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peuses démonstrations. Cependant ce fut alors que Chevallier commença à administrer à son épouse les premières doses du poison qui la conduira infailliblement au tombeau.

C'est ici le cas de remarquer la marche constante suivie par ce scélérat dans le cours de ses crimes. Il résulte, d'une manière presque certaine, de l'instruction du procès, que c'était précisément à l'époque où l'espoir d'être père devait ouvrir son cœur aux plus douces sensations, où la nature, lui imposant ses droits les plus aimables, devait le rappeler au sentiment de sa dignité d'homme, que Chevallier, étouffant les murmures de sa conscience, apprêtait la coupe empoisonnée. Un funeste calcul lui avait appris que le moment où la fragile existence d'une femme est le plus exposée aux influences morbides, est celui où elle souffre les douleurs et éprouve les joies de la maternité; il faut peu de choses alors pour porter le trouble et la désorganisation dans les sources de la vie; Chevallier le sait. Ce n'est point une mort prompte qu'il veut donner à deux êtres à la fois; par un raffinement de cruauté, c'est goutte à goutte qu'il verse le poison; il se complaît à se repaître des souffrances graduelles qu'il fait éprouver; ce n'est que lorsque le dégoût succède à la délectation qu'il a trouvée à observer les paroxismes de la douleur, qu'il tranche enfin des jours marqués par d'affreux tourmens.

La grossesse de Marguerite Pizard avait été pénible; des vomissemens continuels et plus abondans que ne le sont ordinairement ceux des femmes enceintes,

beaucoup de douleurs dans le bas-ventre, en avaient marqué la durée. Enfin, le 18 mai 1817, madame Chevallier accoucha d'un enfant mâle qui reçut le nom d'Eugène. Cet enfant, placé en nourrice, fut momentanément soustrait aux fureurs de son père. C'est le même qui, vingt-sept mois plus tard, fut l'objet d'un nouveau crime.

Cependant Marguerite Pizard se remettait difficilement de ses couches; le poison avait étendu ses ravages. Trop lent au gré de Chevallier, celui-ci fait prendre à sa femme les dernières doses. Alors de nouvelles douleurs se déclarent; à chaque instant surviennent des coliques, des attaques de nerf, de fortes convulsions. La malade se plaint de n'être pas soignée; elle accuse son médecin de ne point lui faire prendre de remèdes, sous le faux prétexte qu'elle est de nouveau enceinte. Les parens, alarmés, s'étonnent qu'on n'ait point placé de garde auprès de Marguerite Pizard; ils offrent de passer les nuits auprès d'elle. Chevallier suffit à tout, il veut seul donner à sa femme les soins qu'elle réclame; chaque nuit, il reste seul à ses côtés. Le mal augmente, les convulsions se multiplient, la mort arrive le 13 septembre 1817: tel est le résultat de l'assistance de Chevallier.

Des présomptions graves, mais rien que des présomptions, concourent jusqu'ici à éclairer la culpabilité de Chevallier, à l'occasion d'un nouveau crime; les témoignages les moins irrécusables, une foule de faits, se réunissent pour montrer à découvert l'horrible vérité; nous voulons parler de l'empoisonnement de Marie Riquet.

Au mois de juin 1818, Chevallier épouse cette demoiselle; celle-ci, comme les deux premières femmes, vit avec son mari dans une sécurité complète. Toujours plus audacieux au crime, non moins habile à dissimuler la laideur de son âme qu'à se parer avec une feinte modestie des vertus qu'il n'a pas, Chevallier avait gagné l'amour de sa nouvelle femme. Elle devint grosse, et en même temps sa santé, jusque là florissante, commence à dépérir. Les mêmes phénomènes qui avaient eu lieu pendant la grossesse des premières épouses de Chevallier se reproduisent chez Marie Riquet; le terme des couches arriva : comme chez les autres, elles furent précédées de violentes douleurs et de convulsions singulières. Il tint alors à peu de chose que Chevallier ne fût enfin arrêté dans sa carrière, et que son audace et sa fermeté ne devinssent des armes contre lui. On verra par quel concours d'événemens il ne fut point dénoncé à la justice.

La femme Pontannier, garde-malade, connue depuis long-temps de Marie Riquet, s'était proposée pour la veiller durant ses couches; soit que Chevallier redoutât sa clairvoyance ou l'attachement qu'elle portait à sa femme, cette garde avait été refusée. Un jour Chevallier la rencontra, et, l'abordant, lui annonça l'accouchement de sa femme, en lui disant qu'il avait l'intention de mettre son enfant chez la même nourrice que le premier. La femme Pontannier, étonnée, fit la remarque que cet accouchement était bien extraordinaire, et que l'enfant ne pouvait être à terme. Chevallier convint que sa femme avait eu des convulsions terribles,

et qu'on avait été obligé de l'accoucher avec les for

ceps.

Tout dans le récit de Chevallier annonce à la femme Pontannier des trames criminelles. Elle croit reconnaître des symptômes de poison; elle ne peut contenir son indignation, elle se répand en reproches. Chevallier, confondu, se déconcerte, balbutie quelques mots sans suite, et s'empresse de se dérober à l'œil perçant d'un témoin qui vient de lire dans son âme.

Quelques jours se passent; Marie Riquet succombe. Chevallier profite de cet affreux événement pour essayer de dérouter les soupçons qui se sont élevés dans l'esprit de la femme Pontannier; il compose son visage, et vient annoncer à cette femme la mort presque subite de son épouse. A cette nouvelle, la femme Pontannier, à qui n'en impose pas le masque de l'empoisonneur, ne doute plus du crime; elle s'emporte, dit à Chevallier que la famille Riquet va faire ouvrir le cadavre, et que si elle ne le fait pas, c'est elle-même qui s'en chargera. Le courage abandonne de nouveau Chevallier; attéré par la vérité, il pâlit; il ne cherche point à repousser l'accusation qui l'accable; bourrelé par la crainte plutôt que par les remords, qu'il ne connaît pas, il se borne à demander, avec un tremblement visible, si lui et l'accoucheur n'assisteront pas à cette opération.....

Mais le coupable Chevallier ne devait pas encore être convaincu. La famille Riquet hésite dans ce qu'elle doit faire. Elle songe, avec horreur, qu'une pareille démarche peut conduire Chevallier à l'écha

faud, et déshonorer les enfans sans rendre la vie à leur mère ces réflexions suspendent sa vengeance. Elle

garda le silence.

Si, averti par la terreur qui s'empara de lui, Chevallier avait, dès cette époque, renoncé pour toujours à ses criminelles manœuvres, il est probable qu'enseveli avec la victime, cet autre attentat n'aurait jamais appelé sur sa tête le glaive de la justice; au contraire, l'heureuse issue de cette affaire sembla lui offrir l'assurance d'une impunité durable. Recouvrant sa tranquillité habituelle, il contracta bientôt un nouveau mariage. Il poursuivait le cours de ses forfaits, et peut-être allait-il sacrifier sa quatrième épouse à sa passion homicide, quand l'instant arriva qui le livra à la sévérité des lois, et donna lieu d'examiner les circonstances qui se rattachaient à la mort de sa troisième épouse.

Malgré les épreuves qui avaient précédé les couches, et celles de l'accouchement lui-même, Marie Riquet vint à bout de recouvrer la santé. La garde, Fontaine, qui l'avait veillée, la quitta, et le départ de cette femme fut le signal d'une nouvelle rechute. Marie Riquet se disposait le lendemain à aller à la messe, une crise violente, accompagnée de devoiement et de vomissement la saisit. On crut que c'étaient les effets d'une indigestion, et c'étaient ceux du poison qui commençait ses ravages. Déjà la gorge était en feu, les entrailles étaient irritées, les lèvres et la langue dans un état d'inflammation extraordinaire.

Le médecin Cadit, qui avait donné des soins à la

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