, la demeure est purgée au profit du débiteur, et les charges qui en résultent passent sur le créancier (1). Ainsi encore, si le vendeur est constitué de manière ou d'autre en demeure de livrer, et que cependant l'acheteur vienne à se trouver en retard de payer, il n'y a plus de demeure. Implementi defectus ex parte unius ex contrahentibus, excusat alterum à morâ (2). SECTION III. DE L'OBLIGATION DE FAIRE OU DE NE PAS FAIRE. SOMMAIRE. 1646. Différences entre l'obligation de faire et l'obligation de donner. 1647. Comment l'obligation de donner peut se changer en une obligation de faire. Exemples pris dans le contrat de vente. 1648. De ce que l'obligation de faire se résout en dommages-intérêts il ne résulte pas que le débiteur ait l'option entre les dommages-intérêts et l'exécution. — 1649. De l'option qui appartient au créancier, entre les dommages-intérêts ou l'exécution de l'obligation aux frais du débiteur. Exemple pris dans le contrat de vente. - 1650. Autorisation dont le créancier a besoin pour exercer cette option. 1651. Elle n'appartient qu'au créancier, jamais au débiteur. 1652. De l'obligation de ne pas faire. 1653. De l'obligation de veiller à la conservation de la chose qu'on est obligé de donner. -- 1646. On l'a déjà vu, tandis que l'obligation de donner emporte celle de livrer la chose et confère au créancier le droit (1) M. Toullier, t. VI, n. 256; M. Duranton, t. X, n. 448 et suiv. (2) Ansaldus, Disc. 53, n. 24. d'en prendre possession (1), l'obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur (2). C'est ce qu'exprime très-bien cette ancienne formule répétée depuis des siècles par tous les auteurs: Nemo potest præcisè cogi ad factum. Personne ne peut être contraint précisément à un fait. On peut être contraint par la crainte des dommages-intérêts auxquels on s'expose en ne faisant pas ce qu'on a promis de faire, ou en faisant ce qu'on a promis de ne pas faire; mais on ne peut être physiquement et directement contraint à agir contrairement à sa volonté. Il y a dans celui qui ne veut pas accomplir une obligation de pur fait une force d'inertie qui résiste à l'emploi de tous les moyens légaux. Vous me vendez une machine à vapeur qui est déjà construite et qui se trouve dans vos ateliers: cette vente produit une obligation de donner qui vous oblige à me livrer la machine et qui m'autorise à en prendre possession. C'est en ce sens qu'il est vrai de dire, avec Paul, que celui qui a action pour obtenir une chose est réputé avoir la chose même: Qui habet actionem ad rem recuperandam, ipsam rem habere videtur (3). Mais si vous vous engagez au contraire à me construire une machine à vapeur, vous ne contractez qu'une obligation de faire à l'exécution de laquelle je ne puis vous contraindre, et dont l'inaccomplissement ne donne lieu qu'à des dommages-intérêts. 1647. Il est à remarquer que l'obligation de donner peut quelquefois se changer en une obligation de faire. C'est ce qui a eu lieu, spécialement en matière de vente, lorsqu'à raison de sa nature fongible ou de son volume, la chose qui fait l'objet de l'obligation peut être soustraite par le débiteur aux poursuites. du créancier. Dans ce cas, le vendeur qui a soustrait la chose, et qui empêche ainsi l'acheteur d'en prendre possession, ne peut être précisément contraint à la représenter. Son obligation à cet égard n'est qu'une obligation de faire qui se résout en dommages-intérêts, sauf le cas où l'acheteur peut être autorisé, comme (1) C. Nap., 1136. (2) C. Nap., 1142. Voy. sup., n. 1594. (3) L. 15, ff. De reg. jur. |