vait pas entendu les vagissemens de l'enfant, mais ils avaient éveillé l'attention de quelques voisins. La police fut prévenue; on accourut; on retira l'enfant, qui venait d'expirer, et une procédure criminelle s'instruisit. Jausion eut le bonheur de n'être pas mis en accusation; peut-être le dut-il à la bienveillance de M. Fualdès, alors procureur-impérial, et chargé de l'instruction. La malheureuse madame de B... comparut seule devant la justice; elle fut acquittée; mais la perte de son honneur entraîna celle de sa raison : elle mourut en démence, tandis que Jausion, riche et considéré, jouissait en paix des faveurs de la fortune, et, habile à se couvrir du masque de l'hypocrisie, consolidait sa réputation un instant chancelante. Il n'était pas impossible qu'en effet, dans quelque discussion d'intérêt, M. Fualdès eût fait souvenir Jausion du service important dont il lui était redevable, et que ce dernier n'eût résolu de se défaire du magistrat trop indulgent dont les accens réveillaient ses remords; mais, dans ce cas, la même raison ne pouvait faire agir Bastide, et l'on se convainquit que si elle avait eu quelque influence sur Jausion, une autre plus horrible, s'il se peut, que l'ingratitude, la soif de l'or enfin, les avait induits tous les deux à se charger d'un crime. Comment cette opinion prit-elle le caractère de la certitude? Voici à cet égard ce que nous apprend un honorable magistrat de Rodez, M. de Séguret, que la prévention n'a pas aveuglé, et qui, dans toute cette affaire, au contraire, a montré la plus grande noblesse de sentimens. « Mon opinion, long-temps indécise, et encore aujourd'hui incertaine, ne saurait avoir de poids qu'autant qu'elle s'appuierait plus ou moins sur les faits de la cause et les indices résultant des débats; je la livrerai au grand jour, mais avec la réserve de l'homme qui n'émet qu'une conjecture dont la probabilité est le sujet de la plus grave discussion. Je n'ai jamais pensé qu'un crime aussi atroce ait pu être le résultat de quelque léger intérêt pécuniaire : dès le principe, il m'a paru qu'il devait se rattacher à une combinaison profonde qu'entourait le plus grand mystère, et qu'il se liait à des intérêts immenses. L'accusation dirigée contre Bastide me parut invraisemblable tant qu'on ne lui donnait d'autre motif que la libération qu'il eût voulu se procurer d'une dette de 10,000 fr., ou l'enlèvement des effets de commerce que j'avais remis à M. Fualdès. Vouloir s'affranchir d'une dette de 10,000 francs n'était pas un motif en rapport avec la fortune de Bastide ni avec l'atrocité du crime. D'un autre côté, l'enlèvement des 26,000 francs que j'avais remis ne pouvait être le but de l'assassinat, par deux raisons: la première était qu'on ne pouvait soustraire utilement des effets passés nominativement à l'ordre de M. Fualdès, et que sa famille eût pu suivre et réclamer dans les mains des tireurs; la seconde, plus puissante encore, était que les accusés avaient eu ces effets dans leurs mains et ne les avaient pas enlevés. » Il était également difficile d'expliquer la conduite de Jausion. Je ne pouvais croire ni à la négociation manuelle qu'il prétendait avoir faite sur la place de Cité (d'une somme de 12,000 francs, ainsi que Jausion l'a déclaré ), ni qu'un acte aussi important que l'effraction du tiroir d'un homme récemment assassiné fût le fruit d'une étourderie inconcevable et désintéressée. J'étais dans cette confusion d'idées et de conjectures, lorsqu'un négociant de cette ville m'assura qu'il était à sa connaisance que M. Fualdès, entraîné dans ses rapports avec Jausion, lui fournissait des signatures de complaisance que Jausion négociait à son profit personnel; c'est-à-dire que Jausion empruntait au nom de Fualdès, et sur des effets de lui, des fonds qu'il retenait pour les faire valoir à son profit, de sorte que Fualdès n'était emprunteur que de nom. » Cette notion me parut être un trait de lumière et une explication vraisemblable d'une multitude de faits qui avaient jusqu'alors paru incohérens. Il était impossible de supposer que le sieur Fualdès n'eût pas retiré une contre-lettre, une déclaration quelconque, une promesse de garantie, pour les signatures de complaisance qu'il fournissait à Jausion. Il était positif qu'après le paiement presque intégral du prix de Flars, le sieur Fualdès avait voulu solder ses véritables dettes; il était vraisemblable qu'il avait également voulu retirer ses signatures de complaisance. En effet, les porteurs de ces signatures voyant M. Fualdès quitter cette ville, après avoir vendu son principal immeuble, perdant ainsi à la fois la garantie personnelle résultant de sa présence, et la garantie immobilière résultant de la propriété de Flars, se seraient levés en masse, et le sieur Fualdès n'eût pu les calmer qu'en produisant la contre-lettre qui eût fait retomber sa dette sur Jausion. Pour éviter cet éclat, il fallait donc que le sieur Fual- · dès s'adressât à Jausion, et exigeât impérieusement de lui de libérer sa signature compromise. Jausion, alors, se trouva dans l'alternative ou de faire rentrer une multitude d'effets en émission, ce que la rareté du numéraire rendait impossible; ou de se résoudre à la publicité de la contre-lettre, éclat qui compromettait son état, et l'exposait à perdre la confiance des capitalistes; ou de supprimer à la fois la réclamation, son auteur et toutes les traces de cette embarrassante négociation. » Si l'on s'arrête à cette affreuse supposition, à laquelle les soupçons élevés sur Jausion donnent une première vraisemblance, on voit d'abord que ce respectable magistrat aurait été égorgé, non pour une dette de 10,000 francs, non pour un échange d'effets échus avec des valeurs identiques, mais principalement pour faire retomber sur sa succession peut-être 100 ou 150,000 francs de dettes qui, dans le fait, seraient celles de Jausion, mais pour retirer Jausion de la position vraiment embarrassante où l'avait placé l'abus de la signature de M. Fualdès; et ces motifs seraient plus en proportion avec l'énormité du crime. On s'explique ainsi pourquoi, à la première découverte du cadavre, on s'est empressé d'enfoncer le bureau, non pas pour enlever des lettres-de-change, mais pour détruire la contre-lettre, le livre-journal, qui eussent attesté que la dette énorme qui pèse aujourd'hui sur la succession Fualdès n'était, dans le fait, que celle de Jausion. » La preuve de l'enlèvement des papiers de M. Fual dès résulte invinciblement, pour moi, de l'existence dans les mains de Jausion d'un acte de vente de Flars, qu'il a déposé au greffe, et dont il prétend n'avoir bâtonné la signature qu'après la mort de Fualdès. Non, je ne croirai jamais qu'un magistrat généralement estimé, qu'un homme dont la délicatesse égalait la probité, m'eût vendu le domaine de Flars, tandis qu'il existait une précédente vente à un tiers; qu'il m'eût engagé à ne pas me presser de faire enregistrer mon titre, tandis que Jausion, en faisant transcrire le sien, de long-temps antérieur, eût pu m'évincer et me réduire à poursuivre M. Fualdès du nom déshonorant de stellionataire. Le titre représenté par Jausion ne pouvait exister que dans les archives de M. Fualdès, qui en avait lui-même biffé la signature lorsqu'il rompit avec Jausion ce projet de vente, pour la consommer avec moi; et ce n'est que dans ces mêmes archives que Jausion peut l'avoir pris. >> Cette opinion, que le magistrat à qui nous l'avons empruntée n'avait émise que sous la forme dubitative, était généralement partagée. En rapprochant toutes les circonstances de la conduite de Jausion, elle avait toute l'apparence de la vérité; et, quant à Bastide, en même temps que les promesses de Jausion avaient contribué à fixer son infâme résolution, son intérêt personnel l'avait suffisamment engagé à ce crime. Une masse irrécusable de dépositions avait affirmé que cet accusé était débiteur de Fualdès d'une somme de 10,000 francs, et que, le jour même de l'assassinat, pressé par Fualdès de se libérer, il lui avait dit: Croyez |