ne devait donc accueillir qu'avec une extrême défiance de telles révélations. Ainsi les réticences, les dénégations homicides de madame Manson, tantôt accusant, tantôt prétendant ne rien savoir, embarrassaient au plus haut degré la conscience du jury. Dans une institution où la loi ne demande à ceux qui sont appelés à délibérer que l'expression de leur conviction; là où elle leur dit : Vous ne déciderez point d'après les dépositions de tels ou tels témoins, mais seulement d'après la conviction que vous aurez de la culpabilité des accusés, madame Manson apportait le trouble et l'obscurité, au lieu de l'aveu sincère et positif d'une coupable indiscrétion, si ses premières déclarations étaient mensongères; ou en ne désignant pas avec assurance les coupables, si le crime avait été commis sous ses yeux. Les défenseurs des accusés ne manquèrent pas de tirer parti pour leurs cliens des dépositions de madame Manson. Me Romiguières, qui prêtait son éloquence à Bastide, fit ressortir avec le talent qui le distingue le peu de confiance qu'elles méritaient; et, l'apostrophant elle-même avec la plus grande énergie, il lui lança ces paroles sévères : « Vos contradictions, vos réticences, vos demiaveux, vos frayeurs ont fourni au ministère public des raisonnemens dont il a tiré des conséquences plus funestes aux accusés que si vous aviez articulé des témoignages positifs qui les désigneraient comme coupables. Il vaudrait mieux que la vérité, fût-elle terrible, sortît tout entière de votre bouche. Qui peut vous empêcher de la dire? C'est au nom même des accusés que je la réclame. Qu'auriez-vous à craindre de leur vengeance? ils sont dans les fers..... » Aussitôt madame Manson s'écria: Ah! tous les coupables ne sont pas dans les fers. - Nommez-les, reprit M. Romiguières. On crut alors qu'abandonnant son mystérieux système, madame Manson allait enfin fixer l'opinion flottant encore dans un reste d'incertitude; vain espoir! elle répondit : La vérité ne sortira pas de ma bouche. Puis elle se contenta de prétendre qu'une autre dame s'était trouvée chez Bancal, et elle désigna mademoiselle Rose Pierret, qui soutint avec force le contraire, et la convainquit presque d'imposture. Ce n'était que plus tard qu'elle devait enfin renouveler un aveu terrible pour ne le plus démentir. Après de longues plaidoiries, et le 12 septembre 1817, les sieurs Bastide, Jausion, Bach, Colard, et veuve Bancal, furent, sur la déclaration du jury, condamnés à la PEINE DE MORT; Anne Benoît et Missonnier, à celle des travaux forcés à perpétuité, et à la flétrissure des lettres T. P.; Bousquier, à un an de prison; les dames Jausion, Galtier et Marianne Bancal furent acquittées de l'accusation. Il restait aux condamnés un dernier refuge, c'était le recours en cassation. Ils ne manquèrent pas de se pourvoir contre l'arrêt qui venait d'être rendu; et cette fois le succès couronna leurs espérances. Le 9 octobre suivant la Cour cassa, pour vice de formes, l'arrêt de la Cour d'assises de Rodez. Plus tard l'affaire fut renvoyée devant la cour d'Albi. Les coupables avaient été démasqués, la vengeance de la société n'était qu'ajournée, et cependant l'opinion publique éclatait en murmures. La crainte que les criminels ne parvinssent à se soustraire au sort qui les menaçait agitait tous les esprits, et surtout la classe laborieuse du peuple. On disait hautement que si les assassins avaient appartenu à une famille indigente, l'arrêt qui les avait condamnés aurait été plus promptement exécuté; mais que ceux-là, parce qu'ils étaient riches et puissans, la justice les ménageait et traînait les choses en longueur, afin de faire oublier le crime, et, lorsque l'indignation serait calmée, de ménager aux coupables les moyens d'éluder les lois. Ils ne savaient pas, les individus qui propageaient de telles assertions, que les lois, égales pour tous, et pour tous inflexibles, protégent le pauvre comme le riche, et que, pour que la prévention, l'erreur ou la haine n'égarent pas la conscience des juges, elle a tracé des règles dont elle a défendu de s'écarter. Tandis que la nouvelle instruction s'établissait avec une sage lenteur, des révélations de la plus haute importance venaient aggraver la position des accusés; tandis que des témoins, que leur pusillanimité avait condamnés au silence, maintenant qu'ils étaient portés à croire que les coupables seraient frappés d'une juste punition, déposaient de faits graves et de nature à empêcher que le doute pût jamais se glisser dans l'esprit des jurés; tandis que des complices du crime, abandonnant enfin le système de dénégation qui leur avait si mal réussi, racontaient toutes les circonstances, les moindres détails de l'assassinat et du convoi funèbre de l'infortuné Fualdès; la curiosité, distraite du point principal, se portait avec avidité sur les acteurs du drame sanglant dont nous avons à peine tracé l'exposition. Des étrangers, attirés par l'horrible célébrité de Bastide, de Jausion, accouraient en foule à Rodez, jaloux de voir de près ces hommes cruels dont l'imagination, fertile en crime, avait inventé un nouveau genre de supplice pour arracher à un faible vieillard et la fortune et la vie. Celui qui, parmi ces infâmes assassins, fixait d'abord les regards, était Bastide; sa taille gigantesque, son œil dur et sinistre, son teint pâle, sa barbe noire, sa large poitrine, l'habitude grossière de tout son corps, rappelaient l'idée de la férocité unie à la force. Dans la prison où il était renfermé avec Jausion, il lui témoignait une déférence marquée; il n'avait plus ce ton impératif, cette parole brusque, qui ajoutaient encore à la frayeur qu'il inspirait. Jausion semblait le dominer de toute la puissance d'un génie hardi, habitué à toutes les ruses de la fourberie et du mensonge; sombre, pensif, il tenait constamment ses yeux fixés vers la terre. Son indifférence apparente pour tout ce qui l'environnait, la négligence de sa mise, autrefois recherchée, son air dégoûté lorsqu'il prenait ses repas, annonçaient un homme qui a perdu tout espoir, et qui attend avec ennui ce que décidera l'avenir. Dans une autre prison étaient entassés pêle-mêle les obscurs complices de l'assassinat. Un grand jeune homme, blond, l'air assuré et point dépourvu de noblesse, était Jean-Baptiste Colard, ancien soldat du train; sa lâcheté le fit chasser avec mépris de son régiment. La voix flatteuse d'une jeune fille, d'Anne Benoît, dont le maintien est doux et décent, l'avait retenu à Rodez ; ils demeuraient ensemble dans le repaire de Bancal; et ils faisaient à l'exécuteur des hautes œuvres une cour assidue, dans l'espoir de lui succéder dans son ministère de sang. Bach, contrebandier de profession, au visage fourbe et rusé, inspirait la méfiance. Toutes ses habitudes contrastaient avec celles du niais et imbécile Missonnier, dont les traits étaient sans expression, et qui conservait au milieu de ses complices l'insensibilité la plus complète. Plus loin, la Bancal, dont le vice, encore plus que l'âge et la misère, avait courbé la taille et dégradé la figure, excitait le dégoût et l'horreur; ses regards rampans et faux, sa physionomie méchante, respiraient tout ce que la nature la plus perverse a de plus hideux. On se détournait avec horreur de cette bande de scélérats pour se rapprocher de ce témoin qui étonne et déconcerte les magistrats chargés d'approfondir son âme, de madame Manson, si profondément artificieuse dans le plan de conduite qu'elle avait embrassé. De témoin, d'accusée de faux témoignage qu'elle était, elle était détenue comme complice de l'assassinat de Fualdès. Elle est encore entourée du même mystère; séparée de son fils, triste et recueillie, elle poursuit un rôle qui l'accable. Agée de trente-deux ans, petite, pâle, les yeux expressifs, la taille aisée, la vivacité de son esprit la fait trouver quelquefois jolie, mais toujours aimable et intéressante. Souvent elle laisse soupçon |