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trouver la preuve dans les dix-huit ministères qui s'étaient succédés depuis dix ans, sans changer de système, pour venir aboutir au Cabinet du 12 mai, improvisé par l'émeute en dehors des principes constitutionnels. L'orateur regardait le ministère du 15 avril comme beaucoup plus coupable envers le roi et la France que le ministère Polignac ne l'avait été envers Charles X, en ce que le poavoir actuel avait pour lui l'expérience du passé et l'art. 14 de la Charte outragée de moins. Après avoir flétri la corruption du gouvernement et l'avoir comparée à celle de 1828 et 1829, l'honorable député disait qu'il ne pouvait y avoir mésintelligence entre les trois grands pouvoirs de l'état que lorsque les grands intérêts nationaux étaient blessés et compromis. Il n'accorderait son concours à l'administration du 12 mai, que si elle venait sincèrement déclarer à la tribune son intention de suivre une politique nationale; M. Gauguier voterait alors volontiers les 1,200,000 fr. de fonds secrets supplémentaires, sacrifice nécessaire après huit années de désordres et d'anarchie.

Ce discours, où le pouvoir royal et le gouvernement de juillet étaient vivement attaqués, fut suivi de quelques observations de M. Marion, toutes favorables au ministère dans la question débattue; seulement, il aurait désiré que l'emploi des fonds secrets ne fût pas abandonné au libre arbitre du ministre de l'intérieur, mais discuté au Conseil. C'eut été une immense garantie, ajoutait l'orateur, car là où délibérent neuf ministres tous pleins d'honneur et de loyauté, il est impossible de prévoir un emploi détourné de sa véritable destination; enfin, la presse sabventionnée, cette calamité publique n'allait plus exister; le nouveau Cabinet l'avait promis.

M. Corne, moins hostile que M. Gauguier, fit néanmoins entendre au pouvoir des paroles énergiques, tout en le

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félicitant comme M. Marion, pour avoir déclaré qu'il n'y aurait plus désormais de presse stipendiée.

Eh bien! s'écriait-il, voilà qu'il y a un progrès dans l'opinion du pays; qu'il y a eu une bataille électorale dans laquelle des principes plus libéraux ont prévalu, et voilà que cette grande nécessité proclamée tombe, et n'est plus, il faut le dire, qu'une immoralité sans excuse et sans utilité, et reconnue pour telle par les membres du Cabinet actuel..

Mais, après ces justes éloges venaient les restrictions et le blâme. M. le comte Molé ne siégeait plus au banc des ministres, il est vrai ; M. le maréchal Soult l'avait remplacé. Qu'importe ? la signification n'avait pas changé. Déjà dans la pensée de l'orateur, on avait une grande faute à reprocher à ce ministère formé d'ailleurs d'éléments hétérogènes; c'était de n'avoir pas jugé d'assez haut les graves événements du 12 mai qui venaient d'alarmer la France, événements politiques sans doute, mais sociaux avant tout', que les hautes classes ne pouvaient pas voir avec indifférence.

M. Passy, ministre des finances, rassurant l'honorable préopinant sur la prétendue discordance qu'il avait signalée entre les membres du Cabinet, opposait à ce reproche le fractionnement de la Chambre elle-même. Quoi qu'il en fût, il croyait avoir rempli un devoir en répondant à l'appel du roi pour régler l'avenir, et à cet égard ses collègues et lui s'étaient entendus sur tous les points. Déjà on pouvait voir se dessiner l'attitude du ministère. Dans l'intérêt de la morale publique, il avait renoncé à subventionner la presse; et s'il lui arrivait de commettre des erreurs ou des fautes, il en prenait toute la responsabilité. Au surplus, il appartenait à la Chambre de lui accorder ou de lui refuser son concours

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Ainsi la discussion se traduisait en explications animées sur la composition et la politique du Cabinet. Elle fut ramenée à la question des fonds secrets par M. Durand (de Romorantin). L'honorable député condamnait généralement toutes les dépenses occultes dont il avouait néan

moins la nécessité dans certaines limites. Sur quoi motivait-on la demande des 1,200,000 fr. ? sur l'émeute du 12 mai. Eh bien, dans cette journée, la conduite de la police avait été sans prévoyance et sans énergie. L'orateur retenait son vote en attendant les éclaircissements que le ministère donnerait à ce sujet.

M. Duchâtel, ministre de l'intérieur, répondit que les 1,200,000 fr. présentaient une réduction de 500,000 fr. sur l'année précédente, les dépenses des premiers mois ayant dépassé la moyenne qui résultait du crédit porté au budget. Quant aux reproches dirigés contre le préfet de police, la promptitude de l'attaque des factieux démontrait leur illégitimité. Ces répliques étaient suivies d'une sorte de profession de foi du ministère. Nous avons pensé, disait l'orateur, qu'avant tout il fallait donner au pays un gouvernement qui pût défendre ses intérêts; faire convenablement ses affaires dans la politique extérieure; soutenir la paix avec honneur et dignité dans la politique intérieure; appliquer un système de fusion, de conciliation des opinions; tâcher de supprimer des dissidences apparentes pour confondre toutes les opinions, au fond semblables, dans une véritable et forte majorité.

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Les explications données par le ministre sur les dépenses des fonds secrets pendant le premier trimestre de l'année, appelèrent M. de Salvandy à la tribune. Les avances assez considérables faites par le 15 avril, s'expliquaient en ce que le premier et le dernier trimestres de chaque exercice étaient toujours plus chargés que tous les autres. M. Duchâtel ne devait pas l'ignorer.

M. le ministre de l'intérieur répliqua négativement, et, pour preuve du contraire, cita les dépenses du mois de mai, qu'il venait d'ordonnancer.

M. Dufaure, ministre des travaux publics, donna encore quelques explications sur le choix qui avait été

fait de M. le maréchal Soult comme président du Conseil. Au milieu des graves circonstances où le pays se trouvait, l'on ne pouvait présenter rien de mieux à l'Europe que la vieille gloire de l'empire. En outre, le ministre, en réponse aux accusations qui pesaient sur la police, attribuait les événements au hasard, et non à l'incurie de M. Gabriel Delessert.

Tout autre était l'avis de M. Mauguin, qui exprimait énergiquement ses doutes sur la capacité du préfet de police. Les factieux avaient pillé des boutiques d'armuriers, avaient attaqué des postes sans être prévenus ou arrêtés par l'autorité. Pourquoi un gouvernement est-il organisé, sinon pour arrêter les discordes civiles et prévenir les assassinats? A quoi bon la police, si elle n'a plus l'avantage de préserver, avantage qui fait seul que nous la conservons, qui seul la rend utile à la société ? Non, le ministère ne pouvait conserver le préfet de police sans se compromettre et sans compromettre le pays.

M. Teste, garde-des-sceaux, prit la défense de M. Delessert. Suivant lui, la sédition s'était enveloppé de tels mystères, avait éclaté avec une telle promptitude qu'il était impossible de la prévoir. On ne devait pas ainsi accuser sans preuve les hommes qui se dévouaient au maintien de nos institutions.

La discussion étant close, la Chambre procéda au vote sur l'ensemble de la loi, qui fut adoptée par 262 suffrages

contre 71.

Chambre des pairs.· - Le projet fut porté, au Luxembourg, le 14 juin.

M. le marquis de Brézé saisit cette circonstance pour examiner la composition du nouveau Cabinet. Serait-il le continuateur du funeste système du 15 avril comme on pouvait déjà le présager? Où étaient ces hommes si ardents à flétrir la politique suivie à l'extérieur quand ils siégeaient

sur les bancs de l'opposition? N'avaient-ils pas évité de se prononcer sur l'affaire belge, bien qu'elle ne fût pas encore consonimée? La politique suivie depuis neuf ans, nous laisse partout sans influence et sans crédit. Au moment où la Turquie était épuisée et affaiblie, la France ne devait-elle pas, par une sollicitude prévoyante, multiplier ses relations avec Méhémet-Ali, comme l'avait fait la restauration? D'autre part, il y avait deux dangers pour le gouvernement dans le principe d'omnipotence parlementaire, et dans le principe d'insurrection qu'on avait eu l'imprudence de glorifier chaque année; et le ministère tel qu'il était constitué, malgré les bonnes intentions de ceux qui le composaient, pourrait-il surmonter les obstacles qu'il rencontrerait? Le seul remède à ce mal serait le changement fondamental du système actuel d'élection qui avait établi l'aristocratie de la médiocrité.

M. le président du Conseil attribua à des préoccupations particulières ces vives récriminations dont, disait-il, il n'y avait pas lieu de s'effrayer. Il ne partageait pas l'attachement de l'honorable préopinant pour la réforme électorale, cette panacée universelle. En outre, la situation des affaires extérieures était satisfaisante. Quant à la question parlementaire, le ministre ne s'en inquiétait nullement, et il attendait que la Chambre se prononcât pour ou contre le système qu'il avait l'intention de suivre et qui était national, ferme et sincère

M. le comte Villiers du Terrage, après quelques considérations statistiques, propres à diminuer dans l'avenir le danger de l'émeute qui menaçait sans cesse l'ordre social, proposait des moyens nouveaux, tels que des barricades mobiles et d'autres expédients, pour que la force-armée pût démasquer, sans des pertes trop grandes, les lâches assassins qui attaquaient dans l'ombre les citoyens et les soldats. Ainsi, l'on parviendrait à modérer ou à prévenir l'effusion du sang.

Ann. hist. pour 1839.

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