c'est une vérité que proclament trop hautement toutes les circonstances de la cause. » Je dis qu'il n'y avait pas de préméditation; car ce fatal voyage de Beauvais à Paris avait un objet sérieux, légitime, exclusif, celui de soumettre à MM. Outrequin et Jauge et de régulariser les marchés émanés du ministère. >> Il n'y avait pas de préméditation; car c'est un point démontré par le ministère public lui-même, jusqu'à la dernière évidence, que l'accusé n'avait jamais connu ni les enfans Gerbod, ni leur père, ni leur mère, ni qui que ce fût des deux familles. » Il n'y avait pas de préméditation, car le séjour de l'accusé à Paris, exploré avec la plus sévère exactitude, n'offre aucune démarche équivoque : il a pris tous ses repas à l'hôtel, il y a passé toutes les nuits, il n'y a reçu aucune visite; et sa promenade à Vincennes est l'effet d'un pur caprice, né des dispositions mentales où il était alors; » Il n'y avait pas de préméditation; car s'il y en avait eu, l'accusé n'aurait pas manqué d'emporter avec lui l'un des couteaux qu'il avait dans sa chambre. Depuis quand l'assassin oublie-t-il l'instrument du crime? depuis quand l'achète-t-il dans le pays et au moment même où il va s'en servir? depuis quand choisit-il pour frapper ses victimes un dimanche, l'heure de midi, un lieu ouvert à tout le monde, peuplé de soldats, et dont les issues lui sont inconnues? » Enfin il n'y avait pas de préméditation; car il n'est pas même prouvé au procès que ce soit après avoir rencontré une première fois les enfans, que l'accusé a fait l'achat du couteau. » Le témoin Jean a toujours déclaré qu'il ne pouvait être plus de dix heures et demie lorsque l'accusé s'est présenté chez la veuve Jean pour acheter le couteau; le témoin rappelle même une circonstance qui l'a frappé, c'est que les habitans entraient alors à la messe de dix heures; or, à cette heure, la mère des enfans n'était pas même arrivée à Vincennes. » De même le témoin Canel, qui a vu la dernière rencontre de l'accusé avec la fille Malservait, dépose qu'en se séparant, celle-ci rentra dans Vincennes, tandis que l'accusé s'enfonça dans le bois. » Enfin, la fille Malservait elle-même a toujours déclaré qu'il était impossible qu'entre sa dernière rencontre avec l'accusé et les cris de la mère, il se fût écoulé assez de temps pour qu'il pût retourner à Vincennes, entrer chez la veuve Jean, demander un couteau, examiner ceux qu'on lui présentait, en choisir un, en débattre, en payer le prix, le placer dans sa poche, revenir au bois et frapper les enfans. » Mais supposerait-on même (et assurément de pareilles hypothèses ne sont point admises en matière criminelle) que les choses se sont ainsi passées, il n'y aurait encore aucune relation nécessaire entre l'achat du couteau et la mort des enfans, ou tout au moins on ne saurait placer entre ces deux actes cette réflexion criminelle, ce dessein formé dont parle la loi, et qui peut seul constituer à ses yeux la préméditation. » Mais ici, Messieurs, je m'égare; vous l'avez senti, pas je ne suis pas sur le véritable terrain du procès. Non, Messieurs, il ne s'agit pas de fixer un degré de scélératesse, de mesurer une peine; en un mot, il ne s'agit de savoir si l'accusé a commis le meurtre avec préméditation, mais s'il l'a bien commis volontairement; voilà ce qu'il importe de vérifier; c'est là qu'est le grand intérêt de la famille bien plus encore que celui de l'accusé : car pour lui, que fera-t-il désormais de la vie, et quel prix pourrait-elle encore conserver à ses yeux? » Et prenez-y garde, Messieurs, je ne viens pas reproduire devant vous ce moyen de démence, usé depuis long-temps au palais par l'abus qu'on en a fait, moyen dont on ne cherche habituellement la preuve que dans les faits mêmes qui donnent lieu à la poursuite; en un mot, ressource banale et obligée d'une défense aux abois. Je me présente dans cette cause avec un cortége de faits graves et nombreux, de faits antérieurs, étrangers à ceux du procès, de faits prouvés jusqu'à la dernière évidence. « Ce n'est pas le crime matériel que les lois punissent, c'est l'intention de commettre le crime. >> » Ainsi s'exprimait dans une cause que son talent et son triomphe rendent célèbre, l'un des magistrats les plus éloquens de l'époque actuelle (1). » Si donc la volonté seule fait le crime, quelle peine infligera-t-on, quel reproche même pourra-t-on adresser à l'homme dont un délire habituel ou passager a (1) M. le procureur général Bellart. égaré la main? Sans doute on le surveillerá désormais; sans doute on le privera d'une liberté trop dangereuse pour les autres et pour lui-même; mais on le plaindra, mais on ne l'immolera pas ; car c'est alors qu'il y aurait un véritable assassinat. « Les aliénés, dit le docteur Pinel, dans son savant traité de l'aliénation mentale, loin d'être des coupables qu'il faut púnir, sont des malades dont l'état pénible mérite tous les égards dus à l'humanité souffrante. » L'homme sage et éclairé, dit-il ailleurs, ne voit dans ces explosions de la manie, qu'une impulsion automatique, ou plutôt l'effet nécessaire d'une excitation nerveuse, contre laquelle on ne doit pas plus s'indigner que contre le choc d'une pierre entraînée par sa gravité spécifique. » Aussi, Messieurs, a-t-il toujours été de principe que les excès commis par un homme privé habituellement ou accidentellement de sa raison, ne sont pas punissables de peines criminelles, mais doivent seulement donner lieu à des mesures de police. >> Toutefois il fut un temps où l'on en exceptait les crimes de lèse-majesté, comme si le respect qu'imprime la présence du souverain devait prévaloir sur le délire même! » Mais Henri IV ne se crut pas lié par une telle doctrine, car nos vieilles chroniques nous racontent qu'un jour qu'il passait sur le Pont-Neuf, il fut tout-à-coup assailli et violemment maltraité par un nommé Delisle. Or il arriva qu'on voulait traîner cet homme au supplice, bien qu'il eût déjà donné des signes de folie; mais Henri IV, préférant la jurisprudence de son cœur à celle de ses parlemens, voulut qu'il en fût quitte pour une simple détention. Aujourd'hui, Messieurs, notre Code pénal contient cette dispositin générale et absolue : « Il n'y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister. » (Art. 64). » Or, je le dis avec le sentiment de la plus intime conviction, jamais cette disposition de la loi ne dut recevoir une application plus juste et plus nécessaire que dans la cause actuelle, parce que jamais non plus il ne fut mieux démontré qu'au temps de l'action l'accusé n'avait pas l'usage de sa raison. » Et ici se présente enfin cette objection qu'il me tardait d'atteindre, cette grande objection du procès, cette objection qui, répétée tant de fois et avec tant de légèreté dans nos salons, s'est reproduite plus menaçante dans le débat actuel. >> On a dit : Comment donc concilier le délire dont Papavoine était possédé lorsqu'il frappa les enfans Gerbod, avec cette sorte de présence d'esprit qui semble avoir régi certains préliminaires du meurtre, et la conduite ultérieure du meurtrier? >> Cette objection, Messieurs les jurés, tient uniquement à l'ignorance profonde où l'on est, en général, des variétés infinies, des bizarreries incompréhensibles que présente à l'œil de l'observateur la maladie connue sous le nom générique d'aliénation mentale. » Mais avant tout, je demanderai aux personnes qui |