jour efface celui de la veille; à peine des débats solennels en rappellent-ils le souvenir; et, lorsque le supplice du criminel a offert à une populace insensible l'affreux spectacle du dénoûment d'un horrible drame, on oublie que la justice n'a tiré son glaive que pour donner réparation à la société outragée, et montrer, par un salutaire exemple, les devoirs qu'elle impose à ses membres. Au contraire, s'il se présente un crime dont les circonstances soient tellement atroces, qu'il répugne à l'esprit de les comprendre; si les coupables sont tellement placés dans le monde, que leur famille ou leur éducation leur aient attiré une vaste considération; enfin, si leur criminalité a long-temps été un mystère; alors les opinions s'agitent, l'intérêt s'accroît de jour en jour, la clameur publique demande vengeance. Déjà la vérité éclaire de son flambeau l'obscurité des faits; le secret de l'énigme est découvert.... et la curiosité satisfaite; la société retombe dans le sommeil dont l'avait tirée une vive secousse, et auquel une émotion nouvelle viendra l'arracher. ·le Faut-il chercher les causes de cette déplorable indifférence, et les trouverait-on ailleurs que dans l'égoïsme, qui rend tant de citoyens impassibles aux intérêts généraux, ne s'apercevant pas, aveugles qu'ils sont, que coup qui frappe un individu frappe aussi la masse, et de là réagit sur eux-mêmes? grave sujet de méditation, et problème plus désespérant encore par sa solution, que difficile à résoudre! L'histoire des crimes des hommes et des émotions qu'ils ont soulevées peut conduire à cet immense résultat ; parmi les faits qui doi vent y concourir, se place en première ligne l'épouvantable affaire dont nous offrons le récit. Le 20 mars 1817, la ville de Rodez apprit avec horreur qu'un forfait inoui avait été commis dans ses murs. Le matin de ce jour, un cadavre avait été trouvé flottant sur les eaux de l'Aveyron: c'était celui de M. FUALDÈS, ancien magistrat; une large blessure qu'il avait au cou fit rejeter toute idée de suicide, et ne permit pas de douter qu'il n'eût succombé sous les coups de lâches assassins. Environné de la considération publique, respecté de tous, M. Fualdès ne connaissait pas d'ennemis. Ses principes politiques bien prononcés en faveur de la liberté, mais sages et tolérans, auraient dû désarmer les fanatiques les plus ardens, et sa fortune était en apparence trop peu considérable pour exciter la cupidité d'un meurtrier. Quels étaient donc et la cause et les auteurs du crime? Cette question partagea tous les esprits. Les habitans de Rodez, éperdus, regardaient autour d'eux avec effroi. Une voix trompeuse annonçait que des gens flétris par la justice avaient assouvi leur rage sur le magistrat inflexible qui avait provoqué leur juste punition, quand tout-à-coup une sourde rumeur se fait entendre: Fualdès a été assassiné par les nobles! et ce crime n'est que le prélude de nouveaux attentats! Fualdès a péri victime de ses opinions, et les Séides d'une faction sanguinaire vont frapper de nouvelles victimes! A ces étranges paroles, l'agitation redouble; une population timorée s'apprête à la lutte des discordes civiles, et, là où naguère se confondaient au sein de l'oubli les divisions des partis, se prépare la réaction la plus terrible. Que l'on se souvienne des excès dont, en 1816, quelques-unes de nos provinces avaient été le théâtre, et la terreur qui saisit tous les gens de bien n'aura rien que de légitime. Cependant ici d'infâmes calomniateurs avaient essayé de soustraire les véritables coupables à l'œil vigilant de la justice. Des craintes chimériques furent bientôt dissipées, le calme reparut, et l'intérêt, se reportant sur le malheureux Fualdès, s'accrut et se changea en indignation lorsqu'on apprit les détails du crime. L'investigation des autorités n'avait pas été détournée, et bientôt elle avait obtenu des indices certains. Elle avait su que, le 18, M. Fualdès avait reçu de M.Séguret, en effets de commerce, une somme considérable, pour partie du prix d'un domaine qu'il lui avait vendu; que, dans l'après-midi du 19, un rendez-vous pour la négociation de ces effets lui avait été donné et fixé à huit heures du soir. Effectivement, M. Fualdès sortit de chez luivers cet instant, après avoir pris sous sa lévite quelque chose qu'il soutenait avec son bras gauche; et, une demiheure après, un individu trouva dans la rue du Terral, sur le prolongement de la rue des Hebdomadiers, une canne reconnue depuis pour être celle de M. Fualdès, et, non loin de la maison Bancal, un mouchoir usé récemment tordu dans toute sa longueur. Ces premiers renseignemens, qui paraîtront d'abord de peu d'importance, en amenèrent de plus concluans; et enfin il fut reconnu qu'un homme avait été posté près de la maison de M. Fualdès, et qu'au moment où celui-ci en sortit, cet individu quitta son poste et descendit en grande hâte dans la rue de l'Ambergue-Droite, qui aboutit à celle des Hebdomadiers, par la petite rue qui traverse celle de Saint-Vincent. D'autres hommes étaient également postés au coin des maisons de François de Valat et de Missonnier, de la rue dite des Frères de l'École chrétienne, et sur la porte de la maison Vergnes, habitée par Bancal. L'infortuné Fualdès marchait avec sécurité; il était à peine arrivé près de la maison Missonnier, qu'à un signal donné, plusieurs scélérats se jettent sur lui, placent un bâillon sur sa bouche, et l'entraînent violemment dans la maison Bancal, lieu infâme, repaire de débauches et de crimes. Là, on jette le malheureux vieillard sur une table, et les assassins s'apprêtent. Vainement il demande un instant pour se recommander à Dieu, on le repousse avec ironie. Il se débat, la table est renversée; les assassins la relèvent. L'un tient les pieds de l'infortuné, un autre, armé d'un couteau, essaie de lui porter le coup mortel, mais sa main tremble; un troisième reproche à son complice son défaut d'assurance, et, lui prenant le couteau des mains, le plonge dans la gorge de la victime. Le sang qui coule est reçu dans un baquet, et donné ensuite en nourriture à un cochon! Après la consommation de l'horrible sacrifice, le corps de Fualdès est placé sur deux barres, enveloppé dans un drap et dans une couverture de laine, lié comme une balle de cuir avec des cordes, et porté, vers les dix heures du soir, dans la rivière d'Aveyron, par quatre individus précédés d'un homme à haute taille, armé d'un fusil, et suivi de deux autres, dont l'un seulement était aussi armé d'un fusil. Ces révélations, encore incomplètes, provenaient d'aveux faits à des tiers par la femme Bancal, ou sortis de la bouche des jeunes enfans de cette femme. On savait dès long-temps que les époux Bancal avaient toujours manifesté les sentimens de la plus vive haine contre M. Fualdès; l'infâme métier qu'ils ne rougissaient pas d'exercer augmenta des soupçons auxquels donnèrent un nouveau poids la circonstance de la canne de M. Fualdès et du mouchoir trouvés non loin de leur domicile. Bancal, sa femme et sa fille aînée furent promptement arrêtés, et leurs autres enfans en bas âge placés à l'hôpital de Rodez; une visite faite à leur domicile procura la découverte d'une couverture de laine, de plusieurs linges ensanglantés qui avaient servi à envelopper le corps de M. Fualdès, et d'une veste que portait Bancal le jour de l'assassinat; cette veste était tachée de sang, qu'on avait essayé d'enlever en le râclant avec un couteau. Dans la prison où elle était renfermée, la femme Bancal tint des propos qu'on ne manqua pas de recueillir; ainsi elle dit à une autre prisonnière, la femme Lacroix, après avoir yomi les plus grossières injures contre M. Fualdès, qu'il avait été bâillonné avec un mouchoir; qu'on l'avait saigné avec un mauvais couteau; qu'il avait sur le corps une chemise qui ressemblait à une aube; qu'elle avait pris la bague de son doigt, mais que le lendemain elle avait été forcée de la rendre, et qu'on lui avait donné six francs en compensation. Elle ajouta que si on lui demandait au tribunal ce qui s'était passé chez elle, elle dirait aux juges qu'ils devaient bien le savoir, puis |