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je n'avais jamais eu de rapport avec la maison Bancal, dise madame Manson.

quoi que

Celle-ci se lève aussitôt, et, frappant avec force du pied, elle s'écrie, avec l'accent de l'indignation: Avoue donc, malheureux!

A ces mots, un mouvement d'horreur saisit tout l'auditoire, un silence plus morne règne dans la salle, les accusés eux-mêmes paraissent consternés.

M. le président. Comment pouvez-vous accuser aussi fortement les prévenus, et ne pas avouer que vous avez été dans la maison Bancal?- Rép. Comment peuventils le contester? il y a tant de témoins qui le déposent. Bastide, interrogé, soutient qu'il est innocent, et M. le président presse instamment madame Manson de dire toute la vérité. Je ne puis pas la dire, réplique-t-elle. Mais pourquoi frémissez-vous lorsque vous entendez la voix de Bastide? Pourquoi vous troublez-vous lorsqu'on parle du cadavre de M. Fualdès et d'un couteau? - Rép. Je ne puis pas dire que j'ai été chez Bancal, et cependant tout est vrai... Appelez les témoins à qui j'en ai parlé, je ne nierai rien... Je conviens d'avance de tout ce que dira M. Rodat.

A l'instant on introduit M. Amans Rodat. Ce témoin rapporte que madame Manson lui parla à diverses reprises de l'assassinat de M. Fualdès, sans jamais dire un mot qui pût faire présumer l'innocence des accusés; comme aussi elle n'a jamais dit positivement qu'elle fût certaine de leur culpabilité. Un jour elle lui dit : Si vous connaissiez toute la vérité relativement aux assassins de M. Fualdès, que feriez-vous? si vous

aviez été chez Bancal? si vous aviez tout vu? Le témoin rapporte les réponses qu'il fit à madame Manson. Cette dame lui adressa de nouvelles questions, entre autres celle-ci : Mais quand on est lié par un serment? Mais que feriez-vous si l'un des coupables vous avait sauvé la vie? Peut-on porter la hache sur celui qui nous aurait sauvé la vie? A quoi le témoin répondit : Placé entre un parjure et le sacrifice douloureux d'un sentiment qui a sa racine dans un cœur généreux, je dirais à la Cour, quand je serais en présence des prévenus : Un de ces hommes m'a sauvé la vie ; je ne crois pas être obligé de révéler son nom; la Cour jugera si je dois parler.

On entend aussi Victoire Redoulez, ancienne servante de madame Manson. Elle déclare qu'ayant eu connaissance par le bruit public de ce qui venait de se passer entre madame Manson et M. Clémandot, elle s'empressa d'aller la voir, et que cette dame lui avoua qu'elle avait réellement été chez Bancal, et qu'ensuite

elle le nia.

Madame Manson, interpellée par M. le président, dit, en parlant du témoin : Cette femme est incapable de mentir.

Plusieurs témoins sont successivement entendus, qui déposent de propos articulés par madame Manson. MM. Clémandot et d'Estourmel renouvellent aussi leurs déclarations précédentes. La déposition de M. Clémandot amène une nouvelle scène entre madame Manson et les accusés. Jausion prend la parole et dit : M. Clémandot a fait dire à la dame Manson plus qu'elle ne

voulait. Je demande, au surplus, que cette dame dise toute la vérité; je ne demande pas autre chose.

Bastide se lève et supplie à son tour la dame Manson de dire la vérité. Aux gestes qu'il fait, à la chaleur de ses supplications, il semblerait n'avoir à redouter que le mensonge. « Craignez-vous ina famille? dit-il ; si je suis coupable, elle me retranchera de parmi ses membres. >>

M. Fualdès fils exhorte aussi madame Manson de dire ce qu'elle sait.

Madame Manson (qui jusqu'alors était restée dans l'attitude de la réflexion). Je n'ai jamais été chez Bancal..... Je ne le dirai jamais..... On me conduira plutôt à l'échafaud..... Je suis une femme d'honneur..... Je dis la vérité à la justice..... Je n'ai rien dit à M. Clémandot, je l'ai affirmé par serment.

Bastide. Que craignez-vous, madame? ma famille prendra l'engagement.....

Madame Manson (avec vivacité). Je n'ai point d'engagement à prendre avec vous, Bastide!

A la suite de la déposition de M. Julien, témoin discrétionnaire qui confirme les faits contenus au rapport de M. d'Estourmel, madame Manson est de nouveau interrogée. Elle déclare que ce n'est pas elle qui s'est trouvée chez Bancal, que tout la porte à croire qu'une femme a pris son nom; que tout ce qu'elle a dit à MM. Rodat et Clémandot étaient de simples ouï-dire.

M. le président encourage madame Manson. Ne vous a-t-on pas dit, lui demande-t-il, que si vous déclariez à la Cour ce que vous avez déclaré à la

préfecture, vous perdriez Jausion?

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- Rép. Oui. Dem. N'était-ce pas par son ordre? - Rép. Non. Dem. Mais qui vous l'a dit? - Rép. Je ne le dirai jamais. Nouvelle exhortation de la part de M. le président. Descendez, lui dit-il, dans le fond de votre conscience. - Rép. Que voulez-vous que je dise, quand mes aveux m'accusent?... J'ai dit vrai quand j'ai dit que je n'avais pas été chez Bancal. Je n'ai pas vu commettre le crime. Dem. Mais n'auriez-vous pas vu la femme qui y Rép. Non.-Dem. Comment donc avez-vous pu dire hier que Bastide et Jausion étaient coupables? Rép. J'ignore si Jausion est complice de l'assassinat de M. Fualdès.

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était?

Le président. Comment avez-vous pu dire hier à Bastide Avoue donc, malheureux! et à Jausion: Tu ne me connais pas ? - Rép. Demandez à Bastide et à Jausion s'ils n'ont su que je fusse témoin que le jour où j'ai comparu au tribunal.

Jausion. Je ne l'ai su que le jour où on m'a signifié la liste des témoins.

Le président à madame Manson. Pourquoi faitesVous cette question? n'est-ce pas parce que vous saviez tout?-Rép. J'ai reçu un billet anonyme que je crois de madame Pons.

Le président. Comment se fait-il, puisque vous n'êtes pas la dame qui était chez Bancal, et que les accusés sont censés la connaître; comment, dis-je, se fait-il que l'on vous ait ainsi circonvenue, vous ait donné des rendez-vous, écrit des billets anonymes? Pourquoi s'adresse-t-on à vous plutôt qu'à une autre? Vous gardez

le silence! Rép. Que voulez-vous que je dise ?.... Je vais encore vous fournir des armes contre moi. Je vais vous prouver que j'y étais, et cependant que je n'y étais pas. Il y a un témoin qui dépose que la fille Bancal a reçu une pièce d'étoffe pour faire un bonnet, et cette pièce ressemble à une robe que j'ai.

Malgré toutes les instances, madame Manson persiste à nier qu'elle se soit trouvée chez Bancal et ait été témoin de l'assassinat; elle soutient que tout ce qu'elle a dit ailleurs est fabuleux, et que devant la Cour elle dit la vérité, parce qu'elle est libre. Pendant tout le cours des débats de Rodez madame Manson persista dans le système qu'elle avait adopté, et M. le procureurgénéral se vit forcé de prendre contre elle des mesures pour la poursuivre en faux témoignage.

Il est facile de concevoir l'intérêt qu'avaient les magistrats à obtenir de madame Manson qu'elle suivît une route plus conforme à ses devoirs et aux exigences de l'honneur et de la justice, si l'on fait attention qu'outre les présomptions de la culpabilité des accusés, qu'accréditaient de puissans témoignages, il n'existait que deux témoins du crime, aux déclarations desquels on ne pouvait ajouter qu'une foi très-limitée : car quelles garanties offraient à la justice la naïveté d'un enfant de huit ans, dont les propos indiscrets mettaient la tête de sa mère sous l'instrument du supplice; et les aveux tardifs d'un des complices de l'assassinat, que l'espoir de sauver sa tête avait peut-être conduit à accuser des innocens en s'accusant lui-même? Ce calcul n'était pas inoui dans nos fastes judiciaires, et la justice

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