Images de page
PDF
ePub
[blocks in formation]

LA COUR; Sur le moyen unique, pris de la violation, par défaut d'application, de l'art. 34 de la loi du 9 déc. 1905:

Vu les art. 31 et 45 de la loi du 29 juill. 1881; Attendu que l'art. 34 de la loi du 9 déc. 1905, concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, réprime exclusivement l'outrage et la diffamation envers

un citoyen chargé d'un service public »; que cette dénomination, empruntée à la loi du 29 juill. 1881, a, dans la loi du 9 déc. 1905, le mème sens et la même portée; qu'elle ne vise, en conséquence, que les agents investis, dans une mesure quelconque, d'une portion de l'autorité publique et ne saurait, dès lors, s'appliquer aux membres du Sénat et de la Chambre des députés; que cette interprétation est justifiée par les déclarations échangées à la Chambre des députés, lors de la discussion de l'art. 34, précité; qu'il suit de là que l'outrage, lorsqu'il constitue une injure, et la diffamation envers les membres de l'une ou de l'autre Chambre, commis par un ministre d'un culte dans les lieux où s'exerce ce culte, continuent à être régis par les dispositions de la loi du 29 juill. 1881, auxquelles la loi du 9 déc. 1905 n'a apporté sur ce point aucune dérogation; Attendu qu'il est constaté dans l'arrêt attaqué que Troccaz, ministre du culte catholique, a prononcé en chaire les paroles ci-après : Les biens de l'Eglise ont été volés, et ces vols ont eu lieu au nom de la loi; ceux qui ont voté cette loi sont des voleurs, ainsi que ceux qui, en connaissance de cause, les ont portés au pouvoir »; Attendu que ces paroles constituent, non une injure collective envers le Sénat et la Chambre des députés, c'est-à-dire envers des corps constitués, ainsi que l'arrêt le déclaré à tort, mais une diffamation individuelle adressée à certains membres du Parlement; que, malgré cette erreur de qualification, l'arrêt décide à bon droit que l'art. 34 de la loi du 9 déc. 1905, visé dans la poursuite, est sans application; mais qu'en prononçant le relaxe du prévenu, et, par suite, en statuant sur la poursuite, alors que les faits constituaient le délit prévu par l'art. 31 de la loi du 29 juill. 1881, de la compétence de la Cour d'assises, aux termes de l'art. 45 de la même loi, la Cour d'appel a commis un excès de pouvoirs, et violé les textes ci-dessus visés:

[ocr errors]

(1-2) Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 9 déc. 1905, sur la séparation des Eglises

Casse...; renvoie devant la Cour de Grenoble, etc.

Du 25 juill. 1908. Ch. crim. MM. Bard, prés.; La Borde, rapp.; Blondel, av. gén.; Bonnet, av.

2e Espèce.(Abbé Lantoine). ARRET (ap. délib, en ch. du cons.). LA COUR; Vu la connexité, joint les pourvois formés par Lantoine et par le procureur général de Douai contre l'arrêt du 9 déc. 1908, par lequel la Cour de Douai a condamné Lantoine à 25 fr. d'amende pour outrages en chaire envers des citoyens chargés d'un service public, et s'est déclarée incompétente pour connaître de certains outrages, également proférés en chaire par ledit Lantoine; et statuant par un seul arrêt; Sur le moyen pris de la violation de l'art. 34 de la loi du 9 déc. 1905, des art. 33, 41 et 45 de la loi du 29 juill. 1881, et d'un défaut de motifs : Attendu que l'art. 34 de la loi du 9 déc. 1905, concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, a pour objet de réprimer l'outrage et la diffamation envers un citoyen chargé d'un service public; que cette dénomination vise toutes les personnes investies dans une mesure quelconque de l'autorité publique; qu'elle comprend dans la généralité de ses termes les ministres, qui sont, au plus haut degré de la hiérarchie administrative, les représentants et les dépositaires de la puissance publique; Attendu que l'arrêt attaqué énonce qu'il est établi en fait que Lantoine, curé de Moeuvres, a, le dimanche 31 mai 1908, prononcé en chaire, dans l'église de cette commune, pendant la messe basse et pendant la grand messe, les paroles suivantes : « Ce sont des voleurs. Le gouvernement et ceux qui sont haut placés sont des voleurs. Tous ceux qui sont à sa tète sont des laches et des voleurs... ; qu'il déclare que ces paroles ont constitué des injures adressées à un certain nombre de citoyens investis de la puissance publique, qui sont les ministres, visés dans leur personnalité, et les hauts fonctionnaires placés à la tête des services de l'Etat; qu'il a, en conséquence, fait application au prévenu des dispositions de l'art. 34 de la loi du 9 déc. 1905;

Attendu qu'en statuant ainsi la Cour d'appel de Douai a exactement apprécié le caractère et la portée des paroles incriminées, et légalement justifié la condamnation prononcée; Rejette le pourvoi de Lantoine contre l'arrêt de la Cour d'appel de Douai, du 9 déc. 1908, en tant que cet arret l'a condamné à 25 fr. d'amende, par application de l'art. 34 de la loi du 9 déc. 1905;

En ce qui concerne le pourvoi formé contre le même arrêt par le procureur général près la Cour d'appel de Douai;

Sur le moyen pris de la violation des art. 34 de la loi du 9 déc. 1905 et 30 de la loi du 29 juill. 1881: Vu lesdits articles; Attendu que, des énonciations de l'arrêt attaqué, il résulte que Lantoine

[ocr errors][merged small]

a, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu que celles indiquées plus haut, proféré les paroles suivantes : Le gouvernement est un gouvernement de voleurs. Le gouvernement a volé les biens de l'Eglise. Le gouvernement est un voleur; que l'arrêt déclare que, par ces paroles, Lantoine a voulu atteindre le conseil des ministres, qui représente le gouvernement, et qui doit être considéré comme un corps constitué, au sens de l'art. 30 de la foi du 29 juill. 1881; qu'il a, en conséquence, décidé que, s'agissant d'injures commises envers un corps constitué, la Cour d'assises était seule compétente pour en connaître; - Mais attendu que l'arrêt attaqué n'a pu, sans faire une distinction purement arbitraire, attribuer à ces paroles une portée autre que celle qu'il avait à bon droit reconnue aux autres paroles proférées par Lantoine; que, du rapprochement de ces paroles, il appert qu'elles ont toutes le même sens, et comportent, par suite, la même qualification; que les paroles ci-dessus relatées atteignent donc, elles aussi, les membres du gouvernement, c'est-à-dire les ministres, et constituent à leur égard, à raison de leur caractère de dépositaires de la puissance publique, des outrages rentrant dans les prévisions de l'art. 34 de la loi du 9 déc. 1905; qu'il suit de là qu'en déclarant la juridiction correctionnelle incompétente. pour statuer de ce chef, la Cour d'appel de Douai a méconnu les règles de la compétence, et violé, en ne l'appliquant pas, l'art. 34 de la loi du 9 déc. 1905; Casse

l'arrêt de la Cour d'appel de Douai, du 9 déc. 1908, mais au chef seulement de la déclaration d'incompétence relativement à certaines des paroles proférées par Lantoine...; renvoie devant la Cour d'appel de Nancy, etc.

Du 11 févr. 1910. Ch. crim. MM. Bard, prés.; Boulloche, rapp.; Blondel, av. gén.; Bonnet, av.

CASS.-CRIM. 16 juillet 1908. CULTES, MINISTRE DU CULTE, OUTRAGE, BUREAU DE BIENFAISANCE, ADMINISTRATEUR, CITOYEN CHARGÉ D'UN SERVICE PUBLIC, LOI DU 9 DÉC. 1905, ART. 34 (Rép., vis Diffamation, n. 889 et s., Outrages-Offenses, n. 271 et s.; Pand. Rép., vo DiffamationInjure, n. 718 et s., 745).

L'art. 34 de la loi du 9 déc. 1905, concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, réprime exclusivement l'outrage ou la diffamation envers un citoyen chargé d'un service public (1) (L. 9 déc. 1905, art. 34).

On ne saurait comprendre sous cette dénomination les administrateurs des bureaux de bienfaisance, qui, malgré l'extension de leurs attributions par les lois des 15 juill. 1893 et 14 juill. 1905, ne sont investis d'aucune portion de l'autorité publique, encore bien qu'un intérêt public s'attache à leurs services (2) (Id.).

le même sens que dans l'art. 31 de la loi du 29 juill. 1881, gur la presse. V. la note sous les deux ar

[blocks in formation]

LA COUR; Sur le grief pris par le procureur général, dans sa déclaration de pourvoi, de la violation de l'art. 34 de la loi du 9 déc. 1905, en ce que l'arrêt attaqué a refusé de réprimer, par application dudit article, des propos outrageants à l'égard de membres du conseil d'administration d'un bureau de bienfaisance, proférés par un ministre d'un culte dans les lieux où s'exerce ce culte, et s'est borné à appliquer au prévenu les peines de l'injure publique envers les particuliers, dans les prévisions des art. 29 et 33 de la loi du 29 juill. 1881:

Attendu que l'art. 34 de la loi du 9 déc. 1905, concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, réprime exclusivement l'outrage ou la diffamation envers un citoyen chargé d'un service public; qu'on ne saurait comprendre sous cette dénomination les administrateurs des bureaux de bienfaisance, qui, malgré l'extension de leurs attributions par les lois des 15 juill. 1893 et 14 juill. 1905, ne sont investis d'aucune portion de l'autorité publique, encore bien qu'un intérêt public s'attache à leurs services; D'où il suit que, en refusant de retenir les faits de la cause sous la qualification précitée, l'arrêt entrepris n'a commis aucune violation de la loi; Rejette le pourvoi du procureur général de Chambéry contre l'arrêt de cette Cour du 21 mai 1908, etc.

Du 16 juill. 1908. Ch. crim. MM. Bard, prés.; Laurent-Atthalin, rapp.; Lénard, av. gén.

rêts qui précèdent. Or, il a été jugé que cette qualification n'appartient pas aux membres de la commission administrative d'un hospice. V. Cass. 27 févr. 1885 (S. 1885.1.285. P. 1885.1.684; Pand. chr.); 20 juill. 1893 (S. et P. 1895.1.302; Pand. per., 1894.7.65); 21 mai 1898 (motifs) (S. et P. 1898.1.432; Pand. pér., 1899.1.18); Nancy, 2 juill. 1907 (S. et P. 1907.2.316), et la note. Pareille solution devait donc être donnée pour les membres d'un bureau de bienfaisance, dont la situation assez analogue ne comporte également aucune attribution d'une parcelle d'autorité publique. V. en ce sens, les autorités citées en note sous Trib. corr. des Sables-d'Olonne, 31 déc. 1903 (S. et P. 1904.2.180). Mais V. en sens contraire, Trib. corr. des Sables-d'Olonne, 31 déc. 1903, précité; Agen, 14 mars 1907 (S. et P. 1907.2.96).

(1) La question de savoir si les dispositions de la loi du 13 juill. 1906 ne devaient pas être tenues en suspens jusqu'à la promulgation des règlements d'administration publique destinés à les compléter, s'est déjà posée. C'est ainsi qu'il a été décidé que l'application de la règle que le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche n'était pas subordonnée à la publication du règlement d'administration publique prévu par l'avant-dernier paragraphe de l'art. 3 de la loi, et qui devait fixer certaines catégories d'industries bénéficiant du droit de donner le repos par roulement. V. Cons. d'Etat, 30 nov. 1906, Jacquin (S. et P. 1907.3.19), et les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Romieu; Cass. 18 janv. 1907 (S. et P. 1907. 1.109, et la note; Pand. pér., 1907.1.41). Comp., dans une espèce où il s'agissait du règlement d'administration publique prévu par l'art. 18 de

CASS.-CRIM. 2 juillet 1910. MANUFACTURES ET MAGASINS, LOI DU 13 JUILL. 1906, REPOS HEBDOMADAIRE, USINES A FEU CONTINU, SPÉCIALISTES », APPLICATION DE LA LOI, REGLEMENT D'ADMINISTRATION PUBLIQUE (Rép., v° Louage d'ouvrage, de services et d'industrie, n. 578 et s., 803 et s.; Pand. Rép., v° Travail, n. 706 et s., 715 et s.).

Les règles édictées par les art. 1 et 2 de la loi du 13 juill. 1906, en ce qui concerne l'obligation du repos hebdomadaire donné le dimanche, étaient applicables, même au regard des spécialistes occupés dans les usines à feu continu, bien que le règlement d'administration publique prévu par le đernier paragraphe de l'art. 3, et qui devait déterminer les règles particulières au repos de ces spécialistes, ne fût pas intervenu (1) (L. 13 juill. 1906, art. 1, 2, 3).

[blocks in formation]

LA COUR; Sur le moyen unique du pourvoi, pris de la violation des art. 1, 2, 3, dernier alinéa, 13 de la loi du 13 juill. 1906, 408, 413, C. instr. crim., et 7 de la loi du 20 avril 1810, en ce que le jugement attaqué a prononcé une condamnation contre le directeur d'une usine, à raison de ce qu'il avait laissé travailler plus de six jours consécutifs un certain nombre d'ouvriers, sans dénier que cette usine fût à feu continu, et que lesdits ouvriers rentrassent dans la catégorie des spécialistes, d'où il suivait que l'établissement avait été soumis à un régime exceptionnel par le législateur, qui avait prévu la nécessité de dérogations devant résulter d'un règle

la loi, Trib. de simple police de Paris, 9 févr. 1907 (S. et P. 1907.2.180), et la note.

Dans l'espèce ci-dessus recueillie, la question se posait de savoir si l'obligation du repos hebdomadaire donné le dimanche devait s'appliquer aux spécialistes des usines à feu continu, avant que fût intervenu le règlement d'administration publique prévu par le dernier paragraphe de l'art. 3, et qui devait déterminer les dérogations particulières au repos de ces spécialistes, détermination qui a été faite, postérieurement aux faits de l'espèce, par un décret du 31 août 1910 (S. et P. Lois annotées de 1910, p. 1129; Pand. pér., Lois annotées de 1910, p. 1129). La solution à intervenir ne se trouvait pas nécessairement préjugée par l'arrêt de la Cour de cassation du 18 janv. 1907, précité. On pouvait, en effet, soutenir, sans contradiction, que, dans l'hypothèse visée par l'arrêt de Cass. 18 janv. 1907, précité, les dispositions de la loi du 13 juill, 1906 se suffisaient à elles-mêmes, sans qu'il fût besoin qu'elles fussent complétées par un règlement d'administration publique (V. la note sous Cass. 18 janv. 1907, précité), et qu'il en était différemment dans l'hypothèse qui fait l'objet de l'arrêt ci-dessus, parce que les usines à feu continu auraient été singulièrement gênées dans leur fonctionnement, s'il eût fallu appliquer à leur personnel l'obligation du repos hebdomadaire, sans les atténuations que devait y apporter le règlement prévu par l'art. 3, in fine. V. en ce sens, Mesnard, Le repos hebdomadaire, étude sur la loi du 13 juill. 1906, n. 47. On pouvait d'ailleurs, en faveur de cette opinion, invoquer une circulaire ministérielle du 3 sept. 1906, qui avait prescrit aux inspecteurs du travail d'ad

ment d'administration publique, sous le seul prétexte que la loi du 13 juill. 1906 n'avait pas indiqué in terminis que son application dût étre reculée jusqu'à la promulgation dudit règlement, alors que cette solution découlait virtuellement du fait que des dispositions spéciales avaient été d'ores et déjà édictées en principe, afin de permettre à ces usines de subsister: Attendu qu'aux termes de l'art. 1er de la loi du 13 juill. 1906, il est interdit d'occuper, plus de six jours par semaine, un même enployé ou ouvrier dans les établissements énumérés en cette disposition, et que, d'après l'art. 2, le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche; qu'il est vainement soutenu que l'application de ces règles est suspendue, au regard des spécialistes occupés dans les usines à feu continu, jusqu'à la publication du règlement d'administration publique prévu par le dernier paragraphe de l'art. 3 de ladite loi; qu'il ne résulte d'aucune des dispositions de cette loi que le législateur ait entendu ajourner, pour certaines catégories d'employés ou ouvriers autres que ceux des catégories de transport par eau et des chemins de fer, l'application des règles primordiales posées dans les art. 1 et 2, Jusqu'à ce que les dérogations, pouvant y être apportées et prévues par la loi, aient été déterminées par le règlement dont il s'agit; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé;

[ocr errors]

Rejette le pourvoi formé contre le jugement du tribunal correctionnel d'Aix, en date du 4 nov. 1909, etc.

Du 2 juill. 1910. Ch. crim. MM. Bard, prés.; Bourdon, rapp.; Lénard, av. gén.; Pérouse, av.

a

mettre, en attendant la promulgation du règlement d'administration publique, en ce qui concerne les usines à feu continu, les diverses organisations qui seraient proposées », et qui avait bien paru ainsi reconnaître l'impossibilité d'appliquer immédiatement et sans atténuation la loi du 13 juill. 1906 à ces usines.

Ces considérations n'ont pas paru déterminantes à la Cour de cassation. Par l'arrêt ci-dessus, comme par un autre arrêt du même jour (Bull. crim., n. 358), elle a refusé d'admettre que l'obligation du repos hebdomadaire ait pu être suspendue, dans les usines à feu continu, jusqu'à la promulgation du règlement d'administration publique prévu par le dernier paragraphe de l'art. 3. La gêne qui pouvait résulter pour certains établissements, jusqu'à la promulgation du règlement d'administration publique, de l'application de la loi du 13 juill. 1906, ne pouvait, d'après la Cour de cassation, prévaloir contre les termes généraux et absolus dans lesquels cette loi impose le respect du repos hebdomadaire, sous les seules restrictions qui sont déterminées par la loi elle-même, ou qui devaient être fixées par des règlements à intervenir, sans que, d'aucune des dispositions de la loi », il apparaisse que le législateur ait entendu ajourner, pour certaines catégories d'ouvriers ou employés, l'application des règles primordiales posées dans les art. 1 et 2 » jusqu'à ce que les règlements d'administration publique aient été promulgués.

[ocr errors]

Au surplus, ce règlement étant maintenant promulgué (V. Décr., 31 août 1910, précité, la question résolue par l'arrêt ci-dessus ne peut plus se présenter dans l'avenir.

CASS.-Civ. 23 juin 1908.

1° DEMANDE NOUVELLE, MOYEN NOUVEAU, Commune, Dettes, NationalISATION, LOI ÉTRANGÈRE, LOI SARDE (Rép., v Demande nouvelle, n. 239 et s.; Pand. Rép., vo Appel civil, n. 5197 et s.). 20 ET 4 COMMUNE, DETTES, NATIONALISATION, LOI DU 24 AOUT 1793, AUTORITÉ JUDICIAIRE, COMPÉTENCE, LOI SARDE, RENTE, EXTINCTION, RÉTABLIS INTERPRÉTATION SEMENT, TRANSACTION,

(Rép., vo Commune, n. 1135 et s.; Pand.
Rép., eod. verb., n. 3969 et s.). 3o CAS-
SATION, MOYEN NOUVEAU, LOI ÉTRANGÈRE,
INCONSTITUTIONNALITÉ, ORDRE PUBLIC

(Rép., v Cassation [mat. civ.], n. 1991 et
s., 2145 et s., 2944 et s., 3978; Pand. Rép.,
vo Cassation civile, n. 725 et s., 1144).

1° Lorsque, sur une demande en délivrance d'un titre nouvel d'une rente créée sous l'empire de la législation sarde, antérieurement à la Révolution, et dont le service est réclamé par le chapitre d'une église cathédrale à une commune, la commune a opposé la libération de sa dette, résultant de la loi du 24 août 1793, sur la nationalisation des dettes des communes, ne constituent pas une demande nouvelle, non recevable en appel, les conclusions par lesquelles le chapitre invoque, pour la première fois en appel, les dispositions des lois sardes qui, après la rétrocession du comté de Nice à la France, en 1814, auraient rétabli la rente litigieuse, éteinte par l'effet de la loi de 1793 (1) (C. proc., 464).

(1 à 5) Rappelons les faits. Par acte notarié du 18 oct. 1676, le chanoine Torrini faisait à la commune d'Aspremont un prêt de 500 doubles d'or, en échange duquel une rente annuelle de 20 doubles lui était constituée. Par testament du 12 juin 1707, le chanoine Torrini léguait cette rente au chapitre de la cathédrale de Nice. Le service en fut fait jusqu'à l'annexion du comté de Nice à la France (31 janv. 1793, S. 1er vol. des Lois annotées, p. 217). Cette annexion y rendit exécutoire le décret de l'Assemblée constituante des 2-4 nov. 1789 (S. 1er vol. des Lois annotées, p. 6), qui attribuait à l'Etat tous les biens ecclésiastiques, à la charge de pourvoir aux besoins du culte, à l'entretien de ses ministres et aux besoins des pauvres. La loi du 24 août 1793 (S. 1er vol. des Lois annotées, p. 250) disposa ensuite (art. 82) que les dettes des communes deviendraient dettes nationales, et que les communes, ainsi libérées de leurs dettes, délaisseraient leur actif au profit de l'Etat. Les créanciers des communes étaient tenus de remettre leurs titres de créance au directeur général de la liquidation avant le 1er juill. 1794, sous peine d'être déchus de leurs droits (art. 76 et 85 de la loi). Le chapitre de Nice, juridiquement inexistant depuis la constitution civile du clergé, ne put pas remplir les formalités prescrites pour exercer utilement sa créance contre l'Etat; et, d'autre part, l'actif de la commune d'Aspremont ne fut jamais transféré à l'Etat, ni en totalité ni en partie. Enfin, le 28 juill. 1807, intervint un arrêté préfectoral, qui, en exécution de l'arrêté du 7 therm. an 11 (S. 1er vol. des Lois annotées, p. 646) et du décret du 15 vent. an 13 (V. ce décret, qui ne figure pas au Bulletin des lois, dans le Traité de l'admin. temporelle des paroisses, par Mer Affre, 11° éd., p. 103, ad notam), attribuait à la fabrique de la cathédrale de Nice les rentes qui, précédemment, appartenaient au chapitre de ladite cathédrale ; ANNÉE 1911. 5° cah.

2o L'autorité judiciaire est compétente pour statuer sur une demande en délivrance d'un titre nouvel d'une rente créée, dans le comté de Nice, antérieurement à la Rẻvolution, à la charge d'une commune, laquelle s'en prétend libérée par la loi du 24 août 1793, alors qu'il n'a pas été contesté que la dette de la commune eût été mise à la charge de la nation par l'effet de la loi précitée du 24 août 1793, et que le litige a porté simplement sur le point de savoir si, après la rétrocession du comté de Nice au royaume de Sardaigne en 1814, les lois sardes n'en avaient pas constitué la commune de nouveau débitrice (2) (LL. 1624 août 1790, tit. 2, art. 13; 16 fruct. an 3). 3o Le moyen, tiré de ce qu'un acte émané d'un gouvernement étranger (dans l'espèce, un billet royal » du roi de Sardaigne) pas été pris dans les formes requises, est un moyen d'ordre public, qui peut être proposé pour la première fois devant la Cour de cassation (3).

n'a

4° L'arrêt, qui constate que le chapitre d'une église cathédrale en pays sarde (en l'espèce, une église du comté de Nice, réuni une première fois à la France de 1793 à 1814, et une seconde fois en 1860) a été privé de la rente que lui devait une commune, rente réunie au domaine de Etat en application de la loi des 2-4 nov. 1789, et que la commune a été ensuite libérée de cette rente par l'art. 82 de la loi du 24 août 1793, suns avoir, contrairement aux prescriptions de l'art. 91 de la

on ne sait, a dit M. 19 procureur général Baudouin dans ses conclusions (Gaz. Pal., 1908.2.89) sur la présente affaire, si cet arrêté fut jamais exécuté, et c'est au moins douteux.

Le traité de Paris (30 mai 1814) restitua le comté de Nice à la Sardaigne. Le roi de Sardaigne s'empressa de rendre un édit (21 mai 1814) portant que, sans avoir égard à aucune autre loi, on observerait désormais les constitutions royales de 1770. En outre, un billet royal du 27 juin 1815 prescrivit la revision de toutes les concessions faites à titre non onéreux, soit à des particuliers, soit à des établissements publics, de biens ayant appartenu au domaine royal ou à celui des princes du sang, au clergé, aux ordres, aux corporations religieuses et aux fondations pieuses. Enfin, le concordat sarde avec le pape, du 14 mai 1828, rappelle expressément que le roi « a voulu restituer à toutes les églises de ses États tout ce qui subsistait encore de leurs biens, pour ne profiter en rien des biens ecclésiastiques attribués au domaine ».

A la suite du billet royal de 1815, des arrêtés émanant de l'intendant général de Nice (Arr., 16 avril 1816, renouvelé en 1820) obligèrent la commune d'Aspremont à reprendre le service de la rente Torrini. Le conseil municipal de ladite commune asquiesça à cet ordre par délibération régulière du 17 mars 1816 (cette délibération n'a pas été versée au procès, mais sa substance est reproduite dans un acte postérieur).

En 1822, la fabrique de la cathédrale ayant retrouvé dans ses archives l'arrêté préfectoral du 28 juill. 1807, qui lui avait attribué la rente Torrini, assigna la commune d'Aspremont en paiement des arrérages échus depuis 1814. Le chapitre intervint dans l'instance, et conclut à ce que le bénéfice de la rente lui fût attribué à lui-même et non à la fabrique. Sur cette intervention, la com

dite loi, délaissé à l'Etat aucune portion de son actif comme contre-partie de la libération de sa dette, décide à bon droit que la dette de la commune, éteinte, à titre non onéreux, en 1793, s'est trouvée rétablie en 1815 par l'effet de la législation sarde, restituant au clergé les biens qui, sous le régime français, avaient fait l'objet de concessions non à titre onéreux (4) (L. 24 août 1793, art. 82 et 91).

Lorsque, dans une instance entre le chapitre et la fabrique d'une église, d'une part, et une commune, d'autre part, la seule question à résoudre était de savoir qui, de la fabrique ou du chapitre, avait qualité pour percevoir les arrérages d'une rente, dont la commune se reconnaissait débitrice par cela même qu'elle se bornait à surseoir à tout paiement jusqu'à ce que cette question fut tranchée, et lorsque, le droit de toucher les arrerages échus ayant été reconnu à la fabrique, les arrérages à échoir devant être versés au chapitre, la commune a, par une transaction, régulièrement approuvée, passée avec la fabrique, fixé le montant des arrérages dont celle-ci était attributaire, et a régulièrement payé au chapitre les arrérages qui sont venus par la suite à échéance, les juges ont pu, en cet état des faits et par appréciation des circonstances, décider que la transaction intervenue entre la fabrique et la commune, relativement aux arrérages échus, impliquait, de la part de celle-ci, une reconnaissance de l'existence meme de sa dette (5) (C. civ., 1134, 2044 et s.).

mune se déclara prête à payer à qui de droit. Le litige traîna jusqu'en 1834. A cette époque, il fut convenu que les arrérages échus jusqu'en 1833 seraient versés à la fabrique, et que les arrérages postérieurs reviendraient au chapitre. Cette transaction fut notifiée à la commune le 6 nov. 1836. La commune n'éleva aucune contestation à l'égard du chapitre, mais elle opposa à la fabrique la prescription de cinq ans, quant aux arrérages qui lui avaient été concédés. Ce nouveau différend fut tranché par une transaction entre la commune et la fabrique, le 12 août 1845. Cette transaction portait que la commune paierait une somme de 3.200 livres. Le service de la rente reprit alors, et se poursuivit sans incident jusqu'en 1864.

Entre temps, le comté de Nice avait été de nouveau réuni à la France (Sénatus-consulte du 12 juin 1860). Dès 1864, des pourparlers furent engagés entre la commune et le chapitre pour le remboursement du capital de la rente Torrini, et, le 2 août 1866, une délibération du conseil municipal décida le remboursement. Mais cette délibération ne fut pas suivie d'effet. Le chapitre fit alors des démarches pour obtenir le renouvellement de son titre, conformément à l'art. 2263, C. civ., et, en effet, par acte notarié du 21 janv. 1868, un titre nouvel fut délivré au chapitre. La rente fut ensuite payée sans interruption jusqu'en 1897. A cette époque, la commune en refusa le service. Le chapitre l'assigna en délivrance de titre nouvel et en paiement de l'annuité courue et des annuités à courir pendant l'instance. La commune opposa à cette demande l'effet libératoire de la loi du 24 aout 1793. Elle disait que son ignorance de cette loi constituait une erreur de droit qui viciait son consentement. Par jugement du 9 mai 1898, le tribunal de Nice admit les conclusions de la commune. Sur l'appel du chapitre, la Cour d'Aix rendit, le 16 mai 1899, un arrêt qui réforma ce jugement. 31

Ire PART.

(Comm. d'Aspremont C. Chapitre des chanoines de Nice).

La Cour d'appel de Chambéry, statuant comme Cour de renvoi après l'arrêt de

L'arrêt, reproduit avec Cass. 25 févr. 1902 (S. et P. 1907.1.482; Pand. pér., 1902.1.275), se base sur ce que la délibération du 17 mars 1816 et l'acte notarié du 21 janv. 1868 ont opéré la novation de l'obligation naturelle existant à la charge de la commune, en y substituant une obligation civile. Mais la chambre civile de la Cour de cassation a cassé cet arrêt. V. Cass. 25 févr. 1902, précité. Elle a déclaré que l'obligation civile de la commune, légalement éteinte en 1793, ne pouvait être rétablie qu'au moyen d'un nouvel engagement contracté en remplacement de l'ancien, et que, cet engagement ne pouvant être pris que dans la forme et sous les conditions prescrites pour disposer des terrains communaux, l'arrêt n'était pas suffisamment motivé, par cela même qu'il n'établissait point que la délibération de 1816, dont le texte d'ailleurs est inconnu, et l'acte de 1868, eussent été revêtus des autorisations nécessaires, soit d'après la loi sarde en 1816, soit d'après la loi française du 18 juill. 1887.

[ocr errors]

L'affaire fut renvoyée devant la Cour de Chambéry. Les représentants du chapitre se sont alors placés sur un nouveau terrain. Ils ont reconnu que l'acte de 1868 était purement récognitif et ne pouvait faire revivre une obligation éteinte. Mais ils ont prétendu que la commune, libérée en 1793, était redevenue débitrice en vertu des lois sardes, sous l'empire desquelles les parties avaient été placées de 1814 à 1860. La commune, de son côté, a conclu à l'irrecevabilité de la demande, en tant que demande nouvelle présentée pour la première fois en appel; elle a conclu à l'incompétence de la Cour, basée sur ce que l'autorité administrative est seule compétente pour apprécier si une dette communale antérieure à 1793 a été nationalisée; enfin, et pour le cas où ces conclusions seraient écartées, à la confirmation pure et simple du jugement du tribunal de Nice. Mais, par arrêt dn 1er juill. 1903 (rapporté ci-dessus), la Cour de Chambéry a donné gain de cause au chapitre de la cathédrale, en s'appuyant sur la décision, ayant force de loi, du roi de Sardaigne, contenue dans un billet royal du 27 juin 1815, qui réintégrait le chapitre dans ses anciens droits. Le pourvoi formé contre cet arrêt est rejeté par l'arrêt ci-dessus de la chambre civile.

De ce qui précède, il résulte que la solution du procès a été successivement cherchée dans l'application des lois françaises et dans l'application de la loi sarde. Nous allons l'examiner à ce double point de vue.

I. En ce qui concerne l'application des lois françaises, la question principale qui se posait était de savoir quelle portée il convient d'attribuer à la loi du 24 août 1793, en vertu de laquelle les dettes des communes, antérieures à cette date, sont devenues dettes d'Etat. Il y avait à se demander également si la commune, ayant été libérée sans avoir, en fait, transféré son patrimoine à l'Etat, ne devait pas être tenue d'une obligation naturelle, qui aurait été novée en obligation civile par certaines délibérations du conseil municipal.

a) Sur la portée de la loi du 24 août 1793, deux systèmes opposés se sont partagé longtemps les opinions.

Dans un premier système, on proposait de dire que les communes restaient débitrices des dettes anciennes sur les biens qui, en fait, n'avaient pas

cassation de la chambre civile du 25 févr. 1902 (S. et P. 1907.1.482; Pand. pér., 1902. 1.275), a rendu, le 1er juill. 1903, l'arrêt suivant : << La Cour; Attendu que, devant les premiers juges, les appelants

été remis à l'Etat et vendus par lui. En effet, faisait-on observer, les deux paragraphes de la loi du 24 août 1793, intitulés Des dettes et De l'actif des communes, sont indivisibles. L'Etat ne s'est porté héritier des dettes des communes que sous la condition inséparable de l'abandon de leurs biens. Les communes qui n'ont pas réalisé cet abandon ne peuvent jouir de l'affranchissement, puisqu'elles en ont rejeté les charges. V. en ce sens, Arr. des consuls, 23 therm. an 10 (Bull. off., 208, n. 1904); Arr. des consuls, 8 vend, an 11 (Bull. off., 220, n. 2006), et les décrets et ordonnance cités dans le rapport de M. de Cormenin au Conseil d'Etat (Sirey, anc. coll., 1822, 2o part., p. 79 et 80).

Dans un second système, on estimait que la loi de 1793 a, sans distinction ni réserves, nationalisé toutes les dettes antérieures des communes, et que les créanciers des communes, devenus créanciers directs de l'Etat, ne peuvent exercer de recours contre leurs ex-débiteurs, même s'ils sont forclos vis-à-vis de l'Etat, pour ne pas avoir agi dans les délais fixés par l'art. 76 de la loi de 1793, même si les communes sont restées en possession de leur patrimoine. V. en ce sens, Cons, d'Etat, 7 févr. 1809, Vve Lebaigue (S. et P. chr.); 20 sept. 1809, Bottu de la Barmondière (S. et P. chr.); 30 sept. 1811, Lefebvre (S. et P. chr.); 28 mars 1821, Ville de Rochefort (S. et P. chr.); et les décrets et décisions du ministre des finances, cités dans le rapport précité de M. de Cormenin (Sirey, loc. cit., p. 80).

[ocr errors]

P.

C'est ce second système qui a triomphé, et, nous croyons, avec raison. V. Cons. d'Etat, 22 févr. 1837, Comm. de Templeuve (S. 1837.2.899. chr.); 10 janv. 1856, de Faviers (S. 1856.2.572. -P. chr.); 21 janv. 1858, Blanchard (sol. implic.) (S. 1859.2.119. P. chr.); Cass. 4 août 1859 (S. 1860.1.33. - P. 1861.373); et notre Rép. gén. du dr. fr., v° Commune, n. 1136 et s.; Pand. Rép., eod. verb., n. 3988 et s.

[ocr errors]

La loi de 1793, dans son § XXVIII, et sous la rubrique Des dettes des communes, dispose (art. 82) que toutes les dettes des communes, contractées en vertu d'une délibération légalement autorisée, sont déclarées dettes nationales. Elle oblige ensuite les créanciers des communes à remettre tous leurs titres de créance au directeur général de la liquidation avant le 1er juill. 1794, sous peine d'être déchus de leurs capitaux et intérêts (art. 85 et 76, combinés). Puis, dans le § XXIX, et sous la rubrique De l'actif des communes, elle dispose : 1° que toutes les créances dues par la République aux communes sont éteintes et supprimées (art. 90); 2o que tout l'actif des communes, pour le compte desquelles la République se charge d'acquitter les dettes, excepté les biens communaux dont le partage est décrété et les objets destinés pour les établissements publics, appartient dès ce jour à la nation jusqu'à concurrence du montant desdites dettes (art. 91); 3° que les meubles et immeubles provenant des communes seront régis, administrés ou vendus comme les autres domaines nationaux (art. 92).

Il résulte de l'art. 91 que l'actif et le passif des communes doivent se faire contre-partie, car l'Etat ne peut appréhender le patrimoine des communes que dans la mesure des dettes qu'il acquitte pour elles; mais suit-il de là que les dettes des

demandaient à la commune d'Aspremont le renouvellement du titre (déjà renouvelé par acte du 21 janv. 1868) d'une rente dont ils se prétendaient créanciers, et les arrérages de cette rente depuis le 21 janv.

communes n'aient été nationalisées que dans la mesure de la valeur du patrimoine des communes appréhendé en fait par l'Etat? Nous ne le pensons pas.

Sans doute, il faut une contre-partie à l'obligation assumée par l'Etat de payer les dettes des communes; seulement on oublie, dans le système opposé, que cette contre-partie existe par cela même que l'art. 91 attribue le patrimoine communal à l'Etat. Cette acquisition de l'actif par l'Etat est réalisée ipso jure, du jour où la loi est devenue obligatoire, et il n'importe que, par tolérance d'abord, et plus tard par le désir de se créer de la popularité, l'Etat ait ensuite abandonné son droit de propriété sur ceux des biens dont les communes n'avaient pas été effectivement dépossédées (LL. 2 prair. an 5, S. 1er vol. des Lois annotées, p. 419; 20 mars 1813, S. 1er vol. des Lois annotées, p. 880). Cette circonstance de fait ne peut pas réagir sur la situation de droit antérieure. La loi du 24 août 1793 avait décrété une novation par changement de débiteur, et imposé en échange aux communes l'obligation de délaisser leurs biens à l'Etat. Lorsque, en fait, et dans un but politique, l'Etat a déchargé gratuitement les communes de cette obligation, il ne pouvait s'ensuivre que les dettes antérieures des communes reprissent vie, pas plus que si, dans le cas d'une novation conventionnelle, le nouveau créancier renonçait à l'exécution des obligations contractées envers lui par l'ancien débiteur comme condition de la novation, il ne s'ensuivrait que l'obligation de l'ancien débiteur envers le créancier fût restaurée. C'est donc par une confusion manifeste entre le fait et le droit qu'on a soutenu que les dettes communales renaissaient en droit, quand, en fait, leur actif n'avait pas été appréhendé par l'Etat.

Au reste, le but qu'a poursuivi l'Etat en ménageant la plupart des communes (les 19/20° paraitil), dans la période de 1793 à l'an 5, et, plus tard, en l'an 5 et en 1813, en leur restituant les biens non vendus, aurait été manqué, si les communes avaient été du même coup réobligées d'acquitter leurs dettes éteintes en 1793. Ce but, en effet, était de concilier au gouvernement, par une faveur tangible, d'un effet très général, les citoyens encore hésitants, et cette attraction aurait été nulle, si les communes avaient perdu d'un côté ce qu'elles gagnaient de l'autre.

b) Il appert de ce qui précède qu'aucune obligation civile ne peut exister à l'encontre des communes par rapport aux dettes communales supprimées par la loi du 24 août 1793. Est-ce à dire qu'il n'existe plus aucun lien quelconque entre les communes et leurs anciens débiteurs? Ne pourrait-on pas trouver, dans la circonstance que les communes ont conservé leur patrimoine, la source d'une obligation naturelle à leur charge vis-à-vis de leurs anciens créanciers? L'idée d'une obligation naturelle à la charge d'une personne morale n'a rien de choquant. Une personne morale n'est qu'un agrégat d'individus, et la conscience de cette personne est faite de la conscience des individus qui la constituent. C'est ainsi que l'avait compris le ministre de l'intérieur Lainė, qui avait adopté pour règle d'autoriser les délibérations des conseils municipaux, lorsque, confessant elles-mêmes leurs obligations, et renonçant au bé

1896; que, la commune leur ayant opposé la libération résultant pour elle du décret du 24 août 1793, ils ont prétendu que l'acte du 21 janv. 1868 contenait une cause nouvelle d'obligation; que, devant la Cour, ils

néfice de la loi du 24 août 1793, les communes consentaient librement, par l'organe de leurs conseils municipaux, à s'acquitter envers leurs créanciers ou à composer de gré à gré avec eux. Et cette opinion était aussi celle de M. de Cormenin, qui, dans son rapport précité, après avoir rappelé le mode d'opérer du ministre de l'intérieur Lainé, ajoutait : Ce mode, en effet, n'a rien de contraire au droit ou à l'équité, puisqu'il se réduit à permettre ce qui est incontestablement juste selon la conscience, sans contraindre personne à reconnaître une obligation contestable selon la loi (Sirey, loc. cit., p. 87).

[ocr errors]

Mais si, en principe, une obligation naturelle peut exister à la charge d'une personne morale, faut-il dire que la loi du 24 août 1793 a laissé subsister une obligation de ce genre pour les communes vis-à-vis de leur ancien débiteur, lorsque, en fait, elles ont conservé leur patrimoine?

Nous serions assez porté à l'admettre. Il est vrai que les créanciers de la commune, s'ils ont perdu leur débiteur en 1793, en ont retrouvé un dans la personne de l'Etat. Mais leur situation a été amoindrie, en ce sens qu'il ont dû, pour recouvrer leur créances contre l'Etat, remettre leurs titres au liquidateur général dans un court délai (24 août 1793-1er juill. 1794), et que beaucoup, soit par ignorance, soit par impossibilité matérielle, dans ces temps de trouble, n'ont pas rempli cette condition. On conçoit que, dans ce cas, une commune, qui a conservé l'intégralité ou la plus grande partie de son patrimoine, éprouve un sentiment de délicatesse à s'abriter derrière la loi de 1793, et se fasse un devoir de conscience d'acquitter l'ancienne obligation.

On pourrait croire, à la première lecture de certains arrêts, que la jurisprudence a, au contraire, refusé d'admettre l'existence d'une obligation naturelle pour les dettes communales éteintes en 1793. Cir. en ce sens, notre Rép. gen. du dr. fr., verb. cit., n. 1136; Pand. Rép., verb. cit., n. 8992; et la note sous l'arrêt précité de Cass. 25 févr. 1902, rendu dans la présente affaire.

A la vérité, la Cour de Colmar, par arrêt du 18 janv. 1859 (S. 1859.2.382. P. 1859.931), a, dans une espèce particulière, refusé de reconnaître une obligation naturelle à la charge d'une commune; mais cet arrêt prend soin de relever que

[ocr errors]

rien n'établit qu'il ait existé une obligation na. turelle de la part de la commune, qui n'a jamais traité avec D... ni avec M... (les créanciers), et qui ignore complètement la cause et le caractère du contrat primitif, dont la trace originaire est entièrement effacée ». C'est en l'état de ces constatations de fait que la Cour de cassation, saisie d'un pourvoi contre l'arrêt de la Cour de Colmar, s'est bornée à déclarer qu'il est établi par l'arrêt attaqué qu'il ne s'agit pas de l'acquittement d'une obligation naturelle. V. Cass. 4 août 1859, précité. Il ne nous paraît donc pas qu'on puisse citer l'arrêt de 1859 comme ayant posé en principe que la loi du 24 août 1793 n'a laissé subsister aucune obligation naturelle. ("est simplement un arrêt d'espèce.

L'arrêt de cassation du 25 févr. 1902, rendu dans notre affaire, implique d'ailleurs virtuellement la reconnaissance possible par les communes d'une obligation de ce genre. Que décide, en effet,

reconnaissent que ledit acte, qui est purement récognitif, ne pouvait faire revivre une obligation éteinte; mais ils soutiennent que la commune, libérée en 1793, est redevenue débitrice en vertu des lois sar

la Cour de cassation? Que la novation prétendue d'une obligation naturelle en obligation civile n'est pas établie, parce qu'on ne fournit pas la preuve que les formalités et autorisations nécessaires pour faire cette novation ont été réunies. La novation aurait donc été valable, si cette preuve avait été administrée. Mais la novation supposait l'existence préalable d'une obligation naturelle, et reconnaître la validité de la novation, c'est du même coup reconnaître l'existence d'une obligation naturelle.

En ce qui nous concerne, nous estimons que, suivant les circonstances de la cause, on peut très légitimement admettre qu'une obligation naturelle a survécu à l'obligation civile éteinte en 1793. Et, dans le procès actuel, les circonstances de la cause étaient favorables à cette interprétation. En effet, la confusion qui s'était produite, dans la personne de l'Etat, de la créance du chapitre et de la dette de la commune, ayant mis le chapitre dans l'impossibilité d'agir contre la commune, et la conservation intégrale par la commune d'Aspremont de son patrimoine étant un fait certain, l'équité commandait de décider que la commune restait tenue d'une obligation naturelle.

Ce n'est pas à dire que la Cour d'Aix avait bien jugé. Une obligation naturelle ne peut être acquittée ou novée qu'en pleine connaissance de cause. V. Laurent, Princ, de dr. civ., t. 17, n. 26; Demolombe, Tr. des contr, ou oblig., t. 4, n. 47; Baudry-Lacantinerie et Barde, Tr. des oblig., 8° éd., t. 2, n. 1674; et notre C. civ. annoté, par Fuzier-Herman et Darras, sur l'art. 1235, n. 3. V. cep. en sens contraire, Duranton, t. 10, n. 129. C'est ainsi que l'ancien créancier d'une commune ne peut s'opposer à la répétition de l'indû, lorsque les paiements effectués par la commune l'ont été par ignorance de l'effet libératoire de la loi du 24 août 1793. V. Colmar, 18 janv. 1859, et Cass. 4 août 1859, précités. Et cela va de soi, car il est impossible de considérer comme étant le résultat d'un sentiment de délicatesse et d'équité les actes accomplis par une personne parce qu'elle se croit liée par une convention obligatoire. Ce n'est que quand elle sait qu'elle est dégagée de tout lien civil qu'elle peut être, en exécutant quand même une obligation antérieure, considérée comme ayant eu la volonté de se libérer d'une obligation naturelle. Or, la commune d'Aspremont arguait de son erreur sur le sens de la loi de 1793, et la genèse du procès rendait cette affirmation très plausible.

II. Si l'application des lois françaises devait conduire à déclarer la commune d'Aspremont affranchie de sa dette vis-à-vis du chapitre de la cathédrale de Nice, l'application de la loi sarde ne devait-elle pas, au contraire, justifier la demande du chapitre? C'est seulement, nous le rappelons, lorsque l'affaire est venue devant la Cour de Chambéry, saisie par renvoi de la Cour de cassation, que la question a été placée sur ce terrain.

La commune a répondu d'abord que la Cour ne pouvait connaitre du litige ainsi transformé, parce qu'il constituait une demande nouvelle, et que la Cour était d'ailleurs incompétente pour l'examiner à raison de son caractère administratif. Cette double tin de non-recevoir a été écartée à bon droit. Nous n'insisterons pas sur ces points, qui ont été abondamment traités dans les conclusions

des, sous l'empire desquelles les parties ont été placées pendant la période de 1814 à 1860; qu'en cet état de la cause, la commune prétend 1° que les appelants sont irrecevables à invoquer ce nouveau moyen;

précitées de M. le procureur général Baudouin, auxquelles nous renvoyons. Nous estimons avec lui que le fait par le chapitre d'invoquer la loi sarde pour la première fois en appel constituait un moyen nouveau, non une demande nouvelle, puisque les conclusions du chapitre restaient les mêmes, et que la cause initiale de ce droit (l'acte de prêt de 1676) n'était pas changée. V. en ce sens, Riom, 19 mars 1904, sous Cass. 1er août 1905 (S. et P. 1907.1.25), la note et les renvois. Nous pensons également, comme lui, que, s'il appartient à la juridiction administrative de statuer sur la nationalisation des dettes communales - P. 1863. (V. Cass. 9 févr. 1863, S. 1863.1.243. 839, et les renvois), l'autorité judiciaire est com. pétente pour apprécier les faits qui, postérieurement à la nationalisation, et se produisant en dehors du domaine administratif, peuvent avoir créé un droit nouveau; or, il s'agissait précisément de rechercher si, par l'effet des lois sardes et de certains événements postérieurs, la dette n'avait pas été rétablie. V. en ce sens, Cons. d'Etat, 10 janv. 1856, précité; Cass. 9 févr. 1863, précité.

De même que la Cour de Chambéry avait juridiction pour examiner le fond du débat, de même la Cour de cassation avait autorité pour connaître d'une violation prétendue des lois sardes. Il a été, en effet, reconnu, avec raison, que les lois d'un pays annexé se soudent aux lois françaises au point de participer de leur caractère quant au pouvoir reconnu à la Cour de cassation. V. Cass. 22 janv. 1883 (S. 1884.1.25. P. 1884.1.38); 26 juill. 1899 (sol. implic.) (S. et P. 1900.1.321), et la note de M. Naquet. La Cour de Chambéry avait donc à examiner le fond du débat, et la Cour de cassation à exercer son contrôle sur la décision rendue.

Le texte de la loi sarde qu'il s'agissait d'interpréter était un billet royal du 27 juin 1815. En voici la teneur : Ayant connaissance des nombreuses concessions et assignations de biens et effets appartenant à notre domaine ou à celui des princes du sang, revenant au clergé, aux ordres, aux corporations religieuses ou à des fondations pieuses, faites par le précédent gouvernement à titre non onéreux, soit en faveur de divers par: ticuliers, soit au profit de divers établissements publics, tant du royaume que de l'étranger; voulant indemniser notre domaine et tous ceux qui ont été lésés par de telles concessions; nous vous disons qu'il est de notre volonté que, sur les instances de notre procureur général, vous procédiez sans retard à la remise à nos finances de tous les biens concédés comme ci-dessus pour être par elles provisoirement administrés; en sorte qu'après avoir pris connaissance avec soin de la provenance, de la nature et de la forme des concessions qui ont été faites, nous puissions ordonner la remise à notre économat général des bénéfices vacants ou aux légitimes propriétaires respectifs, selon les résultats de la recherche ci-dessus qui nous seront ultérieurement rapportés; nous voulons que vous donniez, sommairement et par les moyens les plus rapides adaptés à la circonstance, exécution à nos dispositions à cet égard, en supprimant toute formalité de procédure ».

C'était là, au premier chef, un acte d'ordre lé

« PrécédentContinuer »