vous que je veuille faire du tort? Je cherche tous les moyens de vous faire votre compte ce soir. Trois heures après l'infortuné Fualdès fut assassiné. Malgré les faits accablans qui démontraient leur culpabilité, les accusés, Bousquier excepté, gardèrent le plus absolu silence. Bancal, qui, dès son arrestation, avait fait espérer qu'il ferait d'importantes révélations, était mort empoisonné (1). Le seul propos qu'il tint, et dont put s'appuyer l'accusation, concernait Bastide. Il avait dit, lorsqu'il apprit que celui-ci venait d'être arrêté, que c'était un de ceux qui avaient tué Fualdès; qu'il y en avait bien d'autres, et qu'on les aurait tous. La justice était assez éclairée, et les accusés furent renvoyés, par la Cour royale de Montpellier, devant la Cour d'assises de Rodez ; les sieurs Jausion, BastideGramont, Bach, Colard, Bousquier, Missonnier, la femme et la fille Bancal, et la fille Anne Benoît, comme auteurs ou complices de l'assassinat du sieur Fualdès, de la noyade de son corps dans la rivière d'Aveyron; et, en outre, les sieurs Jausion, Bastide-Gramont, Victoire Bastide (femme Jausion), et Françoise Bastide (veuve Galtier), comme auteurs ou complices des vols commis dans la matinée du 20 mars, lendemain de l'assassinat, dans la maison de M. Fualdès. Les débats de cette importante affaire s'ouvrirent devant la Cour d'assises de Rodez le 19 août 1817; nous n'entreprenons point de les rapporter, puisqu'un (1) Ce malheureux avait obtenu, dit-on, du vert-de-gris, en faisant croupir des gros sous dans son urine, qu'il avait recueillie dans un vieux soulier. arrêt de la Cour de Cassation ayant cassé pour vice de forme celui de Rodez, les accusés eurent à subir un nouveau jugement devant la Cour d'assises d'Alby; et qu'en analysant les débats de ce nouveau procès, nous reproduirons nécessairement ceux du premier. Toutefois il est quelques détails que nous ne pouvons nous dispenser d'offrir aux lecteurs. L'indignation dont étaient animés les habitans de Rodez contre les accusés avait imprimé au nombreux concours des spectateurs qui remplissaient l'auditoire du tribunal, une susceptibilité qui se manifestait à cha`que occasion; ainsi M. Fualdès, fils de la victime, qui, d'une voix émue, demandait à la justice de venger les mânes de son père, excitait tour à tour, par sa douleur et son désintéressement, les larmes et l'admiration; les hypocrites réponses de Jausion, l'assurance effrontée de Bastide, la froide impassibilité de la Bancal, redoublaient l'horreur qu'ils inspiraient. A côté d'eux Colard et Anne Benoît, sa maîtresse, ne se souvenaient qu'ils étaient sur les bancs du crime que pour prendre la défense l'un de l'autre, et pour faire éclater toutes les sollicitudes d'un amour exalté, qui cependant avait pris naissance dans les habitudes les plus honteuses. Enfin les scènes dramatiques où parut madame Manson, en maîtrisant les pénibles suppositions que la conduite de cette dame faisait naître, promenaient les esprits d'émotions en émotions, et soute-. naient l'intérêt que la multiplicité des détails aurait sensiblement diminué, ou tout au moins ralenti. Les témoins entendus à charge étaient au nombre de deux cent quarante-trois; soixante-dix-sept à décharge avaient été assignés à la requête des accusés. Les premiers, en confirmant les faits que nous avons racontés, ajoutèrent de nouvelles clartés qui trouveront leur place dans le compte que nous rendrons du procès jugé à Alby. Quand on appela madame Manson à faire sa déclaration, un profond silence s'établit dans l'audience, et M. le président lui adressa d'abord une touchante allocution: «< Madame, lui dit-il en terminant, le public est convaincu que vous avez été poussée dans la maison Bancal par accident, et malgré vous. On vous regarde comme un ange destiné par la Providence à éclairer un mystère horrible. Quand même il y aurait eu quelque faiblesse de votre part, la déclaration que vous allez faire, le service immense que vous allez rendre à la société, en effaceraient le souvenir.» Puis s'adressant à la femme Bancal: « Connaissezvous cette dame? » Madame Manson se tourne vivement du côté de la femme Bancal, lève son voile, et d'un ton ferme : « Me connaissez-vous? >> Rép. Non. M. le président à madame Manson. Connaissezvous cette femme? - Madame Manson. Non, jamais je ne vis cette femme. M. le président à Bastide et à Jausion. Connaissezvous cette dame? - Jausion. Je ne la connais que pour l'avoir aperçue deux ou trois fois chez moi, il y a quatre ou cinq mois, faisant visite à madame Pons, ma belle-sœur. Madame Manson (vivement). Pourquoi donc a-t-il eu l'audace de me saluer en plein tribunal? Bastide. Je ne connais cette dame que pour l'avoir rencontrée une fois sur le grand chemin. M. le président exhorte de nouveau madame Manson à dire la vérité. Cette dame lance un regard expressif sur les accusés, et tombe évanouie; on l'emporte aussitôt sur une terrasse attenant à la salle; là, elle revient à elle, après avoir éprouvé de fortes convulsions, et s'écrie à plusieurs reprises avec l'accent de la plus vive terreur: Otez de ma vue ces assassins! ôtez de ma vue ces assassins! Madame Manson étant en état de reparaître, est ramenée sur le siége des témoins. M. le président lui dit avec douceur: Allons, madame, tâchez de calmer votre imagination; n'ayez aucune crainte, vous êtes dans le sanctuaire de la justice, en présence des magistrats qui vous protégent. Faites connaître la vérité; courage. Qu'avez-vous à nous dire? ne vous êtes vous pas trouvée à l'assassinat de M. Fualdès? Madame Manson. Je n'ai jamais été chez la femme Bancal. (Après un moment de silence.) Je crois que Bastide et Jausion y étaient. M. le président. Si vous n'y étiez pas présente, comment le croyez-vous ? Rép. Par des billets anonymes que j'ai reçus, par les démarches qu'on a faites auprès de moi. Madame Manson explique qu'après sa déclaration (du 2 août) faite à M. le préfet, madame Pons, sœur de Bastide, vint la trouver, et qu'elle promit à cette dame de rétracter sa déclaration, parce qu'elle était fausse. M. le président. Vous nous assurez que votre pre mière déclaration est fausse; vous ne savez donc rien sur le compte de Jausion et Bastide? Comment avezvous pu dire que vous les regardiez comme coupables? Rép. C'est par conjecture. (Madame Manson se tourne vers Jausion). Quand on tue ses enfans, on peut bien tuer son ami. Jausion jette les yeux sur madame Manson; celle-ci continue d'un ton ferme : Actuellement je vous regarde. M. le président. Comment a-t-il tué ses enfans? — Rép. C'est une affaire arrangée; mais le public n'est pas dupe. M. le président. N'avez-vous pas d'autre motif de votre conjecture que cette affaire arrangée?— Rép. Je n'ai point été chez la femme Bancal; non, je n'y ai point été; (en élevant la voix) je le soutiendrai jusqu'au pied de l'échafaud. M. le président rappelle à madame Manson qu'elle a tenu un autre langage à des témoins irréprochables, entre autres à M. Rodat, son cousin. Madame Manson (d'un air vivement affecté). Je ratifie d'avance tout ce que dira M. Rodat; c'est un homme incapable de mentir..... J'ai été à la préfecture plusieurs fois; j'ai fait des aveux imprudens; ils sont faux;.... je les ai rétractés. Je l'avais promis à madame Pons; ces aveux m'avaient été arrachés par la crainte de mon père. Si vous saviez ce dont j'ai été menacée!... M. le président. C'est au nom de votre malheureux père, déchiré par mille chagrins; c'est au nom de la justice, au nom de l'humanité, qui gémit d'un crime |