connaissait les deux enfans, vous les frappez, vous prenez la fuite, vous enterrez le couteau, vous montrez de la sécurité au canonnier que vous rencontrez : voilà qui décèle une raison complète. Rép. Je le répète ; il n'y a pas d'effet sans cause; or quel intérêt aurais-je eu de commettre un tel crime? Dem. Confronté avec la mère des deux enfans, vous dîtes ne la pas connaître; on vous présente les corps des deux enfans, vous niez votre crime encore un coup, ce n'est pas là la conduite d'un homme atteint de folie; il faudrait donc que vous eussiez été en démence à la vue seulement des enfans, ne l'ayant été ni avant ni après? Ce n'est pas tout: vous êtes interrogé le même jour par le maire et le juge de paix de Vincennes, vous niez tout, vous expliquez votre voyage, votre arrivée à Vincennes. Rép. J'étais tellement épouvanté par la pensée de ce crime, que je cherchais à me persuader en vain que je l'avais commis: je ne pouvais y parvenir; je craignais d'ailleurs de compromettre la réputation de ma famille. M. le président. Pendant six semaines vous avez toujours nié; toutes vos réponses étaient pleines de sens; elles annonçaient même un esprit supérieur; vous donniez des raisons très-plausibles; vous citiez des exemples de causes célèbres (1), et ce n'est que pressé par les déclarations positives des témoins que vous (1) Papavoine aurait pu penser, à cette époque, que son nom ne tarderait pas à en grossir le recueil. faites un aveu. Ainsi pendant ces six semaines vous avez encore joui de la plénitude de votre raison; mais quand vous avez changé de système, vous en avez inventé un tout-à-fait exécrable; vous vous êtes calomnié vous-même; vous avez prétendu que vous vous étiez rendu à l'Opéra dans le dessein d'assassiner les Princes: effectivement vous aviez été à l'Opéra; vous aviez dépeint les voitures des Princes, et cette circonstance était exacte; vous voyez donc bien que vous n'étiez pas en démence. Vous venez de répondre que vous aviez apporté de Beauvais deux couteaux pour vous défendre; votre folie, dites-vous, consistait en terreurs paniques et soudaines; cependant, en voulant délivrer des prisonniers, votre folie aurait donc changé de caractère ? Rép. La folie n'est pas uniforme. M. le président. Mais cette folie ne serait donc qu'une monomanie qui laisserait des intervalles lucides; car aujourd'hui vous n'êtes pas en démence. Ce serait donc une soif du sang, et ce ne serait pas, comme vous le dites, une terreur qui vous dominait. Mais pourquoi acheter ce couteau à Vincennes? Rép. C'était de ma part une grande imprudence, et qui prouve que je devais être fou pour la com mettre. Dem. Ceci prouve au moins que vous avez aujourd'hui votre raison. N'avez-vous pas, le 17 novembre dernier, frappé le nommé Labiey? Rép. Il y avait beaucoup de personnes autour de moi; j'étais accablé par l'instruction; je l'ai frappé dans un accès de frénésie : je suis content de ne pas l'avoir tué. M. le président. L'accusation en tire cette conséquence, que vous l'auriez frappé pour rendre plus vraisemblable votre système de démence. M. de Peyronnet, avocat-général. Pourquoi ne vouliez-vous pas parler devant la femme Jean? auriez-vous craint qu'elle ne vous reconnût à la voix? Rép. J'ai répondu à tous ceux qui m'ont interrogé. Ici se termine l'interrogatoire de l'accusé. On va procéder à l'audition des témoins, en commençant par ceux d'entre eux qui, ayant connu Papavoine lorsqu'il était au service, pourront donner des renseignemens sur les dispositions naturelles de son caractère. M. Courtier, employé dans la marine à Brest, a connu Papavoine; il était même étroitement lié avec lui. Sur l'interpellation de l'accusé, ce témoin déclare l'avoir vu, en 1823, dans un état qu'il croit être un état de fièvre. Il lui a entendu dire quelquefois qu'un homme lui en voulait, qu'il l'avait présent devant ses yeux, et qu'il voudrait avoir une arme pour se défendre. « Quoique je n'aie point à me reprocher d'avoir offensé qui que ce soit, je vois, disait-il, cet homme me poursuivre sans cesse dans mon sommeil; sa présence m'obsède et me tue; mais quand je m'éveille je ne vois personne. » Cette maladie, qui, au dire du témoin, dura dix jours, tint sans cesse Papavoine dans la même obsession; mais depuis il n'a jamais remarqué en lui la moindre trace d'aliénation mentale. Papavoine, en répondant à la dernière partie de cette déposition, dit que depuis il n'a pas cessé d'être dévoré par des chagrins qu'il concentrait en luimême, et qu'alors on a pu bien ne pas pouvoir remarquer. Me Paillet, défenseur de l'accusé, demande au témoin s'il n'est pas résulté pour lui, de l'aspect de Papavoine, une secrète pensée que l'accusé était en déRép. Je l'ai aussi pensé pendant sa maladie, que j'ai regardée comme accidentelle. mence. M. Glaise, employé à Brest. Papavoine a demeuré deux ans à Brest, sous ses ordres, et il ne s'est jamais aperçu, pendant cet intervalle, que les facultés mentales de l'accusé aient été altérées en rien. Il convient bien en effet qu'il était d'un caractère triste et mélancolique; toutefois, et malgré cette humeur sombre et chagrine, il n'a jamais eu qu'à se féliciter de sa conduite. Un autre témoin, M. Lange, commissaire de marine, fait une déposition à peu près dans le même sens. M. Mersey, officier de santé. En juillet 1823, j'ai soigné Papavoine, qui avait à la poitrine une douleur dont l'intensité paraissait vivement l'inquiéter. Il s'imaginait qu'elle pourrait avoir des suites. fâcheuses; toutefois je suis parvenu à le rassurer à cet égard. Dem. Qu'avez-vous remarqué sur son état mental? Rép. J'ai remarqué qu'il était soupçonneux, sombre, s'imaginant sans cesse que l'on s'occupait de lui. Il fuyait la société des femmes, et souvent celle des hommes. Je lui ai jugé un tempérament mélancolique et atrabi laire. Il passait, en général, pour avoir une sorte de disposition à la démence. Mais il était également connu pour être doué d'une grande délicatesse et d'un profond désintéressement. Je l'ai revu depuis; son caractère était exaspéré; il voyait, disait-il, un ennemi secret.qui se montrait dans l'ombre et en voulait à ses jours. Il aurait voulu le voir pour pouvoir lui en demander raison. Ce fantôme paraissait le vivement tour menter. Ce n'est point à l'influence de la fièvre que M. Mersey attribue l'obsession dont Papavoine lui avait si souvent raconté les douloureuses angoisses. Il le jugea toujours plus malade au moral qu'au physique; aussi lui conseillait-il des promenades à la campagne, afin que son imagination pût plus facilement se distraire. Dem. Manifestait-il le goût du sang? Rép. Jamais, Monsieur: je me souviens même qu'à Brest il caressait de jeunes enfans, les embrassait et leur donnait des sucreries. Un commissaire de marine sous les ordres duquel Papavoine a été employé, déclare qu'il n'a eu qu'à se louer de son zèle et de son excellente conduite. << Mais il avait, dit-il, l'humeur sombre et mélancolique; il était, comme on disait dans le corps, un mauvais coucheur. » L'accusé, interpellé sur cette déposition par M. le président, répond qu'à cette époque il était tourmenté par un être fantastique. M. Baudon, docteur en médecine, demeurant à Mouy. En septembre 1823, Papavoine me demanda un certificat pour l'administration de la marine, de |