du théâtre du crime, au lieu où le lendemain il fut retrouvé; enfin les machinateurs et les instrumens du forfait vont nous apparaître, et désormais rien n'obscurcira une vérité que chaque jour, au contraire, montrera plus évidente. Laissons Bousquier raconter lui-même la participation qu'il a eue à la déplorable affaire. << Je n'avais pas connu, dit Bousquier, l'accusé Bach avant la foire de la mi-carême dernière (17 mars 1817). Lorsque je le rencontrai ce jour-là dans Rodez, il me demanda où je demeurais; je lui indiquai mon domicile. Alors Bach me demanda si je ne lui aiderais pas à porter une balle de tabac de contrebande. Je lui répondis que je le ferais; et, de son côté, il me promit de bien payer ma course, ajoutant que tous les quinze jours il pourrait m'employer à un semblable travail. Je dois dire que Bach me demanda le secret lorsqu'il me parla de cette balle de tabac. Il revint chez moi et me dit que la balle de tabac n'était pas encore prête. Il vint encore dans la matinée du jour suivant, mercredi 19 mars, me redemander chez moi; il ne m'y trouva point: j'étais occupé à travailler sur la place. Il revint le soir, et me pria de lui donner 24 sous, que je lui remis. Bach me donna alors en gage un mouchoir que j'ai encore, et que voilà, en me disant qu'il me rendrait mon argent lorsque je lui aurais porté le tabac. Il prétendit avoir besoin de ces 24 sous pour préparer et apprêter le tabac avec quelques drogues qu'il lui fallait acheter. Bach sortit en disant qu'il allait revenir; il ne tarda pas, en effet, à rentrer : il me dit qu'on apprêtait le tabac, et qu'en attendant il fallait aller boire une bouteille de vin. Nous sortîmes de chez moi un peu avant huit heures; nous nous dirigeâmes vers la place de Cité: Bach me quitta au milieu de cette place, m'invitant à aller faire tirer le vin, et qu'il allait, lui, voir si le tabac était prêt. J'entrai pour lors dans la maison de la nommée Rose Feral, où je trouvai Baptiste Colard. Le nommé Palayret vint bientôt, et j'avais commencé à boire avec lui lorsque Bach revint. Il but quelques coups et ressortit. Il revint et s'assit avec nous, fit quelque temps la conversation, et sortit de nouveau. Bach rentra et ressortit une ou deux fois. Lorsque j'eus fini de boire avec Palayret, nous payâmes notre écot, et nous sortîmes tous deux. Je trouvai Bach dans la rue, posté à l'angle de la maison Ramond. Il me dit alors: Venez actuellement, le tabac est prêt. Je le suivis; il me mena dans la rue des Hebdomadiers, dans la maison habitée par Bancal. Nous entrâmes tous deux. Bach me disait de faire doucement. Arrivés dans la cuisine, au rez-de-chaussée, j'y trouvai Bancal, sa femme, Baptiste Colard, Joseph Missonnier, Anne Benoît, et encore une autre fille que je ne pus distinguer. Je trouvai encore dans ladite cuisine de Bancal deux messieurs que je ne connaissais pas de nom. Bach me dit ensuite que l'un des deux était Bastide Gramont, de Gros; Bach ne me nomma point l'autre : il n'était pas d'une taille aussi haute que le premier. Ces deux messieurs défendirent de parler. Le monsieur de haute taille, c'est-à-dire Bastide, fut le premier à dire que si quelqu'un parlait de ce qui se passait, il ne vi vrait pas long-temps. Nous promîmes tous de ne rien dire, quoi qu'il arrivât. J'avais vu, en entrant dans la cuisine, un grand paquet étendu sur la table. Bach me dit que c'était un mort, et qu'il fallait aller le porter quelque part. Alors je fus saisi d'effroi, je frissonnai; mais je n'osai rien dire, après les menaces qui venaient d'être faites. Le mort était plié dans une couverture de laine, et attaché avec une corde grosse comme le doigt. Il y avait deux petites barres par-dessous pour servir à le porter. » Nous partîmes de la maison Bancal. Baptiste Colard et Bancal étaient les premiers; Bach et moi nous étions sur le derrière. Le monsieur de haute taille, Bastide, nous précédait, armé d'un fusil double. L'autre monsieur et Missonnier marchaient à la suite ou à côté; ce monsieur avait aussi un fusil, mais simple. Nous allâmes d'abord de la maison Bancal dans la rue du Terral; de là nous descendîmes cette dernière rue, nous passâmes le long de l'Hôtel de la préfecture, et sortîmes par le portail dit de l'Évêché; nous suivîmes le boulevard d'Estourmel jusqu'à la ruelle qui va au jardin du Bourguet; arrivés à cet endroit, nous nous détournâmes dans cette petite rue, et nous posâmes là le mort pendant quelques instans; alors j'entendis un homme, passant sur le boulevard, qui prononça un f..... prolongé. Nous reprîmes notre paquet, et le portâmes, en suivant toujours le boulevard, jusqu'au travers qui se trouve au fond de l'Ambergue; nous nous arrêtâmes encore ici quelques momens, après quoi nous descendîmes dans ledit travers par un chemin de 1 charrette; lorsque la pente fut trop rapide, Bancal et Colard prirent le corps à eux deux, parce qu'il n'était plus possible de marcher à quatre; arrivés sur le bord de l'Aveyron, on délia les cordes, on retira la couverture et on jeta le corps dans la rivière. Les deux messieurs et Missonnier ne nous avaient pas quittés. Après cela, les deux messieurs réitérèrent la recommandation de garder le secret, avec menace que le premier qui lâcherait un mot serait puni de mort. Nous nous séparâmes. Le monsieur à haute taille s'en alla du côté de la Guioule, l'autre vers le moulin de Bessès; Bancal, Colard et Missonnier remontèrent par où nous étions descendus; Bach et moi nous allâmes joindre le chemin du monastère, et nous nous retirâmes chez moi, vers minuit. Bach me donna alors deux écus de cinq francs. C'est aussi après être rentré dans ma chambre que Bach me dit que le monsieur de haute taille était Bastide de Gros. >> Enfin les auteurs et les complices du crime étaient dévoilés; malgré l'influence de leurs familles, malgré la corruption qui avait tenté d'étouffer la voix de la vérité, Bastide et Jausion allaient être livrés à la rigueur des lois. Il ne reste plus qu'un doute: la vengeance ou la cupidité devaient seules avoir armé leurs bras; c'étaient les seuls motifs que l'on pouvait prêter au crime. On descendit dans la vie des accusés, et l'on crut un instant avoir trouvé la véritable cause de la criminalité de Jausion. On se souvint que, quelques jours avant l'assassinat, M. Fualdès et Jausion avaient eu ensemble une que relle très-vive, dans laquelle le premier avait menacé Jausion de faire revivre des pièces relatives à une affaire criminelle dont celui-ci s'était tiré par suite de la soustraction de matériaux importans. On se rappela les détails de cette affaire, depuis long-temps assoupie: Jausion, séducteur, adultère, avait assassiné son enfant ! Lié d'intérêts avec M. B..., riche négociant de Rodez, qui venait d'épouser, en secondes noces, une jeune fille pauvre, mais honnête et vertueuse, Jausion avait conçu pour la femme de son ami la plus violente passion. Sous le voile de l'amitié, il employa auprès d'elle tous les genres de séduction; bientôt il lui fit oublier les devoirs que lui imposaient l'honneur et la reconnaissance; la malheureuse devint coupable. M. B..., infirme, ne quittait presque jamais son appartement, séparé de celui de sa femme; on se vit forcé de lui dissimuler une grossesse : un médecin, mis dans la confidence, déclara que madame B... avait une hydropisie, et l'époux trompé vécut dans une entière sécurité. Enfin le jour de l'accouchement arriva; Jausion était présent. Madame B... ne put retenir les cris que lui arrachaient les douleurs de l'enfantement, Son mari, alarmé, s'efforce de quitter le fauteuil où le retenait une longue maladie; il se traîne à la chambre de són épouse infortunée; il frappe, il veut absolument entrer dans l'appartement. La jeune femme, pendant ce temps, suppliait Jausion de faire disparaître l'enfant, d'étouffer ses cris. Jausion l'emporte, il sort par une issue dérobée; une fosse d'aisance se trouve sous ses pas, et il y précipite l'innocente victime. M. B... n'a |