Images de page
PDF
ePub

dernier fit un mouvement, se leva, et, s'adressant à Bastide, il lui dit avec force : <<< Eh quoi! pourra-t-on jamais croire que mes parens et mes amis soient au nombre de mes assassins? » Pour toute réponse, Bastide-Gramont saisit Fualdès, veut l'étendre sur la même table où il venait de signer les billets; les individus qui l'entouraient le secondent, Fualdès résiste; au milieu des efforts qu'il faisait pour se défendre, je l'entendis qui demandait un moment pour se réconcilier avec Dieu.

>> Bastide-Gramont fut celui qui lui répondit: Va, tu te réconcilieras avec le diable. Enfin Fualdès est dompté et étendu sur la table. Jausion, qui tenait un couteau à la main, lui porta le premier coup (mouvement d'horreur dans l'auditoire); j'ignore s'il le blessa. Fualdès fait un effort, la table est renversée. Il échappe des mains de ses assassins; il se dirige vers la porte; je m'y trouvais placé; je ne fis aucun mouvement pour l'arrêter. Bastide, qui s'en aperçut, me donna un soufflet, et, de concert avec les autres individus, il ressaisit Fualdès, et, de nouveau, ils l'étendent sur la même table, qui avait été redressée. Dans le moment, Bastide s'arme du couteau; il le plonge, à plusieurs reprises, dans la gorge de Fualdès; ce dernier poussait des gémissemens et des cris étouffés; j'ignore s'il avait été tamponné, ou seulement baillonné.

>> La femme Bancal recevait le sang, non dans une cruche, mais dans un baquet. Les deux autres femmes étaient de l'autre côté de la table; elles ne prenaient aucune part à tous ces apprêts. Lorsque Fualdès eut expiré, on prit son corps, on le transporta sur deux bancs près de la croisée qui donne sur la rue. Bientôt après on replaça le corps de Fualdès sur la table. Ce fut là qu'on fouilla les poches de ses vêtemens, et qu'on en retira les objets dont j'ai parlé dans mes précédens interrogatoires. Je confirme de nouveau tout ce que j'ai dit, tant à l'égard de la chemise que de la bague et des pièces d'argent données à la femme Bancal. Je me rappelle que ce fut Jausion qui, ayant retiré d'une des poches une clef, la donna à Bastide en lui disant: Va, ramasse le tout. Cela fait, Jausion sortit.

>> Peu de temps après on entendit du bruit dans un cabinet donnant sur la cour. Bastide demanda avec vivacité à la femme Bancal d'où provenait ce bruit; celleci répondit qu'il y avait une femme. Bastide-Gramont ouvre la porte, il saisit cette femme. Elle était travestie en homme. Il la traîne dans la cuisine, il veut l'égorger. Celle-ci lui dit: Je suis une femme, je vous demande la vie. Bastide lui porte les mains sur la poitrine, tenant encore le couteau avec lequel il venait d'égorger Fualdès; il persiste à vouloir lui arracher la vie. Je m'oppose de tous mes moyens à ces excès.

» Dans cet intervalle, Jausion rentre dans la cuisine, fait des reproches à Bastide, et lui dit: Tu es déjà embarrassé d'un cadavre, que feras-tu de l'autre? Je me joins à ces instances pour sauver cette femme; je l'avais reconnue, quoique travestie, pour être la fille de M. Enjalran, que j'avais vue à Rodez, dans le temps que M. de Guyiou était préfet. Bastide consent enfin à lui donner la vie, mais exige d'elle un serment; on la contraint à se mettre à genoux, à étendre la main sur le cadavre; et là, on lui fait faire le serment de ne rien dire, à peine de perdre la vie par le fer ou par le poison. Elle se relève : je m'aperçois qu'elle avait du sang à l'un des doigts de la main.

>> Jausion la prend sous sa sauve-garde, et la conduit hors de la maison Bancal. Il était alors à peu près neuf heures et demie. Je reçus l'ordre de Bastide-Gramont d'aller chercher Bousquier. Je sortis, accompagné de Bessières-Veynac, de Réné et du marchand de tabac. Arrivés dans la rue du Terral, les trois individus se portèrent au Coin de Françon de Valat, moi je me dirigeai vers le puits de la place de Cité; je m'arrêtai quelques instans, et lorsque je vis passer Bousquier, je l'appelai; nous fûmes ensemble chez Bancal, où, étant arrivés, je ne vis plus dans la cuisine Louis Bastide, Yence, Bessières-Veynac, Réné et le marchand de tabac. >>>

Un long débat s'engage sur la déclaration qu'on vient de lire; madame Manson ne conteste point la vérité des faits qu'elle contient; Jausion, au contraire, les nie avec fureur, et traite Bach de coquin, d'assassin plus cruel que ceux qui ont assassiné Fualdès. On demande au révélateur s'il a secondé les meurtriers. <<Non, répond-il; si on m'avait dit d'aider, je l'aurais fait. » Le résultat le plus favorable à l'accusation, de la discussion animée qu'entraînent les aveux de l'accusé, est que M. Fualdès signait en long les effets qui lui étaient présentés : ce qui prouverait qu'il ne souscrivait que des endossemens, et indiquerait la source de l'émission des nombreux billets à la charge de sa succession.

Me Tajan prend ensuite la parole pour continuer son plaidoyer. Dans la séance de la veille, après avoir démontré, suivant la division de son discours, les causes et les moyens d'exécution de l'assassinat, il était arrivé à la preuve de cette proposition, que Bastide était l'un des auteurs du crime; prenant successivement à l'appui de l'accusation les témoignages reçus par la Cour, il établit la participation de Bastide à l'assassinat et au vol, et réfute d'une manière victorieuse l'alibi invoqué par cet accusé; enfin il s'écrie :

« Entre dix et onze heures, Bastide se présente de nouveau devant la maison Fualdès; il frappe, Antoinette Matthieu vient ouvrir: elle est effrayée de son air. Le croiriez-vous, messieurs, Bastide demande M. Fualdès !!! .....

A

>> Quoi ! vous demandez Fualdès! Ah! dites plutôt ce que vous en avez fait, et obéissez enfin à vos remords! Ne voyez-vous pas que son ombre vous poursuit; que c'est elle qui vous presse, qui vous entraîne dans une maison remplie de son nom et des souvenirs de sa tendresse, comme pour vous forcer d'en reconnaître la puissance, et de révéler votre hideuse ingratitude en présence de tout ce qu'il aime ! Vous demandez Fualdès! Mais ce nom, comment avez-vous osé le prononcer? Comment n'avez-vous pas craint que cette femme que vous interrogiez, et que vos traits avaient déjà glacée d'effroi, ne lût sur votre front la preuve de votre crime ? Comment n'avez-vous pas craint qu'elle ne découvrît sur vos mains les empreintes du sang que vous aviez versé? Vous demandez Fualdès! Allez voir encore son cadavre, vous le trouverez sur le rivage; allez vous assurer de nouveau que c'est bien là votre victime; mais elle n'est plus gémissante et plaintive comme dans les momens affreux où elle palpitait sous vos coups.... vous la trouverez terrible et menaçante contre ses assassins!... >>>

Il serait difficile de rendre l'effet qu'a produit ce mouvement vraiment oratoire; un murmure approbateur qui s'est élevé de toutes les parties de la salle, a interrompu un instant Me Tajan.

Bastide lui-même a paru déconcerté. L'avocat semblait avoir ramené devant ses yeux sa sanglante victime.

Me Tajan s'attache à démontrer que Bastide avait pénétré dans les appartemens de M. Fualdès, qu'il ouvrit un placard, qu'il laissa tomber une clef qui fut reconnue pour être celle du tiroir de son bureau; clef qu'il portait toujours sur lui avec son passe-partout.

Il s'occupe de la réfutation de tous les moyens de défense que Bastide a laissé entrevoir pendant les débats; puis il ajoute :

<< En faut-il davantage, Messieurs? dois-je encore rappeler l'immoralité de l'accusé Bastide; cette immoralité effrayante qui avait déjà traduit Bastide devant le tribunal de l'opinion publique avant qu'il fût déféré au tribunal des lois?

1

« PrécédentContinuer »