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dudit jugement; Attendu, en droit, que c'est à tort que le juge du premier degré a basé son jugement sur le 1er de l'art. 36 de la loi du 5 avril 1910, aux termes duquel « les fermiers, métayers, cultivateurs, artisans et petits patrons, qui, habituellement, travaillent seuls..., et qui voudraient se constituer une retraite ou en assurer une aux membres de leur tamille, seront admis facultativement... au bénéfice d'une pension de retraite à l'age de soixant-cinq ans...; Attendu que l'article de la loi, permettant aux femmes et aux veuves des assurés facultatifs de se faire inscrire, n'est pas le 1er de l'art. 36, mais bien le $5 du mème article, ainsi conçu : « Les dispositions des paragraphes précédents sont étendus: 1o aux femmes et aux veuves non salariées des assurés des titres et 5; 2o ... ; - Attendu que le législateur a ainsi bien pris soin de distinguer les femmes et les veuves des assurés des autres membres de leur famille travaillant avec eux, et de préciser que lesdites femmes et veuves ne pouvaient être comprises parmi les assurés facultatifs qu'autant que leur mari serait lui-même assuré; Attendu que Goulin, le mari, ayant, en fait, dépassé l'age de soixante-cinq ans, ne peut pas être assuré et conférer par suite à sa femme le droit de se faire inscrire facultativement; - Attendu que le juge de paix de Cotignac, en déclarant que, si Goulin n'était pas inscrit sur la liste des assurés facultatifs en raison de son age, il lui restait le droit et le devoir d'assurer une retraite à un membre de sa famille », a été inspiré par des raisons humanitaires qui ne pourraient être acceptées par les juges d'appel sans violer manifestement la loi, laquelle exclut du bénéfice de la retraite les femmes et les veuves non salariées d'hommes auxquels ce bénéfice est refusé (arg. art. 36, ;; 5); — Attendu qu'au surplus, Goulin, en sa qualité de fermier, métayer, cultivateur ou petit patron, peut, si son age est compris entre soixante-cinq et soixante-neuf ans, et s'il est nécessiteux, demander par anticipation le béné fice de la loi du 14 juill. 1905, sur l'assistance obligatoire; Attendu que c'est encore guidé par un sentiment d'humanitarisme contraire à la loi que le juge de paix de Cotignac a inséré dans son jugeinent que, certainement, le législateur, s'il ne s'est pas prononcé sur ce cas, n'a pas voulu exclure du bénéfice de la loi les membres d'une famille dont le chef est trop vieux; Attendu qu'on ne peut arguer du silence de la loi à l'existence d'un droit qui ne peut être basé que sur un texte formel;

Attendu, enfin, qu'en déclarant que le certificat dressé par M. le maire de Cotignac était suffisant pour établir la situa

(1-2-3) Lorsque des biens de communauté sont abandonnés, en paiement de ses reprises, à la femme qui a accepté la communauté, il y a là, suivant une jurisprudence constante, attribution, par voie de partage, de biens indivis à un copropriétaire, et cette attribution n'est passible que du droit de partage, à l'exclusion du droit de xutation. V. Cass. 13 avril 1891 (S. 1891.1.121.

tion de la femme Goulin, la décision entreprise a méconnu le texte même de la loi, qui, dans l'art. 2 de l'arreté du 30 mars 1911, pris par MM. les ministres du travail et des finances, conformément au décret du 25 mars de la même année, indique expressément, en ce qui a trait aux justifications à produire par les bénéficiaires de la loi, que : « 3o Les femmes non salariées des assurés obligatoires ou facultatifs doivent produire un extrait sur papier libre de l'acte de mariage et la carte d'identité ou la carte annuelle du mari»; - Attendu que ces cartes ne sont données qu'aux seuls assurés de la loi, et que Goulin, ne pouvant avoir cette qualité d'assuré, ne peut faire bénéficier sa femme d'un avantage qui ne peut découler d'un droit inexistant; Par ces motifs;

Réforme le jugement rendu le 31 juill. 1911 par M. le juge de paix de Cotignac ; Maintient la décision préfectorale de rejet du 4 juill. 1911; - Ordonne la radiation de la dame Goulin de la liste des assurés facultatifs de la commune de Cotignac, etc. Du 26 août 1911. Trib. civ. de Brignoles. MM. Florens, prés.; Estrade, proc. de la Rép. 2o Espèce.

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(Fougeanet C. Préfet de la Corrèze). JUGEMENT.

LE TRIBUNAL; Attendu que Combroux (Marie), épouse Fougeanet, a interjeté appel d'un jugement de M. le juge de paix de Vigeois, en date du 20 sept. 1911, refusant l'inscription de ladite dame sur la liste des assurés facultatifs de la commune de Saint-Bonnet-l'Enfantier; Attendu que, d'un certificat de M. le maire de Saint Bonnet-l'Enfantier, il résulte que les époux Fougeanet-Combroux ont du, depuis une vingtaine d'années, étant donné l'insuffisance de leurs ressources, travailler les terrains de divers propriétaires, soit à titre de fermiers, soit à titre de colons; - Attendu que Fougeanet, époux de l'appelante, pourrait incontestablement invoquer le bénéfice des dispositions de l'art. 36, 1er, de la loi du 5 avril 1910, s'il n'était àgé de plus de soixante-cinq ans; Attendu que Combroux (Marie) peut réclamer, par suite, le bénéfice des dispositions de Fart. 36, § 5;

Attendu, en effet, que si, aux termes de ce texte, les dispositions des paragraphes précédents sont étendues 1 aux femmes et veuves non salariées des assurés des titres 1 et 5...», il paraîtrait contraire à la pensée du législateur d'appliquer l'interprétation la plus restrictive; que l'expression femmes et veuves des assurés » a également voulu comprendre, non seulement les femmes et veuves de ceux qui, remplissant toutes les conditions requises, y compris la condition d'âge, in

P. 1891.1.1018, et la note de M. Wahl; Pand, pér., 1892.6.7).

Lorsque, au contraire, la femme a renoncé à la communauté, les biens communs deviennent des propres du mari, et les reprises de la femme sont des créances sur le mari, de sorte que l'attribution de biens communs à la femme en paiement de ses reprises est une dation en paiement de la

voqueraient le bénéfice de l'art. 36, ler, et deviendraient, par conséquent, des assurés, mais aussi de ceux qui auraient pu invoquer ce même bénéfice, s'ils n'avaient dépassé l'âge requis; que la décision contraire serait d'autant plus inadmissible que la situation de la femme ou veuve » de celui qui ne peut plus être assuré, seulement parce que trop âgé, est encore plus digne d'intérêt que celle de la « femme ou veuve » de celui qui, plus jeune, a été admis à figurer sur la liste des assurés facultatifs; Par ces motifs; Infirme; Dit que Combroux (Marie), épouse Fougeanet, sera inscrite sur la liste des assurés facultatifs de la commune de Saint-Bonnet-l'Enfantier, etc.

Du 27 oct. 1911. Trib. civ. de Brive. MM. Magnin, prés.; Villotte, proc. de la Rép. (concl. conf.).

TRIB. DE LA SEINE 24 janvier 1910. 1o SÉPARATION DE BIENS, COMMUNAUTÉ, AcCEPTATION, DÉLAI, RENONCIATION, ACCEPTATION TACITE, VENTE DE RÉCOLTES (Rép., vo Communauté conjugale, n. 1743 et s.; Pand. Rép., v Mariage, n. 7669 et s.). 2o ENREGISTREMENT, COMMUNAUTÉ CONJUGALE, SÉPARATION DE BIENS, RENONCIATION, REPRISES, DATION EN PAIEMENT (Rép., vo Communauté conjugale, n. 3706 et s.; Pand. Rép., v Mariage, n. 12491).

1° La femme séparée de biens, qui n'a point, dans le délai de trois mois et quarante jours après la séparation de biens definitivement prononcée, accepté la communauté, est censée y avoir renoncé (1) (C. civ., 1463).

La femme ne peut être considérée comme ayant accepté définitivement la communauté, bien que, avant l'expiration de ce délai, elle ait vendu les récoltes des immeubles propres dont elle avait effectué la reprise en nature, et encore bien qu'une partie de ces récoltes revint à la communauté, la femme n'en étant pas moins propriétaire pour la totalité de ces choses fongibles, et libre d'en disposer à son gré, sauf compte à rendre ou à faire, pour le prorata des fruits courus au jour de la demande en séparation de biens, au profit du seul représentant de la communauté (2) (Id.).

2° Par suite, les biens abandonnés à la femme, pour la remplir de ses droits, dans l'acte de liquidation, lui sont attribués, non pas à titre de copartageante de la communauté, sur laquelle elle avait perdu tous ses droits, mais à titre de dation en paiement, et doivent supporter les droits de mutation à titre onéreux, suivant la nature juridique de chacun des biens transmis (3) (C. civ., 1463, 1492; L. 22 frim. an 7, art. 69, § 5, n. 1, et 7, n. 1).

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(Enregistrement C. de Jouvencel).

JUGEMENT.

LE TRIBUNAL; Attendu que, suivant exploit du 21 août 1907, la dame Le Bourgeois, épouse judiciairement séparée de biens du sieur de Jouvencel, et dùment autorisée, a formé opposition à une contrainte délivrée par l'Administration de l'enregistrement, tendant au paiement de la somme de 7.719 fr. 80, pour supplément de droits relatifs à l'enregistrement de l'acte contenant liquidation de ses reprises, reçu Tollu, notaire, le 12 juill. 1905, comme conséquence de la renonciation présumée de ladite dame à la communauté, et a assigné l'Administration devant ce tribunal pour faire statuer sur le mérite de cette opposition; Attendu que, dans le premier mémoire, signifié le 4 mai 1908, l'Administration, modifiant ladite contrainte, à raison de la somme de 1.511 fr. 38, perque à tort pour remise de dettes par la femme au mari, lors de la première perception, conclut seulement au paiement de la somme de 6.213 fr. 42; Attendu que, suivant exploit du 9 juin 1908, les parties redevables, maintenant les conclusions contenues en l'opposition à contrainte, demandent qu'il leur soit donné acte de l'offre faite par l'Administration de l'enregistrement de restituer la somme de 1.511 fr. 38, perçue à tort, lors de la première formalité de l'enregistrement de l'acte de liquidation de reprises des époux de Jouvencel, pour remise de dettes consentie par la femme au profit du mari, comme il vient d'étre dit; Attendu que, dans un mémoire, signifié le 20 oct. 1908, lesdites parties persistent dans leurs premières conclusions, les modifiant toutefois en ce qui concerne les frais de constitution d'avoué, qu'elles déclarent prendre à leur charge;

Attendu que la réclamation d'un supplément de droits vis-à-vis de la dame de Jouvencel est basée sur la transmission à titre onéreux ou de dation en paiement à son profit des biens dépendant de la communauté, sur laquelle elle n'aurait con

mois et quarante jours après la séparation ou ou le divorce définitivement prononcés, accepté la communauté, est réputée y avoir renoncé, si elle n'a pas obtenu une prorogation de délai. V. à cet égard, Cars. 13 juill. 1899 (S. et P. 1900.1.165, et la note; Pand. per., 1901.1.28). Adde, Baudry-Lacantinerie, Le Courtois et Surville, Du contr. de mar., 3° éd., t. 2, n. 1057; Guillouard, Tr. du contr. de mar., t. 3, n. 1294; et notre Rép. gen. du dr. fr., v Communauté conjugale, n. 1743 et s.; Pand. Rep., v Mariage, n. 7669 et s. Par conséquent, le droit de mutation est dû sur les valeurs de communauté qui lui sont attribuées en paiement de ses reprises.

Il en est de même si, à la suite d'une séparation de biens, la femme n'a pas accepté la communauté dans ce délai. On reconnait, en effet, assez généralement (V. cep., Baudry-Lacantinerie, Le Courtois et Surville, op. cit., t. 2, n. 1058; Laurent, Princ. de dr. civ., t. 22, n. 407) qu'il y a lieu, par identité de motifs, d'étendre l'application de l'art. 1463 au cas de séparation de biens. V. en ce sens, Aubry et Rau, 4° éd., t. 5, p. 415, § 517, note 13; Duranton, t. 14, n. 450; Huc, Comment.

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servé aucun droit de propriété, par suite de la renonciation qu'elle devrait être présumée avoir taite; que, par les circonstances de l'affaire, la contestation soumise au tribunal par les parties se trouve limitée à ce dernier point; Attendu que la dame de Jouvencel ne peut être considérée comme ayant conservé, jusqu'au moment de l'attribution des biens à elle faite dans l'acte de liquidation précité, la qualité de propriétaire des biens de la communauté; qu'en effet, si la femme divorcée ou séparée de corps, qui n'a point, dans les trois mois et quarante jours après le divorce ou la séparation de corps définitivement prononcée, accepté la communauté, est censée avoir renoncé, il doit en être de même a fortiori de la femme séparée de biens, puisque, en ce dernier cas, l'acceptation doit, selon toute vraisemb ance, être un acte désavantageux pour elle; Attendu

que, si une acceptation tacite, manifestée pendant lesdits délais, suffit pour conserver à la femme ses droits de copropriété, aucune manifestation d'une pareille volonté ne peut être constatée; qu'en effet, la dame de Jouvencel, dans tous les actes signifiés en son nom, et dans lesquels elle a figuré, et qui sont relatifs à la séparation de biens et à la liquidation de ses reprises, parait bien avoir toujours eu le souci constant de se réserver la faculté de renoncer ou d'accepter la communauté, selon les circonstances; que les attestations et lettres produites, émanant des gens avec lesquels la dame de Jouvencel était en relations d'affaires, si elles semblent établir qu'elle a vendu à ceux-ci les blés et vins provenant de la propriété des Arpentes et de Launay, ne peuvent démontrer que la dame de Jouvencel ait fait, sur les biens dépendant de la communauté, des actes de disposition, qui devraient la faire considé

rer

comme acceptante; qu'en effet, la vente de blé et de vin, faite aux signataires de ces écrits, constitue des actes d'administration d'immeubles propres, dont la dame de Jouvencel avait effectué la reprise en nature; que si, dans les ré

du C. civ., t. 9, n. 301; Rodière et Pont, Tr. du contr. de mar., t. 2, n. 1041; Guillouard, op. cit., t. 3, n. 1295; L. et A. Mérignhac, Tr. du régime de communauté, t. 1, n. 1744 et s. Comp. Planiol, 7r. élém. de dr. civ., 5o éd., t. 3, n. 1232. V. au surplus sur la question, notre C. civ. annoté, par Fuzier-Herman et Darras, sur l'art. 1463, n. 20; et notre Rép. gén. du dr. fr., verb. cit., n. 1744 et s.; Pand. Rep., verb. cit., n. 1670. Le jugement ci-dessus recueilli se prononce en ce sens, et en déduit logiquement que le droit de mutation est dû.

Mais l'art. 1463 n'est applicable que si la femme n'a pas accepté, même tacitement. V. Cass. 21 juin 1831 (S. 1831.1.268. - P. chr.); 8 févr. 1843 (S. 1843.1.189. P. 1843.1.632); Grenoble, 30 mai 1893 (S. et P. 1895.2.126), et les notes sous ces arrêts; Cass. 18 juill. 1904 (S. et P. 1905.1.85). Adde, Laurent, op. cit., t. 22, n. 380; BaudryLacantinerie, Le Courtois et Surville, op. cit., t. 2, n. 1057; et notre C. civ. annoté, par Fuzier-Herman et Darras, loc. cit., n. 1 et s.

Le jugement ci-dessus recueilli admet que l'acceptation tacite ne résulte pas de ce que la femme

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coltes ainsi vendues, une partie revenait à la communauté, ladite dame n'en était pas moins propriétaire pour la totalité de ces choses fongibles, et libre d en disposer à son gré, sauf compte à rendre ou à faire, pour le prorata des fruits courus au jour de la demande en séparation de biens au profit du seul représentant de la communauté; qu'elle n'a fait, en aliénant les récoltes de ses immeubles propres, qu'user d'un droit complet de jouissance accordé à tout propriétaire, et non un acte de dispo sition sur une valeur de communauté certaine et individualisée; Attendu qu'en conséquence, la dame de Jouvencel ne peut, dans ces conditions, être considérée comme ayant reçu les biens à elle attribués, pour la remplir de ses droits, dans l'acte de liquidation dressé par Tollu, notaire, à titre de copartageante de la communauté, sur laquelle elle avait perdu tous ses droits; que les valeurs à elle abandonnées l'ont été à titre de dation en paiement, et doivent supporter les droits de mutation à titre onéreux relatifs à la nature juridique de chacun des biens transmis; Par ces motifs; - Donne acte aux parties redevables et à l'Administration de l'enregistrement de l'offre faite par celleci de restituer la somme de 1.511 fr. 38, pour droits indùment perçus: Déboute les époux de Jouvencel de leur opposition à contrainte, etc.

Du 24 janv. 1910. Trib. civ. de la Seine, 2 ch. MM. Sureau, prés.; Granjean, subst.

TRIB. DE LA SEINE 1er février 1910. TIMBRE, TITRES ÉTRANGERS, ACTE ÉTRANGER, ENONCIATION EN FRANCE, CERTIFICAT DE PROPRIÉTÉ, REQUISITION, JUGEMENT ÉTRANGER, MENTION, VALEURS DÉPRÉCIÉES, VALEUR NOMINALE (Rép., v Valeurs mobilières, n. 1134 et s.; Pand. Rép., eod. verb., n. 2208 et s.).

La simple énonciation, dans un acte, de

a vendu des récoltes d'immeubles à elle propres, récoltes dont une partie revenait à la cominunauté. Le motif qu'en donne le jugement est qu'il s'agit là de choses fongibles, dont la femme peut disposer à son gré, sauf à en rendre compte à la communauté. Ce motif est difficile à saisir : on ne voit pas, d'abord, pourquoi les récoltes, qui sont les fruits d'immeubles déterminés, sont qualifiées de choses fongibles; d'autre part, qu'elles soient ou non des choses fongibles, cela importe peu; des récoltes antérieures à la séparation de biens sont des meubles de communauté; la femme renonçante n'y a aucun droit; elle ne peut donc les aliéner,

Tout ce qu'on peut dire en faveur de la solution donnée par le jugement, c'est que la femme acceptante n'aurait, pas plus que la femme renonçante, le droit de faire cette aliénation, qui rentre dans les pouvoirs du mari, chef de la communauté, et que, par conséquent, l'aliénation par la femme n'implique pas son acceptation. L'acceptation tacite ne saurait résulter que d'un acte que pourrait faire la femme acceptante, et que ne pourrait pas faire la femme renonçante.

valeurs mobilières étrangères non timbrées, suffit pour donner lieu à la perception du droit de timbre sur ces valeurs (1) (LL. 30 mars 1872, art. 2; 28 déc. 1895, art. 5). Spécialement, lorsqu'à un acte contenant réquisition du certificat de propriété d'une inscription de rentes sur l'Etat français, dressé par un notaire en France, a été annexée une expédition d'un jugement rendu par un tribunal étranger, et qui, reconnaissant à une personne la qualité d'héritière d'une autre, vise, par référence à la requête introductive d'instance, aussi annexée audit acte de réquisition, des valeurs étrangères non timbrées dépendant de la succession, le droit de timbre doit être perçu sur ces valeurs étrangères (2) (Id.).

Il importe peu que certains de ces titres soient sans valeur, leur dépréciation ne pouvant avoir aucune influence sur l'exigibilité des droits, lesquels doivent être liquides sur le capital nominal, quelle qu'en soit la valeur réelle (3) (Id.).

(Enregistrement C. de Pinhel).

JUGEMENT.

LE TRIBUNAL; Attendu que, suivant exploit de Thomas, huissier à Paris, en date du 28 oct. 1908, les époux de Pinhel ont formé opposition à la contrainte à eux signifiée par l'Administration de l'enregistrement, tendant au paiement d'une somme de 10.550 fr. 60, montant des droits liquidés sur des valeurs étrangères énoncées dans un jugement rendu par le tribunal civil de Lisbonne, le 22 févr. 1907, dont une copie a été annexée à un acte de

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(1-2) Le fait d'« énoncer dans un acte ou écrit, soit public, soit sous seing privé », des valeurs mobilières étrangères non timbrées, assujettit ces titres au timbre (L. 30 mars 1872, art. 2, modifié par l'art. 5 de la loi du 28 déc. 1895). Le mot énoncer désigne une mention quelconque ; il n'est donc pas nécessaire qu'il y ait, comme dans le cas visé, pour les droits d'enregistrement, par l'art. 23 de la loi du 22 frim. an. 7, un véritable usage des titres, c'est-à-dire que l'acte passé en France tire des titres étrangers un effet quelconque. La loi, dit la Cour de cassation, a voulu atteindre le simple fait de l'énonciation des titres étrangers dans un acte, sans que la présomption d'usage qui est attachée à ce fait puisse être combattue par une preuve contraire. V. Cass. 31 mars 1886 (S. 1887.1.81. - - P. 1887.1.167, et la note; Pand. pér., 1886.1.79). Adde, Trib. de Poitiers, 27 nov. 1894 (Journ. de l'enreg., n. 24681; Rép. pér. de Garnier, n. 8600); Trib. de Bar-le-Duc, 23 mars 1899 (Journ. de l'enreg., n. 25705); Trib. de la Seine, 6 avril 1906 (Rép. pér. de Garnier, n. 11302); Wahl, Tr. du régime fiscal des soc. et des val. mob, t. 2, n. 3060.

Dans l'espèce, l'énonciation des titres étrangers n'était évidemment d'aucune utilité pour les parties, qui ne s'étaient adressées à un notaire que pour obtenir un certificat de propriété leur permettant de toucher ou de faire transférer un titre français; au certificat de propriété se trouvait

réquisition de certificat de propriété de rente française, dressé en l'étude de Leroy, notaire à Paris, le 22 juill. 1907, et, par le même acte, assigné l'Administration poursuivante, devant ce tribunal, à l'effet de faire statuer sur le mérite de ladite opposition; Attendu que les prétentions et moyens des parties ont été exposés dans des mémoires respectivement signifiés;

Attendu que l'Administration de l'enregistrement, dans un mémoire signifié le 6 juill. 1909 par Gauthier, élevant le chiffre de sa première demande, conclut au paiement de la somme totale de 12.682 fr. 40;

Attendu que le montant des droits est réclamé en vertu de la loi du 28 déc. 1895, qui dispose formellement que « nul ne peut énoncer dans un acte écrit, soit public, soit sous seings privés, autre qu'un inventaire, avant que les droits de timbre n'aient été préalablement acquittés », les valeurs mobilières de toute nature émises en pays étranger, et de la loi du 30 janv. 1907, fixant à 2 p. 100 du capital nominal la taxe à percevoir; qu'il est constant qu'à l'acte contenant réquisition par les époux de Pinhel du certificat de propriété de 20.109 fr. de rente 3 p. 100 sur l'Etat français, dressé par Leroy, notaire à Paris, a été annexée une expédition en langue portugaise, avec sa traduction en langue française, du jugement précité du tribunal de Lisbonne; que, dans ce jugement, qui reconnaissait à la dame de Pinhel la qualité d'héritière de la totalité de la succession de son père adoptif, Luiz de Campos Henriquez, ont été visées, par référence à

annexé un jugement étranger, qui constatait les droits des parties à la succession dont dépendait le titre. Le jugement se référait à la requête introductive d'instance, et c'est dans cette requête que les titres étrangers étaient énoncés.

On se demande pourquoi la requête avait été annexée; car il suffisait que les droits des parties & la succession fussent constatés par le jugement pour qu'elles fussent autorisées à obtenir le transfert de l'inscription de rente du titre français à leur nom; si même les titres étrangers avaient été mentionnés dans le jugement, l'annexe d'un extrait, régulièrement délivré, de ce jugement, et contenant le dispositif, qui constatait la qualité des héritiers, aurait été suffisante. On peut dire que les parties ont été victimes de leur ignorance des lois fiscales. Il est, en effet, reconnu en jurisprudence qu'à l'énonciation des titres étrangers dans un acte passé en France, il faut assimiler l'énonciation de ces titres dans un acte ou jugement étranger annexé à l'acte français. V. Cass. 29 juill. 1903 (S. et P. 1904.1.296). Et, si cette solution a été contestée (V. la note sous cet arrêt; adde, Wahl, op. cit., t. 2, n. 3062), elle n'en doit pas moins, au point de vue pratique, être considérée comme acquise en jurisprudence.

(3) Le droit de timbre de 2 p. 100, perçu au comptant sur les valeurs étrangères énoncées dans un acte passé en France, doit être calculé d'après la valeur nominale, et non pas d'après la valeur

la requête introductive d'instance, aussi annexée audit acte de réquisition, les valeurs étrangères non timbrées sur lesquelles les droits sont réclamés, et qui dépendaient de la succession du défunt; Attendu que la simple énonciation des titres suffit seule pour donner lieu à la perception du droit; que celle-ci résulte de la teneur des diverses pièces annexées à l'acte de réquisition dont s'agit, reçu par Leroy, notaire; Attendu que les parties redevables prétendent qu'une partie des titres énoncés dans le jugement du tribunal de Lisbonne n'ont aucune valeur, et qu'un certain nombre d'entre eux ont été régulièrement timbrés en France; — Mais attendu qu'à supposer que certains titres fussent actuellement sans valeur, ils n'en est pas moins vrai que la dépréciation de ces titres ne saurait avoir aucune influence sur l'exigibilité des droits réclamés; qu'aux termes des lois du 30 mars 1872 et du 28 déc. 1895, ces droits doivent être liquidés sur le capital nominal des titres, quelle qu'en soit la valeur réelle que, d'autre part, les époux de Pinhel n'apporaucune justification régulière du paiement des droits sur ceux des titres énoncés qui, d'après eux, auraient été timbrés en France; qu'il n'y a donc pas lieu de tenir compte de leurs allégations à cet égard; Par ces motifs, etc.

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effective des titres. L'art. 2, alin. 1er, de la loi du 30 mars 1872 (S. Lois annotées de 1872, p. 197. — P. Lois, décr., etc. de 1872, p. 336) le disait expressément. V. en ce sens, Cass. 10 juin 1874 (sol. implic.) (S. 1874.1.445.-P. 1874.1118). Adde, notre Rép. gen. du dr. fr., v° Valeurs mobilières, n. 1023 et s. L'art. 5 de la loi du 23 déc. 1895, qui modifie le texte précédent, porte que les titres doivent être timbrés au droit spécifié dans l'art. 3 de la présente loi (du 28 déc. 1895), lequel dispose : « Ce droit... sera perçu sur la valeur nominale de chaque titre V. Wahl, Tr. du régime fiscal des soc.

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et des val. mob., t. 2, n. 3079. La dépréciation des titres n'empêche donc pas que le droit ne doive être perçu sur la valeur nominale. V. Wahl, op. cit., t. 2, n. 3082.

Cependant, l'art. 8, alin. 4, de la loi du 30 janv. 1907 (S. et P. Lois annotées de 1907, p. 560; Pand. per., 1907.3.93), antérieure aux faits de l'espèce. a réduit de moitié le tarif, pour les fonds étrangers cotés à la Bourse, dont le cours, au moment où le droit devient exigible, sera tombé au-dessous de la moitié du pair, par suite d'une diminution de l'intérêt, imposée par l'Etat débiteur. Le jugement ci-dessus recueilli ne fait aucune allusion à cette disposition; il est vraisemblable que les titres, en fait, n'étaient pas des fonds d'Etat, ou que leur dépréciation ne résultait pas des circonstances prévues par le texte, ou enfin qu'ils n'étaient pas cotés à la Bourse.

FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE

TROISIÈME PARTIE

JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE

CONS. D'ÉTAT 11 mars 1910.

1 CONCESSION, ETAT (L'), VILLE, RÉTROCESSION, CAHIER DES CHARGES, INTERPRÉTATION, QUALITÉ POUR AGIR (Rép., vo Action en justice, n. 64 et s., 136 et s.; Pand. Rép., vis Action [en justice], n. 1 et s., Concession administrative, n. 33 et s.). - 20 TRAMWAYS, CONCESSION, Cahier des charges, NOMBRE DES TRAINS, PRÉFET, AUGMENTATION, AGGRAVATION DES CHARGES, INDEMNITÉ (Rép., vo Chemin de fer, n. 6874 et s.; Pand. Rép., v Tramways, n. 73 et s.).

1° Lorsqu'une concession (en l'espèce, une concession de tramways), accordée par l'Etat à une ville, a été rétrocédée par celleci à un tiers, l'Etat est recevable à inter

(1) Cette solution ne pouvait faire difficulté. L'autorité concédante, de qui émane la concession, a intérêt et par là même qualité pour faire respecter les clauses de la concession qu'elle a accordée; et le fait que la concession, d'abord accordée par l'Etat à une ville, a été rétrocédée par celle-ci à un tiers, s'il a pour effet de donner à la ville rétrocédante qualité pour défendre aux instances auxquelles peut donner lieu l'interprétation du contrat de concession, ne saurait enlever à l'Etat le droit d'intervenir dans ces instances pour assurer l'observation du contrat de concession.

(2 à 4) Il y a une crise du contrat de concession. Les concessionnaires des grands services publics n'ont plus cette situation tranquille qu'ils occupaient il y a quelques années.

D'une part, le contrat de concession n'a plus la rigidité qu'on lui attribuait dans les premiers temps; on ne croit plus qu'il règle par ses stipulations expresses toute la situation contractuelle; le juge administratif se permet de grandes libertés d'interprétation son endroit. C'est, par exemple, dans les marchés d'éclairage au gaz, lorsque la question du meilleur éclairage n'a pas été prévue, la supposition d'une clause permettant de mettre le concessionnaire de l'éclairage au gaz en demeure d'arriver à substituer lui-même l'éclairage électrique à l'éclairage au gaz dans des conditions données, sous peine de perdre son privilège exclusif. V. Cons. d'Etat, 10 janv. 1902, Comp. nouvelle du gaz de Deville-lès-Rouen (S. et P. 1902.3.17), et la note de M. Hauriou; 13 mars 1903, Ville de Caudry (Rec. des arrêts du Cons. d'Etat, p. 206); 20 nov. 1903, Ville de Bagnères-de-Bigorre, etc. (Id., p. 693); 22 juin 1906, Ville de l'arascon (S. et P. 1908.3.147; Pand. pér., 1908.3.147), et les renvois. C'est aussi, dans les contrats de concession les plus divers, la substitution par le juge de la sanction des dommages-intérêts, non prévue aux contrats, aux sancANNÉE 1911. 1er cah.

venir sur l'instance en interprétation du cahier des charges de la concession, introduite par le tiers auquel a été rétrocédée la concession, à l'effet de défendre à cette instance (1) (L. 28 pluv. an 8).

2 La disposition de l'art. 33 du règlement d'administration publique du 6 août 1881, concernant l'établissement et l'exploitation des voies ferrées sur les voies publiques, en donnant au préfet le droit de déterminer, sur la proposition du conces sionnaire, le tableau du service des trains, lui a par là même conféré le pouvoir, non seulement d'approuver les horaires des trains, au point de vue de la sécurité et de la commodité de la circulation, mais encore de prescrire les modifications et les addi

tions prévues, telles que la déchéance, qui, à l'usage, se montrent excessives ou d'un maniement mal commode. V. Cons. d'Etat, 31 mai 1907, Deplanque (S. et P. 1907.3.113). V. aussi les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Romieu dans cette affaire (Rec. des arrêts du Cons. d'Etat, p. 514).

D'autre part, on ne croit plus que la situation résultant d'une concession de service public soit entièrement contractuelle. On acquiert de plus en plus la conviction qu'il convient de distinguer deux éléments : les conditions financières de l'opération, qui sont à proprement parler l'objet du contrat; les conditions de l'exploitation du service concédé, qui échappent au contrat, dans la mesure où les nécessités du service public sont supérieures à des conventions particulières, et qui, dans cette même mesure, relèvent du pouvoir réglementaire.

M. le commissaire du gouvernement Blum, dans ses conclusions sur notre affaire, a parfaitement traduit cette double nature de la concession, qui est, en un sens, un agencement financier à forme certaine, en un autre sens, le mode de gestion d'un service public à besoins variables ». Et il remarque que la jurisprudence récente du Conseil d'Etat tend à l'organisation d'un double contentieux : « le contentieux de la réglementation, ou plutôt de la légalité de la réglementation, dont la forme normale est le recours pour excès de pouvoir; et le contentieux du contrat, lequel comprend nécessairement l'examen des répercussions que la réglementation peut exercer sur l'économie du contrat ».

C'est-à-dire que le Conseil d'État, tout en reconnaissant que telle ou telle mesure de réglementation, relative à l'exploitation du service, est légale, et en rejetant, par conséquent, le recours pour excès de pouvoir, réserve aux intéressés le droit de saisir le juge du contrat de demandes en

tions nécessaires pour assurer, dans l'intérêt du public, la marche normale du service (2) (LL. 11 juin 1880, art. 38; Décr., 6 août 1881, art. 33).

En conséquence, le préfet agit dans la limite de ses pouvoirs, en prenant un arrêté, par lequel il prescrit à une Comp. concessionnaire de tramways de mettre en marche chaque jour un nombre de convois supérieur à celui prévu par le cahier des charges (3) (Id.).

Il appartient seulement à la Comp. de demander, si elle s'y croit fondée, une indemnité, en réparation du préjudice qu'elle établirait lui avoir été causé par l'aggravation apportée par l'arrêté du préfet aux charges de l'exploitation (4) (Id.).

dommages-intérêts, s'ils estiment que les mesures réglementaires prises ont faussé à leur détriment l'équilibre financier du contrat. V. Cons. d'Etat, 4 août 1905, Chem. de fer de Bône-Guelma (S. et P. 1907.3.103), et le renvoi.

Le point de vue de la réglementation, qui s'impose au concessionnaire en dehors des stipulations de son contrat ou malgré ces stipulations, et sauf indemnité, avait déjà attiré l'attention sous le nom de fait du prince. V. Cons. d'Etat, 8 mars 1901, Prévet (S. et P. 1902.3.73), et la note de M. Hauriou; 23 janv. 1903, Comp. des chem. de fer économ, du Nord (S. et P. 1904.3.49, et la note de M. Hauriou; Pand. pér. 1905.4.77); 13 janv. 1905, Fichet (Rec. des arrêts du Cons. d'Etat, p. 27); 5 juill. 1907, Humblot (S. et P. 1909.3 140; Pand. pér., 1909.3.140); adde, H. Ripert, Les rapports de la police et de la gestion (Rev. du dr. publ., 1905, p. 5); G. Teissier, La responsabilité de la Puissance publique, n. 163 et s. Mais, d'une part, le fait du prince n'est pas uniquement relatif au cas de la concession du service public ni à l'institution du service concédé; il s'étend à toutes sortes de modifications apportées aux éléments d'un contrat administratif par la réglementation de la Puissance publique, par exemple, aux répercussions que peut avoir, sur l'exécution d'un marché de fournitures, l'établissement d'un droit de douane; d'autre part, dans notre hypothèse spéciale de la concession de travaux publics, le libre jeu laissé à la réglementation a chance de se justifier d'une façon plus satisfaisante, si, au lieu de l'envisager comme un fait du prince quelconque, par rapport à la police générale de l'Administration, ou par rapport à la souveraineté on l'envisage par rapport à la nature spéciale de l'opération de concession. En d'autres termes, la catégorie du fait du prince est peut-être bien une de ces catégories juridiques provisoires, dans lesquelles on range tout d'abord des cas qui surIII PART. - 1

(Min. des travaux publics C. Comp. gén. française des Tramways).

M. Blum, commissaire du gouvernement, a présenté dans cette affaire des conclu

prennent, parce qu'ils font exception des idées reçues; puis, plus tard, on s'aperçoit que ces cas sont disparates, et qu'il vaudrait peut-être mieux les étudier chacun dans leur particulier, voir en quoi ils font exception aux idées reçues, examiner les idées reçues elles-mêmes, les soumettre à une nouvelle critique, sauf à les modifier et à faire ainsi une place au cas exceptionnel par une meilleure adaptation de la règle.

Ainsi, dans notre hypothèse, il y a avantage à rapporter l'évolution de la jurisprudence à une nouvelle conception de l'opération de concession de travaux publics, qui devient de plus en plus une concession de service public, dans laquelle la préoccupation de l'amélioration constante du service devient dominante, et où la réglementation du service se fait une place prépondérante à côté du contrat, plutôt que de la rapporter à la notion amorphe et sans intérêt pratique du fait du prince, qui vise, non pas la réglementation d'un service déterminé, mais la réglementation en général.

Cela dit, voyons ce qu'apporte de nouveau notre arrêt, quelle est sa contribution à la nouvelle conception de l'opération de concession. En réalité, la contribution est importante, et résulte d'un revirement de jurisprudence.

Il s'agit d'une concession de tramways, et de la question de savoir si le préfet a ou non le droit de prescrire une augmentation du nombre des trains ou du nombre des voyages, par rapport au minimum prévu dans le contrat de concession. Le cahier des charges-type des concessions de tramways contient, dans son art. 14, une clause fixant un nombre minimum de voyages. D'un autre côté, l'art. 33 du règlement d'administration publique du 6 août 1881 (S. Lois annotées de 1881, p. 162.-P. Lois, décr., etc. de 1881, p. 270), qui était applicable dans l'espèce, et dont les dispositions sont d'ailleurs textuellement reproduites sur ce point par l'art. 43 du décret du 16 juill. 1907 (S. et P. Lois annotées de 1908, p. 786; Pand. pér., Lois annotées de 1908, p. 786), qui l'a abrogė, confère au préfet le droit de déterminer, sur la proposition du concessionnaire, le tableau du service des trains. Il s'agit de savoir si cette disposition du règlement d'administration publique doit être conciliée avec l'art. 14 du cahier des charges, si, par suite, le minimum contractuel du nombre des voyages, devenu, en réalité, un maximum contractuel, ne peut être modifié que d'un commun accord; ou bien si, au contraire, l'art. 33 du règlement du 6 août 1881 doit être interprété en ce sens que le préfet aurait le droit d'augmenter le nombre des voyages par mesure de police, sans tenir compte du minimum contractuel, et sauf indemnité à régler ultérieurement.

La première solution avait été admise par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 23 janv. 1903, Comp. des chem. de fer économiques du Nord (S. et P. 1904.3.49; Pand. pér., 1905.4.77), rendu sur des conclusions très motivées de M. le commissaire du gouvernement G. Teissier. V. ces conclusions au Recueil des arrêts du Cons. d'Etat, p. 62 et s. La seconde solution est admise dans notre arrêt du 11 mars 1910.

Le revirement de jurisprudence était à prévoir pour un certain nombre de raisons extrinsèques. D'abord, parce que, pour les chemins de fer d'intérêt général et pour les chemins de fer d'intérêt

sions dont nous extrayons ce qui suit :

L'arrêté du conseil de préfecture des Bouchesdu-Rhône qui vous est déféré par le ministre des travaux publics a annulé un arrêté, en date du

local, le droit du ministre et des préfets de prescrire une augmentation du nombre des trains était généralement reconnu, et que l'on devait tendre à l'unification des règles dans cette matière des transports; pour les chemins de fer d'intérêt général, on s'appuyait sur l'art. 43, § 2, de l'ordonnance du 15 nov. 1846 (S. Lois annotées de 1846, p. 106. P. Lois, décr., etc. de 1846, p. 374), complété plus tard par l'art. 43, § 2 du décret du 1er mars 1901 (S. et P. Lois annotées de 1901, p. 33 et 201; Pand. pér., 1901.3.60 et 1902.3.145),

b

et ainsi conçu dans sa nouvelle rédaction : « A toute époque, le ministre des travaux publics pourra prescrire d'apporter aux horaires des trains les modifications ou additions qu'il jugera nécessaires pour la sûreté de la circulation et les besoins du public (Cf. Picard, Tr. des chemins de fer, t. 3, p. 360; Colson, Transports et tarifs, 2o éd., p. 361, et Legislation des chemins de fer, p. 150); pour les chemins de fer d'intérêt local, parce que l'ordonnance de 1846 leur était applicable, et que le décret du 1 mars 1901, aux termes mêmes de son art. 77, leur a été étendu.

D'autre part, sur la question des tramways, la haute Administration et le Conseil d'Etat lui-même étaient, depuis plusieurs années, divisés. Dans l'affaire du 23 janv. 1903, le ministère de l'intérieur s'était montré hostile à la réglementation du nombre des voyages par le préfet. Au contraire, le ministère des travaux publics s'y était montré favorable, et, si la section et l'assemblée du contentieux avaient condamné, à cette époque, les prés tentions du préfet, la section des travaux publics, dans un avis du 21 mai 1901, rapporté dans les conclusions précitées de M. G. Teissier (Rec. des arrêts du Cons. d'Etat, 1903, p. 66), affirmait textuellement que le préfet tient de l'art. 33 du règlement du 6 août 1881 le pouvoir de déterminer le service des trains, en en fixant le nombre d'après les nécessités d'une bonne exploitation. Ainsi, dans la présente affaire, le Conseil d'Etat au contentieux n'a fait que se ranger à l'avis du ministère des travaux publics et de sa propre section des travaux publics.

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Mais, si ces raisons extrinsèques ont eu leur part d'action sur le revirement de la jurisprudence, il ne faut pas non plus nier la part qui revient à la transformation profonde et intense que subit, depuis quelques années, l'opération de concession, et à ce que nous avons appelé la crise du contrat de concession.

Il n'est pas douteux que nous n'envisageons plus ce contrat comme on l'envisageait vers 1840. A cette époque déjà lointaine, aux débuts des entreprises de chemins de fer, d'omnibus et tramways, d'éclairage au gaz, les concessionnaires étaient considérés comme rendant aux administrations publiques un signalé service, en consentant à assumer les aléas d'entreprises que les adminis trations n'auraient jamais assumés elles-mêmes. Le caractère forfaitaire du contrat apparaissait avec beaucoup de force, on était plus frappé des risques courus par le concessionnaire et de la nécessité de ne pas diminuer ses chances de gain que de l'intérêt même du service public; d'une part, ce service était si nouveau que l'on n'en percevait pas encore les exigences au point de vue de la bonne exploitation; d'autre part, il semblait que le service n'existât que par la grâce du con

23 juin 1903, par lequel le préfet des Bouches-duRhône avait réglé, pour la saison d'été, le service des voitures des tramways de Marseille, lesquels sont concédés à la Comp. générale française des Tramways. Le motif de l'annulation était tiré de

cessionnaire, et que, dans l'intérêt même du service, on ne pût trop ménager celui-ci. Le temps écoulé a singulièrement modifié les perspectives; les binéfices réalisés par certains concessionnaires, le sans-gêne avec lequel certains d'entre eux ont traité le public, la résistance qu'ils ont opposée aux demandes d'amélioration les plus raisonnables, le fait que les administrations publiques se sentiraient maintenant la force de prendre en régie, ou tout au moins en régie intéressée, les entreprises concédées, toutes ces circonstances ont rendu beaucoup moins bonne la situation des concessionnaires. La préoccupation d'améliorer le service et de pouvoir l'améliorer constamment a grandi, tandis que celle de ménager la situation du concessionnaire a diminué. On est entré dans cet état d'esprit que nous traduirons en disant que le public n'a pas à souffrir de ce qu'un service public est concédé au lieu d'être exploité en régie; on cherche à rendre l'exploitation du service aussi souple, aussi adaptée aux besoins variables du public que s'il n'y avait pas de contrat.

Et alors tend à se former cette nouvelle conception du contrat de concession que nous voyons s'affirmer dans notre arrêt et dans les conclusions du commissaire du gouvernement le contrat de concession n'est plus l'instrument régulateur de l'exploitation du service concédé ; il n'est plus que l'instrument compensateur des pertes que le concessionnaire pourrait subir du fait que la réglementation du service est passée aux mains de l'Administration. La concession avait été faite sur la base d'un certain forfait d'exploitation que le contrat avait déterminée; ce forfait ne sera pas maintenu, mais il servira de point de comparaison pour l'appréciation des indemnités, car les aggravations apportées aux charges de l'exploitation donneront lieu à indemnité.

Il n'y a point lieu de se scandaliser d'une pareille jurisprudence, ni même de s'en inquiéter; il ne faut point crier au contrat leonin, ni se lamenter sur la disparition de la bonne foi dans les contrats. La perspective des indemnités à payer empêchera les administrations publiques d'abuser du droit qui leur est reconnu d'aggraver les charges du service concédé; elles n'useront de ce droit que si les besoins du public sont pressants.

D'ailleurs, il ne faut pas oublier qu'il y avait dans notre hypothèse un texte, et qu'il s'agissait de l'interpréter; l'art. 33 du règlement d'administration publique du 6 août 1881 confère au préfet le droit de déterminer le tableau du service des trains: ce n'est pas être très révolutionnaire que d'avoir interprété ces expressions comme impliquant pour l'Administration le droit, non seulement d'approuver les horaires des trains au point de vue de la sécurité et de la commodité de la circulation, mais encore de prescrire les modifications et les additions nécessaires pour assurer, dans l'intérêt du public, la marche normale du service.

Assurément, c'est de l'interprétation objective; c'est une interprétation qui se préoccupe de l'intérêt actuel du service plus que de la volonté présumée des contractants à l'époque du contrat; mais cette interprétation objective ne fait de tort à personne, elle fait l'affaire du public, et elle ne canse pas de préjudice au concessionnaire, puisqu'il sera indemnisé.

MAURICE HAURIOU.

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