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firmation de ce double point de fait et de droit est de nature à dicter la véritable solution du litige dont la Cour est saisie;

Attendu que la Société générale pour favoriser le développement de l'industrie en France demande à être déclarée créancière de la somme de 12.964 fr. 41, en vertu de la cession du dixième de garantie qui lui fut consentie par Masson le 22 août 1905, et qu'elle invoque trois moyens pour imposer à la ville de Nimes le respect de cette cession; Jer moyen: Attendu qu'elle s'appuie, en premier lieu, sur la notification de cession faite le 28 août 1905 à M. le receveur municipal de la ville de Nimes; Attendu que ce moyen ne saurait être accueilli; que l'art. 1690, C. civ., exige que la signification du transport soit faite au débiteur; que la commune, étant débitrice dans l'espèce, ne se trouve régulièrement représentée que par son maire, et non par le receveur municipal, simple agent de l'administration communale; Attendu qu'il est bien vrai que la loi du 9 juill. 1836 déclare que les significations de transports devront être faites entre les mains des payeurs, agents, préposés sur la caisse desquels les ordonnances de mandat seront délivrées; mais qu'il est nécessaire de préciser que ce texte ne vise que les sommes dues par le Trésor public; qu'il serait contraire aux principes les plus certains de notre droit, et quelle qu'ait été la pratique administrative, d'étendre les mêmes prescriptions aux cessions des deniers publics des départements et des com

munes;

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2o moyen: Attendu que la Société générale invoque, en second lieu, la correspondance échangée entre elle et le maire de Nîmes, à dater du 6 avril 1908, correspondance qui constituerait, de la part de ce dernier, l'acceptation même du transport litigieux; Attendu que la lettre du directeur de la succursale de Nimes, écrite à M. le maire le 6 avril 1908, lui rappelle qu'il a connu la cession litigieuse, déjà notifiée au receveur municipal; que les travaux ont été définitivement recus; que la retenue du dixième de garantie est devenue payable, et qu'elle demande au représentant de la commune de lui fixer à partir de quelle date la société pourra se présenter à la recette municipale pour être payée; Attendu que le maire de cette époque, et son successeur élu après les élections du mois de mai 1908, se sont bornés à demander des délais pour ce paiement, mais qu'ils ont toujours reconnu que le dixième de garantie revenant à Masson devrait être

(1) Il y a controverse sur le point de savoir si le seul préjudice moral, consistant dans la lésion d'un intérêt d'affection, suffit pour donner ouverture à une réparation pécuniaire au profit des parents de la victime d'un accident. L'opinion la plus répandue, à laquelle se rattache l'arrêt ci-dessus rapporté, se prononce dans le sens de l'affirmative. V. Alger, 23 mai 1892 (S. et P. 1894.2.62); Besançon, 6 juill. 1892 (S. et P. 1894. 2.61); Paris, 8 févr. 1896 (S. et P. 1899.2.215); Nancy, 21 mars 1896 (S. et P. 1896.2.235); Nimes, 11 nov. 1897 (S. et P. 1898.2.176), et les renvois; Trib. de Toulouse, 17 avril 1902 (S. et P.

payé désormais à la Société générale; Attendu que cette acceptation de la cession est suffisante en la forme, bien qu'elle n'ait pas eu lieu par acte authentique, puisqu'il ne s'agit, dans la cause, que d'apprécier les rapports existant entre le cessionnaire et le débiteur cédé; Attendu qu'elle est également valable au fond; que le maire, en effet, n'aliénait dans l'espèce aucune partie du patrimoine de la commune, et qu'il ne sortait pas du cercle de l'administration qui lui est réservé; que la dette de la commune vis-à-vis de Masson était liquide, exigible et certaine, et qu'il importait peu à cette dernière de la payer directement à Masson ou bien à la Société générale, sa cessionnaire;

3 moyen... (sans intérêt); motifs; Réforme, etc.

Par ces

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Du 28 nov. 1910. C. Nîmes, 1re ch. MM. Fermaud, Ire prés.; Langlois, av. gén.; Roux et Robert, av.

NANCY 4 juin 1910.

DOMMAGES-INTÉRÊTS, MORT, PERE, ENFANTS, PREJUDICE MORAL, INTÉRÊT D'AFFECTION (Rép., v Responsabilité civile, n. 446 et s.; Pand. Rép., eod. verb., n. 704 et s.).

Le préjudice moral que des enfants ont éprouvé par suite de la mort de leur père est de nature à justifier, en l'absence de préjudice matériel, une condamnation à des dommages-intérêts à la charge du tiers dont la faute a entraîné l'accident qui a occasionné la mort du père des demandeurs (1) (C. civ., 1382).

(Consorts Jomier C. Comp. des tramways). - ARRÊT.

-

LA COUR: En ce qui concerne les enfants Jomier: Attendu que, si la mort de leur père ne leur a pas causé un préjudice matériel qui fût réellement appréciable, ils en ont éprouvé du moins un préjudice moral dont la réparation incombe à la Comp. des tramways, auteur de ce décès, dont elle se reconnait, d'ailleurs, responsable; Attendu que cette réparation, due, non par un patron à son ouvrier, mais par un étranger à une personne qui n'était pas à son service, est régie par l'art. 1382, C. civ.; qu'elle ne tombe donc pas sous les prescriptions de la loi de 1898, notamment en ce qui touche la nature de l'indemnité à allouer; qu'il n'y a pas lieu, par suite, de substituer au paiement d'une somme unique et défini

1905.2.81), la note, in fine, de M. Lacoste, et les renvois. Adde, la note de M. Lacoste sous Rouen, 24 févr. 1894 (S. et P. 1897.2.25), avec les autorités citées; et Sourdat, Tr. de la responsabilité, 6 éd., t. 1o, n. 31. Mais V. en sens contraire, Rouen, 24 févr. 1894, précité; Douai, 23 janv. 1899 (S. et P. 1899.2.296); adde, les autorités citées dans la note, in fine, de M. Lacoste sous Trib. de Toulouse, 17 avril 1902, précité; et Baudry-Lacantinerie et Barde, Tr. des obligations, 3e éd., t. 4, n. 2871. (2-3-4) L'arrêt ci-dessus a entendu faire application de la jurisprudence affirmée par la chambre civile et par les chambres réunies de la Cour

tive le versement annuel d'une rente viagère: Attendu, d'autre part, que la Cour possède les éléments nécessaires pour fixer le chiffre de cette indemnité et qu'il convient d'allouer à chacun des deux enfants une somme de 1.000 fr.; Par ces motifs, etc.

Du 4 juin 1910. C. Nancy, Ire ch. MM. George, er prés.; Duhaut, av. gen.; Desnos et Mengin, av.

POITIERS 27 février 1911. OUVRIER, ACCIDENTS DU TRAVAIL, RESPONSABILITÉ, LOI DU 9 AVRIL 1898, OUVRIER MIS A LA DISPOSITION D'UN AUTRE CHEF D'ENTREPRISE, ACTION EN RESPONSABILITÉ, TIERS, FAUTE, RECOURS (Rép., v° Responsabilité civile, n. 1887 et s., 2707 et s. : Pand. Rép., v° Travail, n. 2375 et s., 3152 et s.).

Lorsqu'un ouvrier a été mis, par le patron qui l'a embauché et qui le paie, à la disposition d'une Administration de chemins de fer, en vue de faire, sous la surveillance des agents de cette Administration, et notamment du chef de gare, l'essai d'appareils dont le patron proposait l'acquisition à l'Administration des chemins de fer pour l'attelage des wagons, cette Administration ne saurait être considérée, au regard de l'ouvrier qu'elle a ainsi employé, comme un tiers, contre lequel l'art. 7 de la loi du 9 avril 1898 réserve à l'ouvrier, victime d'un accident du travail, l'action en responsabilité du droit commun (2) (C. civ., 1382; L. 9 avril 1898, art. 7).

Par suite, si, au cours de ce travail, l'ouvrier a été victime d'un accident mortel, ses parents, qui, faute d'avoir été à la charge de la victime, ne sont pas recevables à se prévaloir de la disposition de l'art. 3 de la loi du 9 avril 1898, ne sont pas fondés à invoquer, au regard de l'Administration de chemins de fer, la responsabilité de droit commun de l'art. 1382, C. civ. (3) (Id.).

Il importe peu que l'Administration de chemins de fer ait pris soin, dans le traité par elle passé avec le patron, de spécifier que celui-ci serait responsable des accidents qui pouvaient survenir à son personnel, celle stipulation ne pouvant modifier les relations de l'ouvrier avec l'Administration des chemins de fer, à la disposition de laquelle il avait été mis, ni, par suite, engendrer, à la charge de l'Administration, cause nouvelle de responsabilité (4)

une

(Id.).

de cassation, et d'après laquelle, au cas où un ouvrier a été mis par le patron, qui a loué ses services, à la disposition d'une autre personne, d'une part, la responsabilité établie à la charge du chef d'entreprise par la loi du 9 avril 1898 incombe au chef d'entreprise qui a loué les services de la victime, et, d'autre part, la personne à la disposition de laquelle a été mise l'ouvrier, dès lors qu'elle avait, en vertu de la convention par elle passée avec le patron, la direction du travail, ne saurait être considérée comme un tiers, soumis, aux termes de l'art. 7 de la loi de 1898, à la responsabilité du droit commun. V. Cass. 14 mars 1904 (2 arrêts)

Époux Trichet C. Chem. de fer de l'État).

Le

5 juill. 1908, jugement du tribunal civil des Sables-d'Olonne, ainsi conçu : Tribunal; - Attendu que les époux Trichet demandent à la Comp. des chemins de fer de l'Etat une somme de 20.000 fr., pour réparation du préjudice à eux causé par la faute des employés du réseau, responsables du décès de leur enfant; Attendu qu'ils allèguent que, le 22 juin 1909, à 4 h. 1,2 du soir, leur fils, AlexandreCélestin, était occupé à la gare des Sablesd'Olonne à l'attelage des wagons système Boirault, lorsqu'il fut mortellement blessé par un train imprudemment garé sur la voie où il travaillait; Attendu que le réseau a, par conclusions signifiées, déclaré qu'avant de plaider au fond, il entendait soutenir que l'art. 1382, C. civ., était inapplicable en ce qui le concerne; qu'en effet, s'agissant dans l'espèce d'un accident du travail, et la loi du 9 avril 1898 ne pouvant être invoquée par les époux Trichet, ceux-ci n'avaient pas la ressource de la procédure de droit commun, parce que le réseau des chemins de fer de l'Etat n'était pas un tiers par rapport à la personne victime de l'accident; Attendu qu'il est reconnu par toutes parties que, Trichet étant célibataire, ne vivant pas avec ses parents, et ne leur fournissant pas leurs moyens d'existence, l'art. 3 de la loi du 9 avril 1898 est inapplicable; Attendu qu'il s'agit de savoir si le père et la mère de Trichet peuvent alors, conformément au droit commun, invoquer l'art. 1382, ou si, au contraire, le réseau des chemins de fer est lui-même exonéré en vertu de la loi de 1898; Attendu que, pour soutenir sa thèse, le réseau invoque un arrêt de la Cour de cassation, rendu le 8 janv. 1908 (Supra, Ire part., p. 25), toutes chambres réunies, et qui déclare que la personne qui, par suite de la convention passée avec le patron, a eu la direction du travail au cours duquel l'accident s'est produit, ne peut être considérée comme le tiers de l'art. 7 de la loi du 9 avril 1898;

Attendu que l'espèce visée par cet arrêt était celle où un entrepreneur de roulage avait mis un ouvrier payé par lui à la disposition d'une Comp., pour faire, sous les ordres et la direction de celle-ci, la manœuvre des wagons dans une gare;

Attendu que la seule question qui reste

(S. et P. 1907.1.413); Cass.-réun. 8 janv. 1908 (2 arrêts) (Supra, 1 part., p. 25). Adde, Bordeaux, 17 oct. 1910 (Supra, 2o part., p. 14), rendu dans la même affaire.

Cette exclusion de l'action de droit commun soulève de graves objections (V. les notes sous Cass. 14 mars 1904, 2 arrêts, et sous Cass.-réun. 8 janv. 1908, 2 arrêts, précités), et l'arrêt cidessus, qui est intervenu dans une espèce voisine de celle qui a donné lieu aux arrêts de la chambre civile du 14 mars 1904 et des chambres réunies du 8 janv. 1908, précités, montre à quelles conséquences peu équitables elle conduit, puisque les représentants de la victime, ne pouvant exercer l'action de la loi de 1898, faute de réunir les conditions exigées par cette loi, se voient refuser le droit d'exercer l'action en responsabilité de droit

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à se poser est celle de savoir si on se trouve, en fait, dans des conditions telles que l'arrêt du 8 janv. 1908 puisse être applicable; Attendu que cet arrêt spécifie que l'accidenté était employé à la manœuvre des wagons dans l'intérieur de la gare, et sous la direction des agents de la Comp., lorsque est survenu l'accident; Attendu qu'en fait, dans l'espèce actuelle, le sieur Trichet, qui avait été embauché et payé par la Comp. des appareils Boirault, était sous les ordres du contremaitre de cette Comp. ; que c'est en vain qu'on allègue le principe général qui veut que les chefs de gare conservent toujours leur autorité sur tout ce qui doit se faire à l'intérieur de la gare; qu'en fait, Trichet et son camarade Burton avaient été, par ordre du représentant de la maison Boirault, détachés sur une voie, avec mission d'accomplir une certaine manutention, pour laquelle on leur laissait la latitude d'un délai de deux heures; Attendu que, pour répondre aux allégations du réseau, qui prétend que Trichet exécutait, en somme, un travail pour le compte du réseau de l'Etat, par l'intermédiaire de la Société Boirault, il y a lieu d'étudier dans quelles conditions le contrat était intervenu entre cette société et le réseau; Attendu que, si on examine les conventions, telles qu'elles ont été monumentées le 4 sept. 1908, on y voit que le réseau a accumulé les précautions, qui devaient le faire considérer comme un tiers au regard des ouvriers employés par son cotraitant; qu'il y est dit notamment: La société sera, du reste, entièrement responsable des accidents qui pourraient survenir à son personnel, comme des accidents ou malfacons dont il pourrait être la cause »; Attendu que, si de pareils engagements ne sauraient être pris à l'encontre de la loi de 1898, ils font néanmoins la preuve des précautions accumulées par le réseau de l'Etat pour n'être, au regard des accidentés possibles, qu'un tiers dégagé des obligations de la loi de 1898; Attendu que, d'autre part, le réseau spécifiait que la mise en place des autocoupleurs, leur enlèvement, leur entretien, et tous les travaux, d'une façon générale, nécessités par leur mise ou leur maintien en service, devaient être effectués par la Société des appareils Boirault, moyennant le paiement d'une somme forfaitaire de 2.600 fr.; Attendu qu'ainsi,

a

commun contre l'Administration des chemins de fer, à la disposition de laquelle l'ouvrier victime de l'accident avait été mis par son patron. Peut-être pourra-t-on penser que les faits de l'espèce permettaient aux juges de ne pas appliquer les solutions des arrêts de Cass. 14 mars 1904, et Cass.réun., 8 janv. 1908, précités, ainsi que l'avait d'ailleurs décidé le tribunal. On pouvait, en effet, soutenir avec quelque vraisemblance que l'ouvrier, chargé d'expérimenter un appareil dans une gare de chemins de fer, n'était pas, à proprement parler, mis à la disposition de l'Administration des chemins de fer, et que la surveillance que cette Administration devait nécessairement exercer sur le travail effectué par l'ouvrier n'impliquait pas de sa part la direction que comporte la mise à la disposition, en telle sorte que l'Administration des chemins de fer

on ne se trouve pas en présence d'une Comp. qui prend à son service, sous sa direction, l'ouvrier d'un autre patron, mais, au contraire, en présence d'une Comp. qui dit au patron: « Je vous laisse le soin de diriger et d'employer vos ouvriers à votre convenance sur mes voies, sans aucune responsabilité de ma part »;

Attendu qu'on alléguerait en vain, dans ces conditions, que le réseau de l'Etat fut maitre de l'ouvrage »; que de pareils essais étaient destinés principalement au bénéfice de la Société Boirault, qui devait vendre ses appareils si ses expériences avaient réussi; Par ces motifs; Dit

que le réseau n'est pas un patron substitué à la Société Boirault, aux termes de l'art. 7 de la loi du 9 avril 1898; Dit, au contraire, qu'il est un tiers par rapport au sieur Trichet, et que c'est à juste titre que les époux Trichet ont intenté contre lui une action basée sur l'art. 1382, C. civ., etc. ». Appel par l'Administration des chemins de fer de l'Etat.

ARRÊT.

LA COUR; Attendu qu'AlexandreCélestin Trichet, ouvrier au service de la Société Boirault, avait été mis, par celle-ci, à la disposition de l'Administration des chemins de fer de l'Etat, pour faire l'essai d'un appareil dont elle avait la propriété, et dont le réseau de l'Etat comptait faire l'acquisition; mais que, tandis que, dans les voies de garage de la gare des Sablesd'Olonne, il travaillait à l'adapter aux wagons, il fut surpris et mortellement atteint par une manoeuvre de refoulement de la part des agents de l'Etat; - Attendu que cet accident, qui a bien le caractère d'un accident du travail, ne pouvait être, de la part des époux Trichet, père et mère de la victime, le sujet d'une action qu'à la condition d'établir qu'ils étaient à la charge de leur fils; mais que, ce moyen faisant défaut, les demandeurs exercent, à l'encontre du réseau, l'action du droit commun des art. 1382 et s., C. civ.; Attendu que le procès réside dans la question de savoir si le réseau des chemins de fer de l'Etat, soumis, au profit de ses ouvriers et employés, à l'action forfaitaire de la loi de 1898, peut être rangé dans la catégorie des tiers, contre lesquels l'art. 7 de ladite loi réserve aux victimes, et même à leurs patrons, l'action basée sur la faute,

pouvait être considérée comme un tiers, soumis, en vertu de l'art. 7 de la loi du 9 avril 1898, à la responsabilité de droit commun.

Il convient d'ajouter que la solution donnée par la Cour de Poitiers, dans les circonstances de fait où elle est intervenue, n'est pas seulement l'application, qu'elle est une extension dangereuse de la doctrine de la chambre civile et des chambres réunies, car elle peut conduire à l'exonération de la responsabilité de droit commun pour toute personne chez laquelle un ouvrier a été envoyé par le patron pour travailler sous la surveillance de cette personne; quelles que soient les fautes qu'elle aura commises et leur relation avec l'accident, elle ne pourra être actionnée en vertu de l'art. 1382, C. civ.

et susceptible de conduire à une indemnité, non pas tarifiée, mais variable suivant le degré de la responsabilité ; qu'alors que le travail se faisait sur les voies de garage, dépendances de la gare des Sablesd'Olonne, et sous la surveillance des agents chargés de délivrer les wagons employés à l'essai, et notamment du chef de gare, qui, aux termes du règlement no 4, rige le service de la gare, des cours et « dides voies, de la formation et de la décomposition des trains », il n'est pas admissible que cette qualification de tiers, au regard de l'Administration dont dépend l'homme employé à ce travail, soit applicable; qu'il est vrai que les intimés se fondent sur une clause du traité entre la Société Boirault et le réseau de l'Etat, suivant laquelle la Société devait être responsable des accidents qui pourraient survenir à son personnel, comme des accidents ou malfaçons dont il pourrait être la cause; mais que cette stipulation, insérée dans un traité particulier au profit du stipulant, ne saurait être génératrice d'une nouvelle cause de responsabilité, et changer la situation respective du réseau et de l'ouvrier mis à sa disposition la société; Attendu que, par suite, il y a lieu de décider que le réseau de l'Etat ne peut être considéré comme un tiers, et actionné à ce titre ; Par ces motifs; Réforme le jugement; que l'Administration des chemins de fer de l'Etat ne saurait être considérée comme un tiers, soumis, par l'art. 7 de la loi de 1898, à l'action du droit commun; etc. Du 27 févr. 1911. MM. Chamontin, ler prés.; Beylot, C. Poitiers, Ire ch. av. gén.; Poulle et Decharme, av.

par

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GRENOBLE 4 avril 1911.

Dit

PARTAGE, TRANSCRIPTION, SERVITUDE (Rép., vis Partage, n. 1081 et s., Transcription, n. 438; Pand. Rép.. vi Adjudications immobilières, n. 3843, Servitudes, n. 108, Successions, n. 7800 et s., Transcription, n. 293 et s.).

Si l'acte de partage est affranchi de la nécessité de la transcription pour pouvoir être opposé aux tiers, c'est, par application de la règle de l'effet déclaratif, et seulement en tant que le partage se borne à opérer, entre les intéressés, la division et l'attribution des biens communs (1) (C. civ., 883; L. 23 mars 1855, art. 1, 2, 3).

Mais il en est autrement de la clause de l'acte de partage qui a pour but et pour ré

(1 à 4) Le partage immobilier étant déclaratif et non attributif de droits (C. civ., 883), la transcription n'est pas nécessaire pour rendre opposables aux tiers les actes de partage qui se bornent à opérer entre les copartageants la division et l'attribution des immeubles indivis. V. Orléans, 7 avril 1897 (S. et P. 1899.2. 279, et la note; Pand. pér., 1897.2.342); Baudry-Lacantinerie et Barde, Tr. des oblig., 3 éd., t. 1, n. 387; et notre Rép. gén. du dr. fr., vi Partage, n. 1084, et Transcription, n. 438; Pand. Rep., v Adjudications immobilières,

II. PARTIE.

sultat de créer une véritable servitude entre
les lots des copartageants; une convention
de cette nature ne perd pas son caractère
translatif ou constitutif de droits réels,
parce qu'elle est incorporée à un contrat
de partage, et elle doit, par suite, être trans-
crite pour être opposable aux tiers (2)
(Id.);

... Specialement àl'acquéreur qui a acheté
l'immeuble, grevé de servitude le
par
tage, de l'acquéreur auquel le copartageant
par-
l'avait lui-même vendu (3) (Id.);

...Alors d'ailleurs que, ni le titre de l'ac-
quéreur auquel est opposée la servitude, ni
celui de son vendeur, ne font mention de
l'existence de celle servitude, ou même du
partage qui l'a constituée (4) (Id.).

ARRÊT.

(Dr Sourd C. Douillet).
LA COUR; Attendu qu'il ressort des
art. 1, 2 et 3 de la loi du 23 mars 1855 que
doivent notamment être transcrits, au bu-
reau des hypothèques, tout acte entre vifs
translatif de propriété immobilière, et tout
acte constitutif de servitude, et que, jusqu'à
la transcription, les droits résultant des-
dits actes ne peuvent être opposés aux
tiers qui ont des droits sur l'immeuble, et
les ont conservés en se conformant aux
lois; Attendu qu'il découle des mêmes
dispositions que, si l'acte de partage est
affranchi de la formalité de la transcrip-
tion, c'est en tant qu'il se borne à opérer
entre les intéressés, la division et l'attri-
bution des biens communs, et par applica-
tion de l'effet déclaratif de l'art. 883, C.
civ., mais qu'il en est autrement, et que
la règle édictée par la loi de 1855 reprend
tout son empire, lorsque l'acte contient une
clause ayant pour but et pour résultat de
créer une véritable servitude entre les lots
des copartageants, une convention de
cette nature ne perdant pas le caractère
translatif ou constitutif de droits réels qui
lui est propre, parce qu'elle est incorpo-
rée à un contrat de partage, et deman-
dant à être transcrite pour être opposable
aux tiers; qu'il n'est pas enfin d'assimi-
lation à faire ici entre le droit de propriété
que l'héritier est censé tenir directement
du père de famille, et le démembrement
du droit de propriété qui constitue la ser-
vitude, puisqu'à la différence du droit de
propriété, la servitude est née du partage,
sans pouvoir remonter au de cujus, et se
trouve inconciliable avec la fiction de ré-
troactivité; Attendu, en fait, que le
contrat de partage, intervenu le 1er déc.
1868 entre les enfants Roussillon, dont fait
état le sieur Douillet, emporte assurément,
au regard de tous les copartageants, une
prohibition de bâtir à plus de 20 mètres

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n. 3843, Successions, n. 7800, et Transcription, n. 293 et 8. Mais il en est autrement des conventions translatives de propriété immobilière que constate l'acte de partage; elles doivent être transcrites pour être opposables aux tiers. V. Cass. 10 juin 1890 (S. et P. 1893.1.503, et la note; Pand. pér., 1890.7.114); Orléans, 7 avril 1897, précité, la note et le renvoi. Adde, Baudry-Lacantinerie et Barde, op. et loc. cit. Il a été jugé qu'il en était ainsi spécialement lorsque le partage renferme une convention ayant pour but de créer une servitude, sur un

de la rue du Vert, qui renferme tous les éléments de la servitude non ædificandi, mais que, sans raison juridique, l'intimé prétend imposer cette servitude au docteur Sourd, devenu, à son exemple, acquéreur de l'un des lots provenant du partage de 1868, dès l'instant que c'est seulement dans cet acte, qui jamais n'a été transcrit, qu'il puise son droit d'agir, et qu'au contraire, le docteur Sourd a régulièrement fait procéder à la transcription du contrat qui l'a investi de la propriété de la parcelle litigieuse, laquelle était comprise dans le lot no 1, échu jadis à Pierre Roussillon fils; Attendu qu'il est à observer que cet acte de vente, consenti à l'appelant, le 14 juin 1909, par une demoiselle Mercier, et transcrit dès le surlendemain, 16 juin, ne fait nulle mention du partage de 1868, se réfère sans autres précisions à l'adjudication sur surenchère tranchée le 21 mai 1909 devant le tribunal de Bourgoin au profit de ladite demoiselle Mercier, dans la poursuite en expropriation dirigée contre le nommé Pierre Roussillon, et constate simplement que la parcelle adjugée appartenait au débiteur saisi, pour l'avoir recueillie lui-même dans la succession de Pierre Roussillon, son père, lequel la possédait depuis plus de 30 ans ; qu'il est encore à remarquer que non seulusion, nulle part, au partage de 1868, non lement l'adjudication susvisée ne fait alplus qu'à la servitude non ædificandi, mais que les affiches imprimées qui l'ont annoncée au public ont, par une contradiction assez ironique, qualifié la parcelle à vendre de terrain à bâtir », sans aucune restriction ni réserve; qu'il n'est pas sans intérêt d'ajouter que l'acte de vente du 26 mars 1906, qui a placé sur la tête de Douillet le lot no 2 du partage de 1868, est aussi muet sur la question de partage et de servitude, que le titre propre de son adversaire; que rien absolument n'a donc pu mettre les tiers en garde contre une servitude occulte résultant de la convenance des parties, non de la nécessité des lieux et des choses, et qu'il s'ensuit qu'à tous les points de vue, le docteur Sourd est autorisé à se prévaloir de sa qualité de tiers acquéreur ayant transcrit, pour repousser la demande; Par ces motifs; - Infirme le jugement rendu le 22 juin 1910 par le tribunal de Bourgoin, etc. Du 4 avril 1911.

- C. Grenoble, Ire ch. MM. Monin, er prés.; Despilou, av. gén.; Favre-Gilly et Rajon (ce dernier du barreau de Lyon), av.

immeuble compris dans le partage, au profit d'un autre immeuble; une pareille convention, n'étant pas déclarative, mais translative de propriété, est assujettie comme telle à la formalité de la transcription. V. Orléans, 7 avril 1897, précité, la note in fine, et les autorités citées. Adde dans le même sens, Baudry-Lacantinerie et Barde, op. et loc. cit.; et notre Rép. gén. du dr. fr., vo Partage, n. 1083 et 1085; Pand. Rep., v° Servitudes, n. 108. Mais V. en sens contraire, les autorités citées en note sous Cass. 26 janv. 1875 (S. 1875.2.216.-P. 1875.935).

TOULOUSE 26 novembre 1908.

VOIE PUBLIQUE, RIVERAIN, DROIT RÉEL, SERVITUDE, VUE, KIOSQUE A JOURNAUX, AUTORISATION ADMINISTRATIVE, SUPPRESSION, ABUS DE JOUISSANCE, ACTION EN DOMMAGES-INTÉRÊTS, FIN DE NON-RECEVOIR (Rép., vis Servitudes, n. 217 et s., Vues et jours, n. 63 et s., 137 et s.; Pand. Rép., vis Servitudes, n. 947 et s., 1263, Voirie, n. 1171 et s.).

Le riverain d'une voie publique n'a pas, sur cette partie du domaine public, un droit réel, et spécialement un droit de servi tude (1) (C. civ., 537, 538, 678 et s., 681).

Sans doute, le riverain a, sur la voie publique, un droit sui generis, qui lui permet

(1 à 6) Un kiosque à journaux est établi sur la voie publique, en vertu d'une permission administrative, à 2 mètres des fenêtres d'un riverain. Ce dernier peut-il demander la suppression du kiosque? N'aura-t-il pas droit tout au moins à des dommages-intérêts? Quels seront les tribunaux compétents pour connaître de ce litige?

Pour résoudre ce problème, il faut s'attacher à déterminer la nature juridique des aisances de voirie, ou droits des riverains sur la voie publique. D'après l'arrêt ci-dessus, ces facultés (accès, vue, etc.) ne constituent point « un droit réel, et spécialement une servitude; le riverain a sur la voie publique un droit sui generis ». A ce propos, il y aurait lieu, nous semble-t-il, de rechercher le genus auquel pourraient se rattacher ces droits.

Nous n'hésitons pas, pour notre part, y voir, contrairement à l'opinion de la Cour, des droits réels, des servitudes existant au profit des fonds riverains. Sans doute, ces servitudes, à raison de la qualité toute particulière du fonds sur lequel elles portent, ne sont pas absolument assimilables à celles du droit civil; sans doute, le droit de l'Administration de modifier et de supprimer la voie publique reste entier, et, par conséquent, certaines dispositions du Code civil, et notamment l'art. 701, leur sont inapplicables; mais, tant que la voie publique subsiste dans son état normal, les droits des riverains se comportent comme des servitudes ordinaires; quand elle est modifiée ou supprimée, le droit de servitude est altéré dans son exercice, ou se résout en indemnité. Les aisances de voirie apparaissent donc comme des servitudes résolubles sous certaines conditions. Mais, de ce qu'un droit est résoluble, on ne doit point conclure qu'il n'existe pas.

L'idée de droits réels appartenant à des particuliers sur le domaine public cadre parfaitement avec l'ensemble de la législation sur le domaine. Les cimetières, dans une opinion assez répandue, font partie du domaine public communal (V. en ce sens, la note, 6° col., de M. Hauriou sous Cons. d'Etat, 10 janv. 1890, Rodet, S. et P. 1892.3.41, avec les autorités citées. Mais V. les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Romieu, rapportées sous Cons. d'Etat, 19 avril 1907, Dame de Suremain, S. et P. 1909.3.101; Pand. pér., 1909. 3.101. Adde sur la question, Berthélemy, Tr. de dr. admin., 4° éd., p. 415, note 1); cependant, qu'est-ce qu'une concession à perpétuité, sinon la création, au profit de particuliers, d'un droit réel (V. en ce sens, la note, 9° col., de M. Hauriou sous Cons. d'Etat, 25 mai 1906, Min. du commerce, S. et P. 1908.3.65; Pand. per., 1908.3.65), d'une propriété administrative, analogue à la propriété civile, sous cette réserve que l'AdministraANNÉE 1911. 7-8 cah.

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notamment d'ouvrir des portes et des fenêtres sur cette voie: mais l'Administration conserve le droit de modifier l'état de la voie, et même de masquer les portes et fenétres par des constructions (2) (Id.).

Elle peut également autoriser un tiers à élever, à titre précaire, des constructions sur la voie publique; et cette occupation du domaine public ne porte pas atteinte aux droits des riverains, et ne leur permet pas de réclamer le rétablissement des lieux dans l'état primitif, lorsque l'autorisation donnée par l'Administration n'entraine pas la fermeture des portes et fenêtres par eux ou. vertes sur la voie publique (3) (Id.).

En tout cas, un riverain n'est pas fondé à se plaindre, si les ouvrages élevés sur la voie publique avec l'autorisation adminis

tion peut y mettre fin, en décidant la translation du cimetière (Ordonn., 6 oct. 1843, art. 5) (V. sur les droits des particuliers au cas de transfert d'un cimetière, Bordeaux, 10 juin 1907, S. et P. 1907. 2.267, et la note; Cass. 25 oct. 1910, supra, 1r part., p. 15, et les renvois). Les voies ferrées sont dans le domaine public de l'Etat, et cependant le concessionnaire ne possède-t-il pas sur ces voies « un droit exclusif de jouissance », qui présente tous les avantages du droit réel, qui est opposable à tous, même à l'Administration, jusqu'à l'expiration de la concession, ou au rachat. V. not., Cons. d'Etat, 25 mai 1906, Min. du commerce, précité, et la note de M. Hauriou, 9 col. Les usines établies avant 1566 sur un cours d'eau navigable, ou qui ont bénéficié d'une vente nationale pendant la Révolution, ont sur leur barrage un droit réel du même genre, tant que le barrage n'a pas été supprimé ou abaissé par l'Administra tion. V. Cons. d'Etat, 27 févr. 1891, Vauthier (S. et P. 1893.3.29), et la note; adde, la note, 9o col., de M. Hauriou, sous Cons. d'Etat, 25 mai 1906, Min. du commerce, précité, et les renvois. V. aussi, Cons. d'Etat, 13 nov. 1903, De la Roche-Aymon (S. et P. 1906.3.38), et les renvois. N'est-ce pas encore un droit du même ordre, un droit d'usage administratif sur les églises, qui appartient, en vertu des lois du 9 déc. 1905 et 2 janv. 1907, aux ministres des cultes et aux fidèles, tant que la désaffectation de l'édifice n'a pas été prononcée ? V. sur cette question controversée, Bourges, 28 juin 1909 (S. et P. 1909. 2.241; Pand. pér., 1909.2.241), et les renvois. V. aussi, Pau, 15 mars 1911 (Supra, 2o part., p. 116), et la note.

Nos lois reconnaissent donc, en certains cas, au profit des particuliers, une propriété, un droit d'usage de nature administrative sur le domaine public. Pourquoi nous serait-il interdit de voir également, dans les droits d'accès et de vue, un droit réel, une servitude de nature administrative portant sur la voie publique? V. not. en ce sens, Toullier, t. 2, n. 481; Planiol, Tr. élém. de dr. civ., 5 éd., t. 1, n. 2881; Demolombe, Tr. des servitudes, t. 2, n. 699, p. 209; Hauriou, Précis de dr. admin., 7° éd., p. 665; adde, la note de M. Hauriou, sous Cons. d'Etat, 25 mai 1906, Min. du commerce, précité.

Les textes mêmes du Code civil corroborent cette manière de voir. L'art. 640, assujettissant le fonds inférieur à la servitude naturelle d'écoulement des eaux provenant du fonds supérieur, s'applique certainement aux voies publiques. D'après l'art. 681, « tout propriétaire doit établir ses toits de manière que les eaux pluviales s'écoulent sur son terrain, ou sur la voie publique Qu'est-ce à dire, sinon que la voie publique doit

trative (en l'espèce, un kiosque à journaux) sont places à une distance supérieure à celle de 19 décimètres exigée par l'art. 678, C. civ. (4) (C. civ., 678).

Il en est ainsi surtout, alors que le riverain a lui-même donné son consentement à l'édification de l'ouvrage (5) (Id.).

A supposer que le permissionnaire fit servir la construction, par lui élevée sur la voie publique, à des usages autres que ceux en vue desquels l'autorisation lui a été donnée, ces agissements pourraient donner ouverture à une action en dommages-inté rêts au profit du riverain lésé, mais ne sauraient autoriser les tribunaux à ordonner, sur sa demande, la suppression ou le dé placement de l'ouvrage (6) (C. civ., 1382).

supporter l'écoulement des eaux de pluie? N'est-ce pas là une servitude d'écoulement des eaux, qui d'ailleurs cesserait en cas de désaffectation de la voie? A ce moment, celle-ci, devenue propriété privée, ne serait plus tenue de les recevoir. De même, les art. 682 et s., relatifs au droit de passage en cas d'enclave, impliquent l'existence d'un droit d'accès sur la voie publique, droit s'exerçant au profit des propriétaires enclavés, et, a fortiori, au profit des riverains, jusqu'au jour où la voie publique est déclassée. V. spécialement, sur le droit à indemnité du riverain d'une place publique, privé, à la suite de l'exécution de travaux de voirie, du droit d'accès qu'il possédait sur cette place, Cons. d'Etat, 28 janv. 1887, Comm. de Maurigny-en-Haye (S. 1888.3.56. P. chr.), et les renvois; 8 août 1890, Descosse (S. et P. 1892.3. 141), et le renvoi. V. encore sur le droit à indemnité au profit des riverains, au cas de suppression des jours et accès sur une voie publique déclassée, Rouen, 2 juin 1892, sous Cass. 7 mai 1894 (S. et P. 1895.1.140; Pund. pér., 1895.1.394), et les renvois.

En quoi donc y aurait-il incompatibilité entre le domaine public et les servitudes au profit des riverains?

Pour MM. Aubry et Rau (5e éd., 3, p. 122, § 249, n. 4), les aisances de voirie ne sont pas des servitudes, parce que l'usage que font les riverains de la voie publique, conformément à sa destination, n'en diminue nullement l'utilité, et, dès. lors, ne saurait être considéré comme une charge ». Mais il ne nous semble pas qu'il soit de l'essence des servitudes de diminuer l'utilité du fonds servant (Sic, Laurent, Princ. de dr. civ., t. 7, n. 131); c'est le service rendu au fonds dominant qui nous apparaît comme la caractéristique de ces droits.

Pour M. Berthélemy (Tr. élém. de dr. admin., 4o éd., p. 424, 5e éd., p. 460; adde dans le même sens, notre C. civ. annoté, par Fuzier-Herman et Darras, sur l'art. 686, n. 16; et notre Rép. gen. du dr. fr., vo Servitudes, n. 217 et s.; Pand. Rep., eod. verb., n. 1363), le domaine public ne saurait être démembré ; la servitude en serait un démembrement; donc il ne saurait exister de servitudes sur le domaine public. Il faut bien admettre cependant que les particuliers peuvent, en certains cas, acquérir des droits sur le domaine; qu'on les appelle démembrement », ces droits existent;

ou non

il s'agit de les définir et de les concilier avec les règles fondamentales relatives au domaine public. Nous croyons que ces règles, et notamment celle de l'inaliénabilité et de la libre disposition du domaine aux mains de l'Administration, ne seront nullement méconnues par la reconnaissance, au profit des riverains, de servitudes administratives, II PART. 27

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qui subsisteront tant que durera la voie publique, qui seront, sauf indemnité, supprimées ou modifiées avec elle. Sans doute, ce sont là des servitudes d'un type spécial, qui se modèle sur la nature du fonds servant; sans doute, l'art. 701, C. civ., qui interdit au propriétaire du fonds servant tout acte susceptible de nuire au libre exercice de la servitude, ne s'applique pas à elles. Mais ne peut-on concevoir que des servitudes d'un type uniforme? Une servitude constituée à temps, ou sous condition résolutoire, cessera-t-elle d'être une servitude? Et le titre qui l'a établie ne pourrat-il pas, par une disposition expresse, déroger à l'art. 701? Pour les aisances de voirie, cette dérogation résultera, non du titre, mais de la nature spéciale du fonds assujetti.

M. Jèze, lui non plus (Rev. du dr. public, 1910, p. 701), n'admet pas que les droits des riverains constituent des servitudes. Il y voit, comme dans le droit de tous à circuler sur les chemins et rues, l'exercice normal de la libre activité individuelle sur les choses publiques. Cette assimilation ne nous paraît pas exacte: le droit de circuler sur la voie publique appartient à tous, sans exception; il n'est pas exclusif "1 dit M. Jèze lui-même (p. 698); c'est une aptitude générale, à la disposition de la masse anonyme du public tout entier. Les droits de vue, au contraire, sont réalisés au profit de propriétaires nommément déterminés, les seuls riverains qui, ayant bâti le long de la voie publique, ont pratiqué des ouvertures dans leurs murs, ou, du moins, ont manifesté par une demande d'alignement, leur intention de bâtir. V. Cons. d'Etat, 8 août 1890, Descosse, précité, et le renvoi. Le droit de ces riverains apparaît donc comme essentiellement exclusif », et, par conséquent, il est très différent de l'aptitude générale à circuler sur les voies publiques qui appartient à tous.

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L'opposition entre eux se manifeste très nettement, si l'on se place au point de vue de l'indemnité en cas de gêne apportée par l'Administration dans l'exercice de ces droits jamais l'atteinte au droit de circuler sur la voie publique ne donnera lieu, au profit des passants, à la moindre indemnité; normalement, l'atteinte au droit du riverain donnera lien à réparation pécuniaire. V. not. pour la difficulté d'accès, Cons. d'Etat, 28 janv. 1888, Comm. de Maurigny-en-Haye, et 8 août 1890, Descosse, précités.

La doctrine, qui voit dans les aisances de voirie, et notamment dans les droits de vue, de véritables servitudes, est d'ailleurs bien loin d'être nouvelle. Une tradition ininterrompue s'est prononcée en ce sens, depuis Merlin, qui, dans son Rep., v° Servitude, n. X, s'exprimait ainsi : II y a des servitudes naturelles auxquelles les lieux publics sont assujettis de plein droit. Tels sont les passages, les vues, l'écoulement des eaux qui ont lien sur les rues... ». Sic, Toullier, t. 3, n. 483: Le domaine public est susceptible de servitudes, comme les propriétés particulières». V. dans le même sens, Proudhon, Tr. du dom. publ., t. 2, p. 369 et s.; Demolombe, op. cit., t. 2, n. 699; Planiol, op. cit., t. 1, n. 2881; Hauriou, op. cit., p. 666; et la note de M. Hauriou sous Cons. d'Etat, 25 mai 1906, Min. du commerce, précité. La jurisprudence a longtemps été unanime dans le même sens. V. Cass. 11 févr. 1828 (S. et P. chr.); Lyon, 10 févr. 1831, sous Cass. 29 févr. 1832 (S. 1832. 1.521. P. chr.). V. aussi, Cass. 5 juill. 1836 (S.

a

que Roques soit condamné à enlever le kiosque par lui édifié devant le n. 28 du boulevard de la Gare; qu'il expose que cet

1836.1.600.-P. chr.); Nancy, 28 janv. 1840, sous Cass. 10 nov. 1841 (S. 1842.1.178.-P. 1842.1.376); Limoges, 9 janv. 1866 (S. 1866.2.307. P. 1866. 1132), la note et les renvois. L'opinion qui voit dans les aisances de voirie des servitudes a donc pour elle l'appui de la tradition, et nous ne la voyons guère écartée que par des arrêts relativement récents. V. not., Rouen, 2 juin 1892, précité, et les renvois; Nancy, 13 mars 1909 (S. et P. 1909.2.166; Pand. per., 1909.2.166), la note et les renvois.

En quoi les aisances de voirie constituent-elles donc des servitudes? Quelles conséquences produira cette qualification?

a) Le droit commun en matière de jours et vues est déterminé par l'art. 678, C. civ. D'après ce texte, on ne peut avoir sur l'héritage voisin des vues droites (nous envisagerons seulement ces dernières), s'il n'y a 1,90 de distance entre le mur où on les pratique, et le dit héritage. Quand l'immeuble voisin est une voie publique, une rue, par exemple, les ouvertures peuvent être pratiquées sur la ligne séparative elle-même (V. Cass. 14 nov. 1906, supra, 1 part., p. 270, la note et les renvois), et les propriétaires riverains peuvent s'opposer aux entreprises qui nuiraient à la vue dont ils jouissent. Leur droit est absolu, s'il s'agit d'entreprises provenant de simples particuliers; quand l'atteinte à leur droit a eu lieu par le fait de l'Administration, des distinctions s'imposent, que nous essaierons d'indiquer tout à l'heure. En tout cas, tant que la voie subsiste, l'Administration doit respecter le droit de vue du riverain, en ce sens qu'elle ne peut y porter atteinte que par des procédures déterminées, et sous la condition de l'indemniser. Il y a donc, en faveur des immeubles riverains, une dérogation certaine au droit commun fixé par l'art. 678, une servitude sur le domaine public; c'est là une « servitude naturelle disait déjà Merlin; elle résulte de ce fait que, par nature, les voies sont tracées, non seulement pour satisfaire aux besoins de la circulation publique, mais encore pour fournir un accès, du jour et de la lumière aux immeubles riverains.

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comme

La dérogation au droit commun de l'art. 678 est si certaine, quand l'un des fonds est une voie publique, que, si une ruelle séparant deux maisons a moins de 1,90 de largeur, les propriétaires des maisons placées en face l'une de l'autre devront mutuellement supporter les vues droites ouvertes dans leurs murs, quoique ceux-ci soient placés à moins de 1,90 l'un de l'autre; l'existence d'une voie publique, si étroite qu'elle soit, suffit pour écarter l'application de l'art. 678. V. not., Cass. 1er mars 1848 (S. 1848.1.622. P. 1848.2.304); et la note sous Cass. 14 nov. 1906, avec les renvois. b) Sans doute, l'Administration garde toujours la faculté de déclasser les rues et chemins et de vendre le terrain qui les constituait. En pareil cas, la voie publique disparaît. En même temps, les servitudes d'accès et de vue, qui n'existaient au profit des riverains qu'en fonction de la voie publique, disparaissent aussi; le droit du riverain se résout en une indemnité, qui lui est due à raison du préjudice spécial qui lui est causé par suite de la perte de la servitude. La jurisprudence, même quand elle n'admet pas formellement l'idée de servitude, n'échappe pas à cette conséquence. D'après un arrêt de Cass. 16 mai 1877 (S. 1878.1. P. 1878.43), les droits de vue, appartenant aux propriétaires riverains sur une voie publique, ne peuvent être méconnus, lorsque l'Admi

27.

-

édicule, placé devant son immeuble, en masque deux fenêtres et, que, d'autre part, Roques, par des abus de jouissance, cau

nistration modifie cette voie dans l'intérêt général, soit par des appropriations nouvelles, soit par la cession qu'elle en fait à des particuliers; ces droits ne sauraient néanmoins faire obstacle à la liberté d'action nécessaire en pareil cas à l'Administration; tous les droits sont conciliés, si, d'une part, les mesures régulièrement prises par l'Administration sont maintenues dans leur intégralité, et si, d'autre part, les riverains sont indemnisés des dommages que ces mesures ont pu leur causer. Sic, Cass. 5 févr. 1879 (S. 1879.1.167. P. 1879.406): « Le déclassement (de la rue) ayant converti le terrain en une simple propriété privée, le droit de C... d'y accéder à titre de voie publique a par la même cessé; si la mesuré administrative lui portait préjudice, il devait se pourvoir à fin d'indemnité. V. aussi, Cons. d'Etat, 28 janv. 1887, Comm. de Maurigny-en-Haye, 8 août 1890, Descosse, et Rouen, 2 juin 1892, précités, avec les renvois. Bien entendu, l'indemnité ne saurait être due au riverain que dans le cas où il a été porté atteinte à un droit déjà réalisé. Le déclassement d'une route bordée de terrains vagues ne saurait atteindre un droit de vue éventuel que le riverain eût pu exercer s'il avait ultérieurement construit. Il suffit d'ailleurs qu'un acte exprès, notamment la demande d'alignement, ait affirmé l'intention de la part du riverain de réaliser son droit pour qu'une indemnité à raison de la privation de la vue sur la voie publique puisse lui être attribuée. V. Cons. d'Etat, 8 août 1890, Descosse, précité.

c) Tant que la rue ou le chemin subsiste, aucune construction, kiosque, chalet, etc., ne pourra être édifiée sur la voie publique à moins de 1,90 (vue droite), de la fenêtre ouvrant sur cette voie, sauf cependant l'hypothèse où la construction aurait été élevée par suite d'une opération de travaux publics, auquel cas le voisin devrait la supporter et ne pourrait agir qu'en indemnité devant le conseil de préfecture. V. Cons. d'Etat, 25 avril 1890, Raymond (S. et P. 1892.3.81), et la note de M. Hauriou. Adde, Berthélemy, op. cit., p. 461; Jèze, op. cit., p. 702. Cette distance de 1,90, c'est la distance minima reconnue aux particuliers par la doctrine, et par une jurisprudence constante, fondée sur l'art. 678, C. civ., quand une servitude de vue a été établie entre deux immeubles, sans que l'indication de l'étendue de la servitude ait été énoncée dans le titre constitutif. V. Cass, 10 déc. 1888 (motifs) (S. 1889.1.156.-P. 1889.1.372, la note et les renvois; Pand. pér., 1889.1.133); C. sup. de justice de Luxembourg, 23 juin 1893 (S. et P. 1895.4.6). Adde, Baudry-Lacantinerie et Chauveau, Tr. des biens, 3o éd., n. 1035; Huc, Comment. du C. civ., t. 4, n. 388; Aubry et Rau, 5o éd., t. 3, p. 160,

258, texte et notes 21 et 22; notre Rép. gén, du dr. fr., v° Vues et jours, n. 176; Pand. Rep., v° Servitudes, n. 972. V. aussi, Cass. 29 juill. 1907 (S. et P. 1908.1.229; Pand. pér., 1908.1.229), et la note.

Mais il est également admis en jurisprudence que les circonstances de la cause peuvent motiver une extension de cette distance minima. V. Cass. 31 mai 1880 (S. 1881.1.199. P. 1881.1.492), et la note; 29 juin 1891 (S. et P. 1895.1.7); et notre Rép. gén. du dr. fr., verb. cit., n. 138 et 195; Pand. Rep., verb. cit., n. 186 et s., 976 et s. V. au surplus, sur le pouvoir des juges du fond, en ce qui concerne les difficultés soulevées par l'interprétation d'un titre constitutif de servitude, Cass. 2 juill. 1900 (S. et P. 1901.1.69, et la note; Pand.

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