Images de page
PDF
ePub

horrible; au nom de la nature, dont les liens ont été rompus par un crime qui alarme toute la société, que je vous conjure de dire tout ce que vous savez. Pourquoi trahir la vérité? Oui, si vous aviez une faiblesse à vous reprocher, il suffirait de ce moment pour vous réhabiliter dans l'opinion publique. Voyez avec quelle attention on vous écoute. Parlez! parlez donc ! Je vous en conjure au nom de ce Dieu que vous voyez sur ma tête, justifiez-vous. Le public, effrayé d'un crime commis sur la personne d'un homme que vous avez connu, d'un magistrat qui siégeait à côté de votre père, ne demande que le triomphe de la vérité. Il vous chérira, il vous portera aux nues si vous faites connaître les vrais coupables. Prouvez-nous que vous avez été élevée dans l'amour de la justice; faites-nous voir que vous l'aimez, que vous savez lui obéir. Rappelez-vous que vous avez souvent parlé de l'honneur de votre famille; que cet honneur ne peut jamais s'allier avec le parjure, et que les plaies qu'on lui porte ne se cicatrisent jamais. Parlez, fille d'Enjalran! parlez, fille d'un magistrat.....

Pendant ce discours la figure de madame Manson s'altérait par degrés; à ces derniers, mots elle tomba de nouveau évanouie. En revenant à elle, elle aperçut à ses côtés M. le général Desperriers; et le repoussant d'une main, et portant l'autre sur l'épée du général, elle s'écria: Vous avez un couteau! et elle s'évanouit encore. Peu à peu elle reprend ses sens, et dit à M. le président : Demandez à Jausion s'il n'a pas sauvé la vie à une femme, chez Bancal.

Jausion. Je ne sache point avoir sauvé la vie à personne; j'ai rendu beaucoup de services, je l'ai fait avec plaisir, mais je n'en ai pas d'idée... Alors les yeux de l'accusé rencontrent ceux de madame Manson; celleci détourne les siens, et s'écrie: ô Dieu! (puis avec force) Il y avait une femme chez Bancal; elle

y avait

un rendez-vous; elle ne fut pas sauvée par Bastide... M. le président. Par qui? il y avait Jausion et Bastide?

Madame Manson. Je vous dis qu'il y avait une femme chez Bancal. Bastide voulait la tuer, Jausion la

sauva.

M. le président. Mais Bastide et Jausion nient d'avoir été chez Bancal.

Madame Manson. Bastide et Jausion n'ont pas été chez Bancal! Demandez à Bousquier s'il me connaît.

M. le président répète la question. Bousquier. Non, je ne la connais pas, je ne crois pas l'avoir jamais vue.

M. le président. Et vous, madame, connaissez-vous Bousquier? - Rép. Non, je le vois pour la première fois.

M. le président. Accusés Jausion et Bastide, vous étiez chez Bancal. Qui de vous deux a voulu sauver...? Madame Manson (d'une voix forte). Non, pas Bastide! non, pas Bastide!

M. le président à madame Manson. Si vous n'étiez pas chez Bancal, qui vous a dit qu'il y avait une femme qu'on a sauvée? - Rép. Beaucoup de monde. Blanc des Bourines.

M. le président. Connaissez-vous la femme qui a été

sauvée chez Bancal? Rép. Plût à Dieu que je la connusse! Le moment n'est pas loin peut-être où cette femme se montrera! C'est M. Blanc des Bourines qui m'a assurée qu'on disait qu'il y avait une femme chez Bancal, à qui Jausion avait sauvé la vie; on a parlé de E... et de M. (Enjalran - Manson.) Ce sont mes

noms.

Madame Manson tombe en syncope; peu à peu elle revient à elle, et parle bas au général placé à côté d'elle.

M. le président. Où se cacha cette femme? n'est-ce pas dans un cabinet?

Madame Manson (d'une voix entrecoupée et les larmes aux yeux). Oui, on dit qu'elle fut cachée dans un cabinet.

M. le président. Cette femme ne s'est-elle pas trouvée mal dans ce cabinet. Rép. Ce n'était pas moi qui étais chez Bancal; j'ignore si cette femme se trouva mal dans ce cabinet; mais je sais que Bastide voulait la tuer, et que Jausion la sauva et la reconduisit jusqu'au puits de la place de Cité.

M. le président. En passant dans la cuisine de Bancal, cette femme ne vit-elle pas un cadavre?- Rép. Je répète que je n'ai jamais été chez Bancal.

M. le président. Comment pouvez-vous savoir tant de choses, si vous n'avez pas été dans la maison Bancal? Rép. Ce sont des conjectures, d'après les billets que j'ai reçus et les démarches que les accusés ont faites auprès de moi. On m'a dit que depuis que j'avais fait ma première déclaration à la préfecture, M. Jau

sion avait demandé des poignards; mais lorsque madame Pons est venue me voir, elle m'a assurée que cela n'était pas vrai, et que Jausion était tranquille. On m'a envoyé plusieurs billets qui n'étaient que de simples adresses de maison où l'on m'invitait à me rendre ; je ne me suis jamais rendue dans ces maisons, parce que je craignais d'y trouver des personnes de la famille Bastide.

Après ces paroles, madame Manson ayant prononcé avec embarras et à voix basse le mot serment, M. le président lui demande si l'on ne fit point prêter un serment à la femme sauvée par Jausion. A cette question, elle essaie de reprendre toute son assurance, et, lançant un regard courroucé sur les accusés, elle ré`pond : On dit qu'on fit faire un serment terrible sur le cadavre. Demandez à M. Jausion s'il n'a pas cru que cette femme à qui il a sauvé la vie fût madame Manson.

Jausion nie avoir sauvé la vie à

personne.

M. le président ordonne.que M. le général Desperrières sera entendu sur-le-champ. Ce dernier déclare qu'à la suite des secours qu'il a donnés à madame Manson lorsqu'elle s'est évanouie, elle lui a dit, en présence de plusieurs autres personnes : Sauvez-moi de ces assassins! qu'ayant fait alors tous ses efforts pour la rassurer, elle lui avait répondu : « Vous ne serez pas toujours auprès de moi, général; s'ils échappaient, ils saigneraient tous les honnêtes gens du département. Qu'on m'interpelle, je dirai toute la vérité. »

M. le président s'adresse encore à madame Man

.

son: Dites donc la vérité, madame, nous l'attendons avec impatience.

Madame Manson. Je voudrais savoir pourquoi les accusés font tant de démarches auprès de moi, s'ils ne sont pas coupables.

M. Fualdès fils obtient la parole, et dit : « Il paraît que madame Manson n'ose parler parce qu'elle est effrayée par l'image des poignards, et plus encore par l'image des assassins de mon père; je prie M. le président de faire placer huit hommes de la force armée entre elle et les prévenus, soit pour lui dérober la vue de ceux-ci, soit pour la rassurer contre ses propres craintes. (Se tournant ensuite vers madame Manson.) Je vous supplie, madame, de faire entendre la vérité, au nom de ce que vous avez de plus cher au monde, au nom de votre père, au nom de votre fils; je vous la demande dans l'intérêt même des accusés; s'ils sont innocens, d'un seul mot vous pouvez les sauver; parlez, madame, parlez; c'est un fils qui vous le demande pour venger le sang de son père. »

D'après la demande de M. Fualdès, et sur le réquisitoire de M. le procureur-général, M. le président fait placer une haie de soldats entre le siége de madame Manson et le banc des accusés, et ordonne qu'une sauve-garde d'hommes armés sera donnée sur-le-champ à madame Manson..

M. le président, à Bastide. Vous le voyez, Bastide, vous étiez dans la maison Bancal au moment de l'assassinat est-ce vous qui avez proposé... Bastide (interrompant). J'ai déjà eu l'honneur de vous dire que

« PrécédentContinuer »