qu'ils y étaient eux-mêmes; qu'elle avait reçu trois écus de cinq francs et quelques autres pièces de monnaie qu'on avait trouvées dans les poches du sieur Fualdès; qu'une clef, qui fut également trouvée sur lui, fut donnée à un monsieur de la campagne ; qu'enfin ces messieurs avaient dit qu'ils ne tuaient pas pour de l'argent. Les enfans Bancal, séparés de leurs parens et soustraits ainsi à leur influence, avaient, avec toute la naïveté de leur âge, raconté d'autres détails : Madelaine, une des filles, ne cachait point que son père et sa mère étaient en prison parce qu'on avait tué un monsieur chez eux. Elle avait été témoin du crime. Le soir où il avait été commis, sa mère l'avait menée coucher dans une chambre au second étage de la maison qu'ils habitaient; agitée par la crainte ou par la curiosité, à peine avait-elle été laissée seule, qu'elle se leva, descendit au rez-de-chaussée, et, passant derrière une armoire, elle se glissa dans le lit de son père et de sa mère. Bientôt les assassins entrèrent dans la chambre en traînant leur victime. A travers un trou du rideau du lit elle vit étendre le monsieur sur la table. Pendant qu'on le saignait, son père tenait la lampe et sa mère recevait le sang. Elle ajoutait avec son jeune frère qu'il y avait des messieurs qu'ils ne connaissaient pas, excepté celui de la place de la Cité; que c'étaient ces messieurs qui avaient égorgé celui qui était mort, et qu'après ils l'avaient emporté hors de la maison. Ces renseignemens ne furent pas les seuls qu'obtint la justice; s'ils suffisaient pour déterminer le lieu où le crime avait été commis et la participation qu'y avaient eue les époux Bancal, rien encore ne précisait quels étaient les coupables et leur nombre. La fille Anne Benoit, qui demeurait dans la maison Bancal, et depuis impliquée au procès, répéta à plusieurs personnes qu'on aurait beaucoup de peine à connaître les auteurs de l'assassinat : « On cherche à le savoir, disait-elle, mais on ne le saura pas, on n'a pas pris de témoins; cela ne s'est pas fait dans la maison Bancal, mais hors de la ville, dans quelque jardin. C'est pour cause d'opinion, et non d'intérêt, qu'on l'a tué. On l'a saigné sur une table comme un cochon. Ce sont les nobles qui ont commis le crime. >> Ces propos, qui contredisaient en quelques parties les circonstances déjà connues, auraient pu plonger les magistrats dans une grande perplexité, si l'opinion publique, en désignant hautement les assassins, ne les avait ramenés à examiner scrupuleusement la conduite d'hommes qui d'abord avaient appelé leur attention, et qui avaient su adroitement détourner les soupçons dont ils avaient été l'objet. Pouvait-on, en effet, croire, sur des accusations qu'il n'était pas impossible à la malveillance d'avoir dictées, que des amis, des parens de Fualdès, des hommes appartenant aux familles les plus considérables du pays, admis dans les plus hautes sociétés de Rodez, eussent tout-à-coup rompu les liens d'une longue amitié, et, de vertueux qu'ils paraissaient, fussent devenus subitement des scélérats capables du plus horrible forfait? Bastide et Jausion, à qui la population tout entière demandait compte du meurtre de Fualdès, étaient, le premier un propriétaire-cultivateur, l'autre agent-de-change à Rodez, et l'indépendance de leur fortune semblait les garantir contre la plus simple idée d'un attentat qui n'aurait eu sa source que dans la plus inexplicable cupidité ou dans les suggestions d'une mortelle haine. Cependant on fut contraint de se rendre à l'évidence, lorsqu'à l'appui des premiers faits, qui tendaient à incriminer ces deux individus, se joignirent de nouveaux élémens de conviction. Le lendemain du crime, Jausion s'était introduit dans la maison Fualdès vers les sept heures et demie du matin; l'affreuse nouvelle était déjà publique. Au lieu d'aller porter à la veuve les consolations que réclamait le malheur qui venait de la frapper, Jausion monte aux appartemens, les fouille, et, pénétrant dans le cabinet de Fualdès, y enfonce, à l'aide d'une hache, un bureau d'où il soustrait un sac d'argent, un livre-journal, où M. Fualdès inscrivait toutes ses affaires, un grand porte-feuille de maroquin à fermoir, et plusieurs effets de commerce que M. Fualdès avait reçus la veille de M. de Séguret. Il se garde bien de parler à la veuve de ce qu'il a fait, et dit à un domestique, qui lui voit le sac d'argent dans les mains: Je prends ce sac, parce qu'on doit mettre le scellé; il ne faut rien dire à personne. Le même jour, à dix heures du matin, Bastide Gramont frappa rudement à la porte, et demanda, d'un air égaré, si Fualdès y était. (Alors personne n'ignorait sa mort.) « Que dites-vous? » répondit la fille à qui il s'adressait. Bastide, passant sa main sur sa fi gure, reprit : « Ah! je me trompe! il faut aller tout fermer. » Il monta rapidement à la chambre du maître de la maison sans demander d'être accompagné; la fille le suivit : il courut à l'armoire où Fualdès tenait certains papiers, y mit la main, en ferma la porte et en ôta la clef; il ferma aussi la chambre; mais, dans ce moment, la servante de la maison se présenta pour retirer les draps du lit, et Bastide rouvrit cette chambre; il se plaça d'un côté du lit; la servante tira la couverture pour la rouler; alors il tomba aux pieds de Bastide quelque chose qu'il ramassa aussitôt en manifestant beaucoup d'étonnement : « C'est une clef, dit-il, nous la mettrons avec les autres. » Cette clef était précisément celle du bureau de M. Fualdès, et que celui-ci ne quittait jamais. Tous ces faits étaient confirmés par les dépositions de nombreux témoins. Jausion avait été vu le 20 mars dans la maison Fualdès avec son épouse, sœur de Bastide, et la dame Galtier, par les domestiques et un ami de Fualdès. Avant de s'y rendre, et lorsqu'on lui apprit la mort de Fualdès, il ne témoigna ni surprise, ni émotion; au contraire, rencontré sur la place de la Cité par une personne qui lui parla du funeste événement, il avait répondu : Eh f.....! que voulez-vous que j'y fasse? Quant à Bastide, sa présence à Rodez dans la soirée du 19 mars était démontrée d'une manière incontestable; nombre d'habitans l'y avaient vu, et plusieurs déposaient qu'ils l'avaient entendu ce jour même fixer pour le soir un rendez-vous à M. Fualdès. Jausion et Bastide furent arrêtés, et avec eux les nommés Bach, Colard, Missonnier, Bousquier, et la fille Anne Benoit, que de nombreuses déclarations firent regarder comme complices du crime. Chaque jour semblait jeter de nouvelles lumières sur les circonstances de l'assassinat de M. Fualdès. D'abord on eut de fortes raisons de croire qu'un autre lieu que la maison Bancal avait été désigné pour en être le théâtre. Un mendiant nommé Laville, couché dans une écurie dépendant de la maison de Missonnier, déclara avoir entendu qu'on se débattait dans la rue, près de la porte de l'écurie où il était couché. On poussa deux fois la porte. Le malheureux qu'on traínait, arrivé devant la maison Bancal, fit deux ou trois cris, dont le dernier était étouffé, comme celui d'une personne qui suffoquerait. Pendant ce temps des joueurs de vielle (1) étaient placés devant la maison Bancal, et firent entendre pendant une heure environ le son de leurs instrumens. Un témoin, le sieur Brast, raconta que vers les huit heures un quart il entendit marcher dans la rue plusieurs personnes qui paraissaient porter une balle ou paquet; qu'elles s'arrêtèrent devant la maison Bancal; qu'une porte s'ouvrit et se ferma; mais que le son de la vielle l'empêcha de distinguer si c'était celle de Bancal; que peu de temps après il entendit des sifflets et des hem! Les personnes qui marchaient ne faisaient pas de bruit et paraissaient avoir des escarpins. Cette déclaration, corroborée par beaucoup d'autres, établissait, avec (1) Ils disparurent le lendemain matin, et toutes les recherches faites pour les retrouver furent inutiles. |