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femmes, comme je l'ai dit précédemment, me tournaient le dos.

Jausion. Je vous prie, M. le président, de demander au témoin s'il me connaissait avant le procès.

Bach (avec énergie). J'ai dit la vérité, je vous ai entendu nommer deux fois dans la soirée du 19 mars. Je vous ai parfaitement reconnu. Je ne cherche pas à sauver ma vie, la mort ne m'effraie pas; je voudrais qu'elle eût déjà terminé tous mes maux. Un père et une mère sexagénaires que mon silence avait réduits au désespoir sont les seules causes qui m'ont engagé à tout dévoiler à la justice.

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Jausion rappelle qu'il a écrit à M. le président pour le prier de faire ses efforts pour obtenir que Bach dît la vérité. «< Si j'avais craint quelque chose de ses aveux, dit-il, me serais-je déterminé à les provoquer? Je ne le sais que trop, mes malheurs je les dois à des ennemis qui en veulent à ma tête et à ma fortune. »

Bastide, voulant calmer Jausion qui s'est un peu emporté, lui dit : Eh! mon Dieu, laissons cela, tout s'éclaircira; patience. Madame Manson, qui avait la tête appuyée sur ses mains, se relève, et regarde Bastide d'un air étonné.

Plusieurs questions sont adressées à Bach sur le motif qui l'a empêché de faire plus tôt ses révélations. L'accusé répond qu'il pensait se tirer d'affaire autrement, et que d'ailleurs il ne voulait pas faire condamner ses complices.

Après de longs débats sur la déposition de Bach, la déclaration du sieur Jean, trente-septième témoin,

amène celle de madame Manson. Le témoin ayant rapporté que Bastide lui avait dit un jour que, sans Jau-sion, madame Manson ne déposerait plus contre lui, qu'elle ne serait plus en vie, M. le président invite madame Manson à dire ce qu'elle sait de l'assassinat de M. Fualdès.

Madame Manson. Dans la soirée du 19 mars, à huit heures un quart, je passais dans la rue des Hebdomadiers; j'entendis du bruit ; j'entrai dans une maison que je trouvai ouverte ; j'ai su depuis que c'était la maison Bancal. Je fus poussée par quelqu'un dans un cabinet ; j'entendis du tumulte; la frayeur me causa un évanouissement. Quand je revins à moi, le bruit avait redoublé : il me sembla qu'on traînait quelqu'un de force; j'entendis parler, mais confusément et sans distinguer les voix.

(Ici madame Manson, dont on avait recueilli la déposition dans un religieux silence, tombe évanouie... Ayant repris ses. sens, elle continue ainsi son récit, d'après l'invitation de M. le président.)

J'entendis des gémissemens.... des cris étouffés... le sang coulait dans un baquet comme une fontaine.... (La voix, le geste de madame Manson, ces affreux détails, font éprouver à tout l'auditoire un frémissement d'horreur.) Je compris qu'on égorgeait quelqu'un ; je craignis pour ma vie. Je tâchai d'ouvrir une fenêtre qui était dans le cabinet; je me donnai un coup qui occasiona une hémorragie abondante; je m'évanouis encore. Un homme vint bientôt me chercher, et me conduisit sur la place de Cité. Il me demanda d'où je

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Me con

venais. Je répondis que je n'en savais rien.
naissez-vous? ajouta-t-il.—Non, lui répondis-je.

Il

me quitta un moment, et j'allai frapper chez Victoire pour passer le reste de la nuit avec elle. N'ayant pu me faire entendre, je retournai sur mes pas, et le méme homme me suivit; il me répéta sa dernière question, et j'y fis la même réponse, en ajoutant que je ne désirais pas le connaître.

M. le président. Un témoin vient de déclarer qu'il a entendu dire à Bastide que, si Jausion avait voulu le croire, vous n'existeriez plus.

Madame Manson. Bastide a dit cela; je ne le contredis pas.

M. le procureur-général. C'est ici l'occasion de faire connaître à la Cour et au public les moyens employés pour corrompre les témoins: ces efforts ont été dirigés aussi contre madame Manson; mais elle a refusé les offres qui lui ont été faites; on a cherché ensuite à l'intimider; on l'a alarmée sur le compte de son fils.

Je dois rendre compte de deux procès-verbaux, l'un dù 28 février dernier, l'autre du 29 du courant. Il résulte du premier que madame Manson, se promenant dans le jardin de la prison, a trouvé un billet ainsi conçu: «< Tu as parlé, mais tremble encore ; ils ne sont pas tous dans les fers; nous saurons t'atteindre tôt ou tard: tu périras, toi et ton fils, par le fer ou par le poison. La mort vous attend tous deux. »

Madame Manson écrivit à M. le président : «Ma vie est menacée, on en veut à mes jours et à ceux de mon enfant. Les machinateurs ont trouvé le moyen de par

venir jusqu'à moi; j'ai reçu une horrible lettre; je la remets entre vos mains, afin que vous en fassiez l'usage que vous jugerez le plus convenable pour notre sûreté et pour les intérêts de la justice. Nous nous mettons, mon fils et moi, sous la sauve-garde des lois. Daignez agréer, etc. »

M. le président a donné acte à madame Manson des déclarations qu'elle lui faisait, et ordonné que la lettre anonyme serait jointe à la procédure.

Le second procès-verbal constate un fait semblable au premier. Madame Manson écrit au président : << Mes jours sont menacés, je périrai quelque jours victime des assassins de M. Fualdès. » Elle lui remet en même temps un billet ainsi conçu, qu'on a glissé dans la chaise à porteur qui la transporte de la prison au palais :

«

Écoute un dernier avis, tais-toi. Le jour où tu déposeras sera le dernier pour toi et pour ton fils: dis que le président t'a menacée; souviens-toi de tes sermens et de ton fils... Le fer est prêt, tu périras. »

Vous le voyez (continue M. le procureur-général), c'est encore du sang qu'il faut aux assassins de M. Fualdès. Rassurez-vous, madame, les lois vous protégent; les noms des assassins qui vous menacent sont connus; ils répondent de votre vie sur leurs têtes. Dites ce que vous savez au nom de ce Dieu que vous voyez devant vous, au nom de la plus tendre des mères. La justice vous écoute; vous avez acquis une triste et déplorable célébrité; sachez l'honorer; daignez achever votre déposition.

Madame Manson. Il y avait beaucoup de monde dans la maison Bancal, je ne reconnus personne.

M. le président. Traversâtes-vous la cuisine? Madame Manson. Oui, je n'aperçus rien sur la table, la lampe éclairait faiblement. Quand je sortis, il y avait peu de monde; on parlait bas, et je n'entendis rien. J'étais habillée en homme; je portais un pantalon bleu ; je l'ai brûlé parce qu'il était teint du sang que j'avais perdu; je n'ai prété aucun serment. M. le président. Comment savez-vous qu'il y avait dans le baquet?

du

sang

Madame Manson. Parce que j'avais entendu des gémissemens qui me firent penser qu'on égorgeait quelqu'un.

M. le président. Celui qui vous conduisit était-il jeune? comment était-il habillé?

Madame Manson. Je n'en sais rien je ne fus pas curieuse, je ne le regardai pas.

M. le président. La loi et les magistrats veillent sur vous, Clarisse, parlez.

Madame Manson. Je ne sais plus rien.

M. le président demande à la femme Bancal ce qui le 19 mars au soir.

se passa

La femme Bancal. Le soir, à sept heures et demie, le meunier apporta la farine; j'allai au four, et de là à l'auberge où était ma fille; je revins chez moi, fis faire la prière à mes enfans, et les mis au lit. Je dis à Anne Benoît de ne pas fermer la porte, parce que ma fille devait venir coucher à la maison. Je me mis au lit. Quelque temps après, craignant qu'on ne me

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