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TUTELLE.-COMPTE.-TRAITÉ.-PRESCRIPTION.

L'action en nullité d'un traité entre le tuteur et son pupille devenu majeur,fondée sur ce que ce traité n'aurait pas été précédé du compte exigé par l'art. 472 du code civil, se prescrit-elle par dix ans et non par trente ans? Rés. aff. (Code civil, art. 472, 475 et 1304.)

(Le sieur TESSON fils C. le sieur TESSON père.)

Nous avons recueilli un arrêt émané de la section civile, le 26 juillet 1819, qui a jugé que cette action se prescrivait par dix ans, à compter de la majorité du pupille et non à partir seulement de la date du traité (1). Lors de cet arrêt qui, s'il ne décide pas, préjuge au moins d'une manière évidente la question qui nous occupe aujourd'hui, cette question n'a été soulevée par aucune des parties; de part et d'autre on reconnaissait, au contraire, que la prescription décennale était seule applicable: toute la difficulté roulait sur le point de savoir à partir de quelle époque cette prescription devait commencer à courir. Nous ferons toutefois connaître en substance les raisons sur lesquelles on s'est ici fondé pour soutenir que l'action en nullité n'était prescriptible que par trente ans.

Le 14 vendémiaire an 14, le sieur Tesson fils, devenu majeur, fit un traité avec le sieur Tesson, son père, qui avait été son tuteur. Ce traité, dont il est inutile de rappeler les dispositions, ne fut pas précédé dù compte et de la remise des pièces justificatives impérieusement exigés par l'art. 472 du Code civil.

Plus de dix années s'étaient écoulées depuis la majorité du sieur Tesson fils, et même dès la date de l'acte, lorsque son père a poursuivi, devant le tribunal civil de Saintes, l'exécution du traité de vendémiaire an 14.

Tesson fils en a demandé la nullité, comme n'ayant point été précédé du compte préliminaire voulu par la loi; mais le sieur Tesson père a opposé à cette demande la prescription décennale.

Tesson fils a fait de vains efforts, en première instance et en appel, pour soutenir que le Code civil n'avait pas innové à l'ancienne législation, suivant laquelle l'action en nullité des traités passés entre le pupille et le tuteur ne se prescrivait que par trente ans, à partir de la majorité; son action n'en a pas moins été déclarée prescrite par jugement du tribunal civil de Saintes, du 6 juillet 1818, et par arrêt de la Cour royale de Poitiers, du 11 mars 1819. Les motifs qui ont servi de base à ces décisions. sont que l'art. 475 du Code civil veut que toute action du pupille contre son tuteur, pour fait de tutelle, se prescrive par dix ans, et que l'action

(1) Voyez ce Recueil, vol. de 1819, pag. 497.

en nullité d'un traité tend évidemment à rechercher le tuteur relativement à sa gestion; que, d'ailleurs, l'art. 1304 du même Code établit la prescription de dix ans pour l'action en nullité des contrats en général.

Le sieur Tesson fils a déféré cet arrêt à la censure de la Cour de cassation, pour fausse application des art. 475 et 1304 du Code civil, et violation de l'art. 472 du même Code.

Il est constant, a-t-on dit pour le demandeur, quc, sous l'ancienne jurisprudence, l'action en reddition d'un compte de tutelle ne se prescrivait que par trente ans, à compter du jour de la majorité, soit que le pupille et le tuteur aient fait, dans cet intervalle, un traité ou un accord quel

conque.

Ce point de droit n'a pas été abrogé par le Code civil. Si l'art. 475 porte que toute action du pupille contre le tuteur, relativement aux faits de la tutelle, se prescrit par dix ans, à compter de la majorité, le législateur n'a pas littéralement disposé que l'action en reddition de compte se prescrit par dix ans à partir de la majorité, et, il ne résulte pas plus de l'esprit que du texte de cet article, que le mineur, devenu majeur, n'ait que dix ans pour demander son compte de tutelle, ou pour faire annuller les traités ou conventions par lesquels il se serait interdit le droit de l'exiger.

S'il eût été dans la pensée du législateur de comprendre, dans la prescription décennale, l'action en reddition de compte, il n'aurait pas manqué de le déclarer en termes formels, ou du moins assez clairs pour qu'on ne pût pas s'y méprendre ; il aurait dit : toute action quelconque du pupille contre son tuteur se prescrit par le laps de dix ans; mais, loin de là, il dit que l'action du mineur, seulement à l'égard des faits de la tutelle, se prescrit par le laps de dix ans : il limite donc expressément la prescription décennale aux faits de la tutelle.

Cette différence, établie par le législateur, entre l'action relative aux faits de la tutelle et l'action en reddition de compte, n'a rien d'étonnant, rien qui ne puisse facilement s'expliquer. Autre chose sont certains faits particuliers de la tutelle; autre chose est l'obligation de rendre compte. Cette obligation et son accomplissement sont même en quelque sorte hors de la tutelle, car ce n'est qu'après la majorité du mineur, et par conséquent après la fin de la tutelle, que le tuteur doit le compte de sa gestion, et que le mineur peut l'exiger.

Les faits que le législateur a eu en vue et pour lesquels il a admis la prescription décennale, sont relatifs à l'impéritie, à la négligence et même àu dol du tuteur. Il peut avoir commis ou laissé commettre des dégradations dans les immeubles du mineur; il peut n'avoir pas assez veillé à la culture des terres et à l'entretien des bâtimens; il peut avoir fait des coupes de bois en temps inopportun et vendu les bois à vil prix, avoir passé des baux ruineux; il peut avoir laissé le mobilier dépérir, des créances s'éteindre par la prescription; tous ces faits de tutelle et beaucoup d'autres qu'il

serait trop long d'énumérer, sont ceux pour lesquels le législateur a voulu affranchir le tuteur de toute responsabilité, dix ans après qu'il a cessé ses fonctions, et pour lesquels il a déclaré l'action du pupille éteinte après ce laps de temps. Il s'y est déterminé par la considération qu'une période de dix années est assez longue pour que le pupille puisse acquérir des renseignemens certains sur la bonne ou mauvaise administration du tuteur; que, dans ces dix premières années de sa majorité, il peut aisément prouver en justice les faits d'impéritie, de négligence et de fraude de son tuteur; que la preuve en devient plus difficile, plus hasardeuse et plus suspecte après cet espace de temps.

Enfin, le législateur a considéré que les faits de tutelle dont on vient de parler ne constituent pas toute la tutelle; qu'ils ne sont que des abus particuliers du pouvoir dont le tuteur était investi par la loi, et qu'indépendamment de ces faits, reste l'administration générale du tuteur; qu'il est comptable des capitaux, des créances, des effets mobiliers du mineur et du produit dé ses biens; qu'il n'y a pas d'incertitude sur l'existence et la quotité de toutes ces choses; qu'elles sont d'avance constatées par un inventaire ou par d'autres pièces probantes; qu'ainsi le dépérissement et les dangers de toute autre preuve, après un long espace de temps, ne sont pas à craindre; qu'il est aussi facile d'établir et de reconnaître à cet égard au bout de trente ans, qu'au bout de dix, quelles sont les obligations du tuteur envers son pupille, et qu'il serait inique que le tuteur qui aurait mal géré pût s'approprier le mobilier et le revenu de tous les biens du pupille pendant la tutelle, sous le prétexte qu'il n'aurait pas été actionné en reddition de compte par le pupille, dans les dix premières années de la majorité de celui-ci.

Au surplus, ce n'est pas seulement contre le tuteur, c'est aussi contre des tiers que le mineur peut avoir des répétitions à faire; comment saurat-il à qui s'adresser, si on ne lui rend pas compte de l'état de sa fortune? L'action en reddition de compte peut donc avoir un effet, une utilité trèsmarquéc, alors même que le tuteur se placerait hors de toute responsa

bilité.

Ces motifs n'ont pas pu échapper à la sagacité du législateur, et ils ont dû déterminer sa sagesse à établir une différence entre certains faits de la tutelle préjudiciables au mineur et provenant de l'incurie, de l'erreur ou du dol du tuteur, et la masse de la tutelle, c'est-à-dire l'administration générale des biens et affaires du mineur; ils ont déterminé le législateur à frapper de la prescription décennale toute action du mineur, relative à certains faits de la tutelle, et à n'admettre, comme les lois antérieures, que la prescription trenténaire par rapport à la reddition des comptes de toute l'administration du tuteur.

Quant au motif tiré par le tribunal de première instance, et par l'arrêt attaqué de l'art. 1304 du Code civil, qui déclare périmée et éteinte après dix ans toute action en rescision ou en nullité de contrat, il est emprunté des anciennes ordonnances, et particulièrement de celle de 1510; et on a

vu que, dans l'ancienne jurisprudence, et malgré cette prescription décennale établie pour les demandes en rescision ou en nullité de contrats, l'action en nullité d'un traité fait entre un tuteur et son pupille, avant la reddition de compte, ne durait pas moins trente ans ; pourquoi n'en seraitil pas de même aujourd'hui ?

Ainsi raisonnait le demandeur en cassation.

ARRÊT.

LA COUR, — sur les conclusions de M. Lebeau, avocat général; -ATTENDU, en droit, que toute action du mineur contre son tuteur, relativement aux faits de la tutelle, se prescrit par dix ans à compter de la majorité; d'où il suit que, s'il est vrai que tout traité intervenu entre le tuteur et le mineur, devenu majeur, est nul s'il n'a été précédé de la reddition d'un compte détaillé et de la remise des pièces justificatives, le tout constaté par un récépissé de l'oyant compte dix jours au moins avant le traité, il est vrai aussi que l'action pour poursuivre cette nullité, se rattachant essentiellement à tous les faits de la tutelle, est nécessairement prescrite par dix ans à compter de la majorité, si d'ailleurs le même traité est à l'abri de tout reproche qui pourrait donner lieu à l'action ordinaire en nullité ou en rescision des conventions; car autrement, même après dix ans à compter de la majorité, tous les faits de la tutelle pourraient de nouveau être mis en question à la suite d'une action relative aux mêmes faits de tutelle; et, d'une part, le mineur, lié par une obligation contractée par luimême dans sa majorité, serait d'une condition meilleure que le mineur auquel on ne pourrait objecter aucun fait de sa part; et, de l'autre, le tuteur qui aurait été déchargé par un traité passé avec le mineur, devenu majeur, serait soumis à une responsabilité plus longue que le tuteur qui n'aurait jamais pris soin de liquider son administration; Et ATTENDU qu'il a été reconnu, en fait, 1o que, le 14 vendémiaire an 14 (6 octobre 1805), époque du traité passé entre Tesson père, ci-devant tuteur, et Tesson fils, celui-ci était déjà majeur ; 2° qu'aucun reproche ne pouvait être fait à ce traité, hors celui de ne pas avoir été précédé du compte détaillé de tutelle et de la remise des pièces dans le délai de la loi; 3° enfin qu'il a été constamment exécuté par Tesson fils pendant onze ans, non seulement à compter de sa majorité, mais encore à compter de l'époque du même traité; que, dans ces circonstances, en décidant que l'action de Tesson fils, en nullité dudit traité et en reddition du compte tutélaire, était non recevable, l'arrêt attaqué a fait une très-juste application des lois de la matière;→ REJETTE.

Du 14 novembre 1820.

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Section des requêtes. M. le baron Henrion-de-Pensey, président. M. le conseiller Lasagni, rapporteur,

M. Odilon-Barrot, avocat.

CONFLIT. AUTORITÉ ADMINISTRATIVE.—POURVOI EN CASSATION.ORDONNANCE DU ROI.

Le conflit peut-il étre élevé par l'autorité administrative sur un arrêt ou un jugement en dernier ressort qui n'a point été acquiescé, et à l'égard duquel le délai du pourvoi en cassation n'est point expiré?

La Cour de cassation peut-elle statuer sur le pourvoi formé contre un arrêt qui a été déclaré nul par une ordonnance du roi rendue depuis ce

pourvoi, après une instruction contradictoire au conseil d'état et sur le rapport du comité du contentieux? Rés. nég..

Il n'est point de matière qui touche de plus près à l'ordre public que celle des conflits, puisqu'elle est liée d'une manière intime à l'ordre des juridictions; mais il n'en est point non plus sur laquelle la jurisprudence du conseil d'état présente davantage de variations.

On a d'abord commencé par établir que les décrets en matière de conflit étant d'ordre public, il n'y avait point lieu d'appeler les parties en cause, ni d'admettre leur opposition à ces décrets (1); et de conséquence en conséquence, on est allé jusqu'à décider que le conflit pouvait être élevé après des arrêts ou jugemens en dernier ressort rendus par les tribunaux, les Cours royales et par la Cour de cassation elle-même (2).

Toutefois, on n'a pas tardé à reconnaître les inconvéniens de ce système, dont l'effet était d'anéantir l'autorité de la chose jugée. On a senti que, quand un jugement ou un arrêt n'a pas été, après due signification, attaqué dans le délai voulu par la loi, soit en appel, soit en cassation, ou lorsqu'il a été volontairement exécuté et acquiescé par les parties, il a dèslors obtenu l'autorité de la chose jugée, et que le conflit ne doit pouvoir l'atteindre qu'autant que cet acquiescement ou cette exécution volontaire n'ont point eu lieu, ou bien que les délais ne sont point expirés.

On est même allé plus loin, et le conseil d'état a décidé que les jugemens en dernier ressort et les arrêts des Cours royales avaient le caractère de la chose jugée dès l'instant où ils étaient prononcés, et que, dès ce moment, il ne pouvait plus être élevé de conflit, parce qu'il n'y avait plus de contestation (5).

Mais enfin le conseil d'état est revenu au second système qu'il avait embrassé, suivant lequel le conflit peut être élevé tant que l'arrêt ou le jugement en dernier ressort est susceptible d'être attaqué par la voie de la cassation, parce qu'alors cet arrêt ou ce jugement ne présenté point les caractères de la chose irrévocablement jugée. Il résulte d'une ordonnance royale du 4 août 1819 que tel est le dernier état de la jurisprudence du conseil d'état, et à cet égard nous croyons devoir mettre sous les yeux de nos lecteurs l'opinion de M. le baron de Cormenin, maître des requêtes, opinion que nous trouvons consignée dans un de ses lumineux rapports... « Ce système, dit-il, respecte la division des pouvoirs dans leur essence comme dans leur application; il satisfait pleinement aux besoins de l'administration sans altérer le principe du droit civil et sans enchaîner l'indépendance des tribunaux; il ouvre aux particuliers comme à l'état un

(1) Décrets des 18 septembre 1807, 11 janvier et 24 août 1808.

(2) Décret du 9 messidor an 11.

(3) Arrêt du conseil, du 6 février 1815, sur le conflit élevé par le préfet du département du Var, le 26 juillet 1813, contre un arrêt de la Cour royale d'Aix, du 27 avril précédent. (Voyez Bulletin des Lois, vol, de 1815, pag. 133.)

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