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M. Dittmar cessa ses visites; peu de jours après la malade était morte.

Il faut remarquer qu'à cette époque Chevallier, ignorant l'avenir, ne parla point du système qu'il inventa après son arrestation, lorsqu'on lui reprocha ce premier empoisonnement. Il ne fut point question d'un bain froid pris par sa maîtresse au moment de ses maladies périodiques; on n'en dit pas un seul mot au médecin, à qui pourtant il aurait importé d'indiquer la première cause des souffrances; et cependant, depuis, Chevallier a parlé de ce bain comme de la cause de la mort.

On trouverait difficilement ailleurs que dans un instinct pervers, que dans un besoin comme nécessaire du crime, le motif de ce premier attentat. La cupidité pouvait-elle avoir entraîné Chevallier? Il est impossible de le croire. La Belle Hollandaise n'avait d'autres trésors que ceux de la nature, d'autre bien que son amour pour le monstre qui la méprisait. Était-elle un obstacle au mariage qu'il méditait? Sans honneur et sans délicatesse, Chevallier pouvait l'abandonner; il était assez versé dans les pratiques de l'hypocrisie pour colorer aux yeux du monde une action que le monde pardonne aisément. Vainement dirait-on qu'elle avait le secret de Chevallier, qu'elle connaissait son nom, sa famille, ses antécédens, et qu'il avait intérêt à faire disparaître un témoin dangereux. D'abord il n'y a ici qu'une supposition; et, d'un autre côté, Chevallier apportait des papiers dont l'autorité semblait incontestable, qui auraient suffi pour rendre indignes de créance

les allégations vraies ou fausses de la veuve Debira.

Après la mort violente de sa maîtresse, et dans l'espace de peu d'années, Chevallier contracta quatre mariages successifs. Il épousa d'abord Étiennette-Marie Desgranges, fille d'un propriétaire de Saint-Didiersous-Riverie.

La seconde femme fut Marguerite Pizard.

La troisième se nommait Marie Riquet.

Enfin il a épousé en quatrièmes noces Benoite Besson. Plusieurs des contrats de mariage étaient dans la même forme : ils portaient une donation mutuelle au dernier vivant des deux époux. La justice tira de cette disposition la conséquence que Chevallier, qui ne tardait pas à jouir du fruit de sa coupable prévoyance, n'avait d'autre but, en se délivrant de ses victimes, que de se mettre en possession des avantages matrimoniaux qu'il s'était assurés. Quelque facilité qu'on ait à saisir cette explication de la conduite criminelle de Chevallier, on ne peut cependant l'admettre exclusivement; car, s'il est vrai qu'un ou deux des contrats de mariage continssent des dispositions qui lui fussent favorables, l'un des trois premiers au moins ne contenait pas de donation; cela résulte des termes mêmes de l'acte d'accusation. Ainsi, dans ce cas, quel motif assigner à un nouveau crime? Et, d'ailleurs, la cupidité de Chevallier pouvait-elle s'allumer au point de lui faire oublier, non pas seulement les devoirs les plus sacrés que depuis long-temps il était accoutumé à fouler aux pieds, mais le soin de son existence. On ne peut donc voir autre chose dans la série de crimes imputés à Chevallier, que

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les fruits détestables d'un naturel pervers; ou enfin, et plaise à Dieu que cette hypothèse soit fondée, les actes d'une démence prolongée.

Comme nous l'avons dit, la première femme qu'épousa Chevallier était Étiennette Desgranges. Elle était, à l'époque de son mariage, d'une constitution forte et d'une santé brillante. A peine quelques mois s'étaientils écoulés au sein de l'union la plus douce, que cette jeune femme ressentit des coliques toujours renaissantes; à cet état succéda un affaiblissement général. Sa fille, issue de son mariage avec Chevallier, tomba également dans une débilité complète. Peu alarmée des symptômes alarmans d'un mal qu'elle ne crut pas dangereux, elle ne soupçonna point son mari; la mort de son enfant, qui survint à peu de distance, n'éveilla pas davantage des craintes qui n'auraient été que trop fondées; et, victime de sa confiance, elle-même ne tarda pas à payer à la nature un tribut prématuré : elle mourut en 1814. Une circonstance qui ne fut relevée qu’après l'arrestation de Chevallier marqua le dernier jour d'Étiennette Desgranges. Les cousines de cette infortunée avaient appris, par la portière de la maison qu'elle habitait, que, la veille, à onze heures du soir, elle avait eu une crise qui avait failli la faire périr. Elles furent aussitôt la voir, et la trouvèrent levée et moins souffrante. Pendant leur visite, en l'absence de son mari, elle prit quelques alimens et demanda à boire, en désignant une bouteille : Donnez-moi de ce vin, dit-elle en montrant le vase du doigt; l'autre est celui de mon mari. La malade hoit, et cinq minutes après

elle éprouve une crise subite : tous ses membres se contractent et se roidissent. Chevallier arrive; les angoisses de sa femme ne l'effraient point; il suit sans émotion les terribles effets du breuvage. Étiennette attache sur lui ses yeux mourans ; vaincue par la douleur, elle tombe sur le plancher, elle fait des efforts convulsifs pour rendre la liqueur empoisonnée; elle expire au milieu de tourmens inexprimables. Chevallier, d'autant plus calme qu'il est préparé dès longtemps à la mort de sa femme, n'attend pas que le cadavre soit refroidi pour faire disparaître les traces accusatrices de ses machinations: il saisit vivement le verre où sa femme avait bu contenant encore la moitié du liquide qui y avait été versé, et va le jeter sous la pierre de l'évier; puis, avec le plus grand sangfroid, il ôte l'alliance et les boucles d'oreille de la défunte; il se hâtait aussi de la dépouiller du jupon qui la couvrait, lorsqu'on lui fit remarquer que ce n'était pas à lui de s'occuper de ces détails. Chevallier se retira, et feignit de chercher des consolations à sa douleur dans la lecture de l'Imitation de Jésus-Christ. Tartufe et sacrilége, il vécut dans la sécurité, et s'occupa bientôt d'un nouvel hyménée.

Après son arrestation, Chevallier crut pouvoir se justifier de ce forfait : il prétendit, dans cette intention, que M. le docteur Para avait soigné sa première femme durant toute sa maladie. Il fut prouvé, d'un côté, qu'Étiennette Desgranges n'avait point eu de maladie, dans l'acception médicale de ce mot; que ses souffrances, son agonie et sa mort avaient eu lieu pres

qu'à la même heure; et, d'un autre, que M. le docteur Para ne l'avait vue qu'une seule fois. La veille du décès il avait été appelé pour voir madame Chevallier; il lui trouva les nerfs un peu agités, et prescrivit une potion calmante. Le lendemain il y retourna, et, parvenu jusqu'à l'escalier, il apprit avec surprise qu'elle n'existait plus.

Les présomptions qui naissent d'une mort aussi imprévue se convertissent en preuves quand on les rapproche des événemens postérieurs.

Facilement consolé, Chevallier épouse en secondes noces Marguerite Pizard. Toutefois, lorsqu'il fit la demande de sa main, cette nouvelle victime témoigna d'abord quelque répugnance. Le bruit circulait déjà sourdement que Chevallier avait tué sa maîtresse et sa première femme. Mais ces insinuations pouvaient être dictées par la malveillance; celui qui en était l'objet jouissait toujours de l'estime de ses supérieurs, de la considération publique. Marguerite Pizard se persuada qu'on calomniait Chevallier, elle consentit à unir son sort au sien; leur mariage fut célébré le 28 août 1816. Rien ne sembla à Marguerite Pizard devoir la faire repentir de l'union qu'elle avait contractée; s'il lui fût resté des doutes sur les sentimens et la moralité de son époux, la conduite de Chevallier les aurait bientôt dissipés. Elle en recevait tous les jours de nouvelles preuves d'attachement; les soins les plus affectueux lui étaient prodigués. Marguerite Pizard devint enceinte, et cette nouvelle accrut la tendresse de Chevallier, c'est-à-dire le rendit encore plus prodigue de ses trom

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