à feindre. Ce fut alors qu'elle compléta sa déposition, que je lui ai lue et relue en présence de M. son père, et en discutant chaque article avec elle; déposition dont elle a consacré la vérité par sa signature. Déclaration faite par madame Manson, le 2 août 1817. « A l'entrée de la nuit, le 19 mars 1817, je passai dans la rue des Hebdomadiers. Étant près de la maison de M. Vainettes, j'entendis venir plusieurs personnes; pour les éviter j'entrai dans une porte que je trouvai ouverte, et que j'ai su depuis être celle de la maison Bancal. Comme je traversais le passage, je fus saisie par un homme qui venait soit du dehors, soit de l'intérieur de la maison; le trouble où j'étais ne me permit pas de distinguer. On me transporta rapidement dans un cabinet: « Tais-toi, me dit une voix. » On ferma la porte, et je restai comme évanouie. » Je ne sais pas le temps que je suis restée dans le cabinet; j'entendais de temps en temps parler et marcher dans la pièce à côté, mais sans distinguer ce qu'on pouvait dire. Un silence d'un quart d'heure succéda au bruit que j'avais entendu. J'essayai alors d'ouvrir une porte ou une fenêtre dont la serrure se trouva sous ma main, et je me donnai un coup violent à la tête. » Bientôt un homme entre dans le cabinet, me prend fortement par le bras, me fait traverser une salle où je crus entrevoir une faible clarté, et nous sortons dans la rue. Cet homme m'entraîne rapidement jusqu'à la place de Cité, du côté du puits; il s'arrête, et me dit à voix basse : Me connais-tu? Non, lui répondis-je, sans oser même lever les yeux sur lui. J'avoue que je ne cherchai pas à le reconnaître..... « Sais-tu d'où tu viens? Non.-As-tu rien entendu? - Non. Si tu parles, tu périras. » Et en me serrant violemment le bras, & Va-t'en, » me dit-il, et il me poussa. Je fis quelques pas sans oser me retourner. Après être un peu remise du trouble excessif que j'éprouvais, je fus frapper chez Victoire, ancienne femme-de-chambre de maman. On ne m'entendit pas. Je descendis l'Ambergue-Droite, et je fus me cacher sous l'escalier de la maison de l'Annonciade, que je savais être abandonnée. Je m'aperçus qu'un homme me suivait; je le reconnus pour le même qui m'avait conduite précédemment. Il s'approcha, et me dit: Est-il bien vrai que vous ne me connaissez Je vous - Pas? Non. connais bien, moi. Cela est possible; tant de personnes peuvent me connaître de vue que je ne connais pas. Nous l'avons échappé belle l'un et l'autre ; j'étais entré dans cette maison pour voir une fille. Je ne suis pas du nombre des assassins; au moment où je vous ai saisie, voyant que vous étiez une femme, j'ai eu pitié de vous, et je vous ai mise à l'abri du danger. Mais que veniez-vous faire dans cette maison? J'y avais vu entrer quelqu'un que j'ai cru reconnaître, et je voulus m'en assurer. Est-il bien sûr que vous ne me connaissez pas ? S'il vous échappe la moindre chose concernant cette affaire..... Jurez que vous ne parlerez jamais de moi. Sur la place il ne faisait pas aussi noir qu'ici me reconnaîtriez-vous en me voyant au jour? je lui répondis que non. Il me quitta au bout d'une demi-heure, et me dit : Ne rentrez qu'au jour, et ne me suivez pas. Je l'assurai que je n'en avais pas envie. » Au point du jour, je regagnai ma demeure, je me couchai; on ignora que j'avais passé la nuit dehors. Peu d'heures après, la nouvelle de l'assassinat se répandit dans la ville, et j'éprouvai une telle frayeur, que pendant long-temps je fis coucher une petite fille dans ma chambre. » Je placerai ici, continue M. le préfet, un aveu remarquable sur lequel madame Manson m'avait demandé le secret, et dont elle n'a pas fait mention dans sa déclaration écrite. Madame Manson avait dit à M. Clémandot qu'elle était habillée en homme lorsqu'elle fut chez Bancal. Elle convint avec moi de cette circonstance lorsqu'elle vit que j'en étais informé. Je lui demandai quel était son costume. « Une veste, me dit-elle, que j'ai encore; quant au pantalon, il est inutile de le chercher..... » Cette réticence éveilla mon attention. « Qu'avez-vous fait de ce pantalon? lui demandai-je. Je l'ai brûlé. Pourquoi?» Elle garda le silence; je réitérai ma question; et voyant qu'elle se troublait, j'ajoutai, en la regardant fixement: Vous avez brûlé ce pantalon parce qu'il était taché de sang. Elle me répondit : « C'est vrai : au moment où je me sentis saisie et transportée dans le cabinet, je m'écriai : Je suis une femme! et ce fut alors qu'on me répondit : Tais-toi..... En me jetant dans ce cabinet, j'ai heurté, je crois, contre le loquet d'une fenêtre, et il n'en fallut pas davantage pour me procurer un saignement de nez; j'y suis d'ailleurs sujette. Mon pantalon fut tout ensanglanté; je m'en aperçus plus tard, et quand je fus à l'Annonciade je me rhabillai en femme; ce qui me fut d'autant plus facile, que j'avais conservé ma robe sous mes habits d'homme. » Je l'engageai de nouveau à être sincère : je la pressai de me dire si elle n'était point entrée dans la salle durant le meurtre, si ses vêtemens n'avaient point touché le corps de la victime. Elle persista dans son premier aveu, en me conjurant de n'en point faire mention, et de ne le divulguer qu'à la dernière extrémité. Je cherchai à faire sentir à madame Manson toute la gravité de cet incident, et les inductions qu'on pouvait en tirer. En effet, je suis encore à m'expliquer comment, sans y être obligée, elle aurait été inventer de semblables circonstances, qui sont au moins inutiles pour la vraisemblance de son récit. Elle m'ajouta qu'elle voyait bien qu'on pourrait la croire complice. Je repoussai cette idée; mais je lui dis qu'il ne me semblait pas impossible qu'on eût abusé de la position terrible où elle s'était trouvée, pour la contraindre à participer en quelque sorte au crime, afin de la lier irrévocablement, en identifiant ainsi sa sûreté avec son silence. Non, je n'ai jamais pu penser que madame Manson fût complice; tout concourt à repousser cette présomption. D'ailleurs elle était tellement émue, tellement pressée, que je ne puis douter qu'elle ne me l'eût avoué dans ce moment. » Madame Manson me quitta entre quatre et cinq heures. Il resta convenu qu'elle déposerait le lendemain en justice tout ce qu'elle avait consigné dans sa déclaration. Elle me laissa l'idée, je l'avouerai, qu'elle avait dit la vérité, mais pas toute la vérité, et qu'elle connaissait les meurtriers, ou tout au moins son libérateur. Je pensai qu'elle était liée à la fois par la crainte et par la reconnaissance. >> pas Non-seulement madame Manson n'avait pas dit toute la vérité, mais bientôt, adoptant un système de variations qu'on ne saurait concevoir, elle déclara mensongère la déclaration qu'elle avait faite le 2 août. Cependant on ne pouvait douter, et, au milieu de ses dénégations, madame Manson le donnait à entendre, on ne pouvait, disons-nous, douter que cette dame n'eût été témoin de l'affreuse catastrophe; et ce qui donnait encore plus de poids à cette présomption, c'étaient les démarches que faisaient auprès d'elle les parens et les amis des accusés Bastide et Jausion. Néanmoins madame Manson se refusait à lever le voile qui s'opposait encore à la conviction des magistrats, lorsque les révélations d'un des complices de l'assassinat de Fualdès firent cesser toute hésitation, et l'horrible vérité parut dans tout son éclat. Ce complice était le nommé Bousquier. Nous savons déjà les circonstances principales de l'assassinat; maintenant nous allons apprendre comment avaient été préparés à l'avance les moyens de se débarrasser de la victime après que le meurtre aurait été commis: et comment, en effet, les assassins transportèrent le cadavre, |