celles que nous avons rapportées, les faits qui avaient précédé l'entrée des assassins chez Bancal; l'instruction recueillit d'autres détails sur ce qu'ils avaient fait ensuite. La fille Monteil demeurait dans la maison Ban-. cal le 25 mars la jeune Madelaine Bancal lui conta tout. Elle lui fit voir les deux trous du rideau du lit par lesquels elle avait tout vu; elle demanda du pain, la fille Monteil prit un couteau pour lui en couper, mais Madelaine s'opposa à ce qu'on en fît usage, en lui disant: C'est avec ce couteau qu'on a tué le monsieur. Tous ces témoignages n'auraient peut-être pas suffi à dissiper les doutes qui, subsistaient encore; il n'existait dans la réalité à l'appui de la prévention contre Bastide et Jausion que leurs démarches dans la matinée du 20 mars; les déclarations d'un enfant de huit `ans n'étaient pas dignes d'une telle créance, que sur elle seulement on pût baser une terrible accusation.' Vainement les plus graves présomptions s'accumulaientelles. Il était en quelque sorte avéré, en admettant la présence de Bastide chez Bancal, qu'aussitôt que cet accusé s'était aperçu que Madelaine était restée dans l'appartement, il avait offert à Bancal une somme d'argent pour se défaire d'un enfant dont les propos pouvaient éclairer les recherches de la justice; on rapportait même comme certain que, dans cette intention, on envoya la jeune fille porter à manger à son père, qui piochait dans les vignes; que celui-ci avait promis de joindre un nouveau crime à celui déjà commis; mais que, vaincu par la tendresse paternelle, sensible encore aux douces affections de la nature, lorsqu'il avait vu sa fille s'approcher, il n'avait pas eu la force de consommer le sacrifice qu'on lui avait demandé; au contraire, qu'il l'avait accueillie en fondant en larmes, et qu'aussitôt il l'avait congédiée en lui disant : Sois toujours bonne fille. Cependant, nous le répétons, il était difficile d'ajouter une foi entière aux déclarations de la jeune Bancal, à des bruits de ville dont rien n'attestait la véracité; mais bientôt un éclair imprévu vint jeter une lueur nouvelle sur les faits de l'affaire. On avait répété dans le monde qu'une dame appartenant à une des familles les plus considérées du département de l'Aveyron s'était trouvée, conduite par un motif que chacun expliquait à sa manière, dans la maison Bancal au jour et à l'heure que l'assassinat avait été commis, et qu'elle avait été témoin du crime. Toutefois ce que l'on racontait paraissait trop mystérieux et romanesque. On désignait plusieurs femmes à qui leur éducation et le rang qu'elles avaient dans la société interdisaient, sous peine du déshonneur, l'entrée du repaire habité par Bancal et sa famille; la justice n'avait donc pu asseoir aucune probabilité sur des propos souvent contradictoires, et que l'on pouvait croire inventés par le désœuvrement ou l'amour du merveilleux. Voici comment cessèrent toutes les incertitudes : Un officier nommé Clémandot, habitant momentanément Rodez, était un jour à déjeûner avec quelques personnes. La conversation roulait sur l'assassinat de M. Fualdès, et l'on en répétait la circonstance concernant la dame qui y était présente, en citant une demoiselle de la ville. M. Clémandot, entraîné par un sentiment de justice, dit hautement: Cela est faux, car je sais qui c'est. Le jour même, il fut appelé devant M. le juge d'instruction, et fit entre les mains de ce magistrat une déclaration d'où il résulte que, le 28 juillet 1817, au soir, étant à la promenade avec la dame Manson, il lui dit que le bruit courait dans la ville que, le soir de l'assassinat de Fualdès, une dame ou une demoiselle s'était trouvée dans la maison Bancal, où on soupçonnait que le crime avait été commis; qu'elle y était restée, malgré elle, pendant tout le temps de cette horrible exécution; qu'elle y avait été par suite d'un rendez-vous donné; qu'on en citait plusieurs, et qu'elle était du nombre. « La dame Manson, ajouta M. Clémandot, ne rejeta pas, selon moi, cette déclaration avec assez de chaleur.» Il la crut fondée, et, l'ayant pressée de questions, madame Manson lui avoua que c'était elle qui y était. Il serait difficile de peindre l'émotion qu'éprouva M. Clémandot, en entendant un pareil aveu. Il pressa de nouveau madame Manson, et la pria de ne lui rien cacher, l'assurant qu'il prenait le plus grand intérêt à sa position, en pensant au danger qu'elle avait dû courir. Elle lui dit alors, qu'étant entrée dans cette maison, et parlant avec la femme Bancal, elle entendit, au dehors, un bruit occasioné par plusieurs personnes qui semblaient se disputer l'entrée ; qu'alors la femme Bancal la poussa dans un cabinet attenant, où elle l'enferma; que la vivacité avec laquelle ce mouvement fut exécuté la jeta dans une grande frayeur; que cette frayeur redoubla lors qu'il ne lui fut pas possible de douter qu'on venait de commettre un crime affreux ; et plus encore, lorsque, malgré son trouble, elle put entendre que ses jours étaient menacés; qu'enfin on la fit sortir, et qu'on la reconduisit en lui faisant promettre le plus grand secret sur tout ce qu'elle avait pu voir et entendre, et en lui disant qu'elle paierait de sa vie la moindre indiscrétion. Elle ajouta qu'elle avait été long-temps à se remettre de sa frayeur; que pendant dix jours elle avait fait coucher avec elle une petite fille de chez la dame Pal, où elle demeurait, et que chaque soir, en rentrant, elle visitait tous les coins et recoins de son appartement. M. Clémandot dit à madame Manson que, puisqu'elle s'était trouvée dans la maison Bancal, elle devait savoir quels étaient les assassins. « Avez-vous reconnu, ajoutat-il, Bastide Gramont? » Elle répondit que, ne l'ayant vu qu'une fois, elle n'avait pu le reconnaître. «< Et Jausion? —Ah! dit-elle, je ne l'ai vu que deux ou trois fois, et je pourrais difficilement le distinguer d'avec son frère. » M. Clémandot lui fit observer qu'étant du pays, il était surprenant qu'elle n'en connût pas mieux les habitans; à quoi elle répondit qu'elle avait été long-temps absente. M. Clémandot termina en ces termes ses déclarations: << Il est une foule de petits détails qui ont échappé à ma mémoire. Ce que je puis dire avec vérité, c'est que la faiblesse des raisonnemens de madame Manson, et l'embarras que lui causaient mes pressantes questions sur ces deux personnages ( Bastide et Jausion), me convainquirent qu'elle connaissait tous les acteurs de cette horrible scène. Ma conviction était si forte, que je dis « Madame, tout ce que vous venez de me dire présente comme un des principaux coupables un homme qu'on ne croyait coupable que du vol commis chez M. Fualdès le lendemain de son assassinat.-Qui donc? me dit-elle alors.-- Jausion, » lui dis-je. A l'instant elle se couvrit le visage et dit : Ne parlons plus de cela; ce que je pris pour un avèu tacite. Je ramenais sans cesse la conversation sur cette affaire ; et lui ayant dit, d'après le bruit qui courait dans la ville, que Bastide et Jausion n'étaient sans doute pas les seuls machinateurs de cet assassinat, elle me répondit qu'en effet il en était encore deux autres qui jouaient un rôle et qui n'étaient point arrêtés, ajoutant qu'elle ne les connaissait pas. Je lui demandai pourquoi elle n'avait pas fait de révélations à la justice. « Ces gens-là, me dit-elle, tiennent à tant de familles ! tôt ou tard, je paierais bien cher mon imprudence; d'ailleurs, les visites que j'ai reçues de madame Pons et de madame Bastide (1) m'en ont empêchée. Ces révélations étaient d'une trop haute gravité pour que l'on ne s'empressât pas d'acquérir la preuve qu'elles reposaient sur la vérité. La dame Manson était fille d'un magistrat recommandable, épouse d'un ancien officier; le nom de sa famille, plus encore peut-être que les qualités qu'elle avait reçues de la nature, lui avait ouvert les meilleures sociétés de Rodez; mais, à une (1) La première, belle-sœur des deux accusés principaux; l'autre, femme de Bastide. |