faibles et sans défense, dans un moment où sa fureur lui avait fait trouver dans un crime une farouche volupté, Mais que son réveil fut prompt, s'il est vrai qu'un instant la passion put tenir sa raison engourdie! car, certes, il faut croire qu'un moment la fureur parla plus haut qu'elle. Mais est-ce là de la monomanie? Il est impossible de le penser. Papavoine cherchait dans une vengeance, dont l'objet lui était indifférent, un allégement à de vagues inquiétudes, à une profonde mélancolie; peut-être aussi tout autre individu qu'une créature humaine aurait-il pu l'assouvir; j'irai plus loin, il eût été possible qu'il tombât lui-même victime de ses propres coups, s'il eût été seul lorsque cette fièvre homicide s'empara de lui. Mais, comme l'a fort judicieusement observé un savant légiste, « la justice n'a pas besoin de plonger dans les abîmes du cœur humain lorsque le crime est constant et que la société en demande la répression. >> Après ces réflexions préliminaires, que nous avons cru devoir faire précéder les détails de l'assassinat que Papavoine commit sur les enfans Gerbod, afin de préparer le lecteur aux singularités de ce tragique événement, nous allons raconter les principales circonstances de la vie du prévenu. Louis-Auguste Papavoine naquit à Mouy, département de l'Eure, en 1784. Son père y exerçait la profession de fabricant de draps. Son aisance lui ayant permis de donner à son fils une éducation solide, il ne négligea rien pour le mettre en état d'occuper un rang honorable dans la société. Toutefois le commerce ne paraissant pas convenir au caractère généralement taciturne du jeune Papavoine, il le destina de bonne heure à la bureaucratie, Admis à l'administration de la marine, il y fut placé en 1804 en qualité de commis extraordinaire. Il s'embarqua successivement à bord de plusieurs vaisseaux de l'État, avec lesquels il fit diverses courses maritimes. Nommé ensuite commis de deuxième classe, il fut élevé quelques années après au grade de quartier-maître, puis commis de première classe en exercice au port de Brest. Ces différens emplois entraînèrent des maniemens de fonds et une comptabilité assez étendue, et on remarqua que non-seulement il remplissait ses fonctions avec zèle, mais qu'encore on n'eut jamais à lui reprocher le moindre mécompte et la plus légère inexactitude, Toutefois, et c'est une observation qu'il est bon de consigner ici, Papavoine s'était toujours fait connaître comme un homme dont les mœurs étaient peu sociables; il s'éloignait des lieux où on se livrait aux distractions de la jeunesse, fuyait ses camarades; il paraissait sombre et mélancolique; on le voyait souvent se promener seul, et encore choisissait-il de préférence les lieux solitaires. Jamais on ne lui a connu de liaisons intimes, ni même aucune de ces faiblesses qu'explique la fragilité humaine; jamais il ne communiquait ses pensées à autrui; cependant, sous les rapports qu'exigeaient ses fonctions, on avait toujours trouvé ses idées pleines de justesse et de convenance. Ce caractère, comme on le sait, se rencontre assez souvent dans le monde; il est un nombre infini de misanthropes, qui, sans éprouver de haine pour la société, ne laissent pas que de la fuir; il semble que son tumulte les ennuie, ou que, se croyant supérieurs aux futilités qui s'y agitent, ils dédaignent d'y prendre part, non par un sentiment de supériorité, mais par une sorte de déplaisir d'être distraits des idées fixes qui les occupent. Papavoine appartenait à cette classe d'esprits chagrins; il fuyait le monde, moins par l'antipathi e que par l'ennui que le bruit lui faisait; cependant il était naturellement obligeant, et son commerce eût été sans doute agréable s'il lui avait été possible de se créer d'intimes liaisons. En décembre 1823 il perdit son père. Ce dernier avait conservé son établissement de Mouy, et laissait à sa veuve et à son fils ses affaires commerciales dans le plus grand désordre. A cette époque Auguste Papavoine était encore au service. Cet événement lui fit solliciter de ses chefs son congé; on le lui accorda. Il se rendit aussitôt près de sa mère, et, jugeant qu'elle serait hors d'état de continuer l'exploitation de sa manufacture, il se détermina à demander sa retraite. Il l'obtint avec une pension liquidée à 360 francs; en conséquence il s'établit à Mouy. Jusqu'alors la manufacture qu'il possédait avait eu le privilége de faire des fournitures pour l'habillement des troupes; mais, peu de temps après, l'administration de la guerre refusa de renouveler ses marchés; et, par ce refus, les affaires de la famille Papavoine se trouvèrent dans une situation fort critique. Dès ce moment Papavoine parut se repentir d'avoir abandonné son emploi; il fit même quelques démarches pour y rentrer. Ces démarches demeurèrent in fructueuses. Les contrariétés qu'il éprouva dans cette occasion influèrent sur ses meurs à tel point que sa mère, avec laquelle il avait constamment vécu en bonne intelligence, profita d'un prétexte pour ne plus prendre ses repas avec lui, quoiqu'ils continuassent de vivre sous le même toit et au même feu. Le caractère d'Auguste Papavoine, aigri par une série de désagrémens qu'il n'avait pu ni prévoir, ni éviter, était devenu de jour en jour plus chagrin; et si autrefois on l'eût recherché malgré lui, maintenant on fuyait son approche: il portait sur sa physionomie quelque chose de sinistre et de repoussant. Ce fut dans cet état de choses que, vers la fin de septembre 1824, Papavoine prétendit qu'il était malade. On appela un médecin qui, après avoir déclaré lui trouver quelques symptômes de fièvre, conseilla qu'on lui administrât un vomitif. Il prescrivit en outre au malade l'exercice; un voyage surtout lui parut devoir être très-efficace. Papavoine prit le remède qui lui avait été indiqué; il en éprouva en effet du soulagement; et, afin de suivre en tout point l'ordonnance de son médecin, il partit pour Beauvais, où il arriva le 2 octobre. Il devait trouver dans cette ville des parens, et un sieur Branche avec lequel il avait des relations commerciales. L'accueil qu'il reçut des personnes qu'il visita ne le fit point changer. Fidèle à sa misanthropie, on remarqua constamment en lui sa taciturnité habituelle. Toutefois rien n'annonçait extérieurement qu'il mûrît aucun projet, ni qu'il fût poursuivi par aucune idée fixe de la nature de celles dont sont constamment préoccupés les monomanes. Il était triste, rêveur, il est vrai; mais, du reste, sa conversation, loin de se ressentir du délire d'une tête exaltée, était sensée et même spirituelle. Ces personnes se sont seulement rappelées depuis qu'il leur avait adressé une question bizarre relativement à la mort de son frère et de son oncle, décédés depuis long-temps. Toutefois le crime dont il s'est rendu coupable a pu seul leur remémorier ce fait de peu d'importance, de même que quelques mots que leur avait écrits sa mère, et qui manifestaient certaines inquiétudes (1). Le lendemain de son arrivée à Beauvais ( 3 octobre 1824), Papavoine, qui était toujours en réclamation auprès de l'administration de la guerre, pour le renouvellement de ses marchés, reçut inopinément de sa mère deux de ces marchés qui avaient été agréés par le ministre de la guerre; mais ces soumissions avaient besoin d'être régularisées, et il se détermina, dans cette intention, à se rendre aussitôt à Paris. Il y arriva le 5, après avoir emprunté quelque argent pour faire sa route. Il emportait avec lui ceux de ses effets qu'il avait pris à Mouy pour son voyage de Beauvais; et, comme ils ne suffisaient pas pour une plus longue route, il écrivit à sa mère pour lui en demander d'autres. Il est bon de faire remarquer, à l'occasion de cette nouvelle demande, qu'il avait compris parmi les premiers deux couteaux de table aiguisés et non fermans. (1) Ces documens ont été produits par l'avocat de Papavoine, et se trouvent compris dans la première partie de son plaidoyer. |