de vue diplomatique, M. le marquis de Lagrange, loin d'accuser le Cabinet d'avoir blessé la Suisse, reprochait à celle-ci d'avoir offensé la France, et d'avoir abusé du droit d'asyle pour tramer contre nous de perfides machinations. La Suisse est, dit-on, une barrière; mais les Russes, en 1789, les Autrichiens, en 1813 et 1814, la franchirent sans obstacle, cette prétendue barrière, pour envahir ensuite les frontières de la France. Dans la négociation entamée au sujet de Louis Napoléon, peut-être avait-on commencé mal à propos et fini trop vite, mais dans tous les cas l'honorable membre ne voulait pas qu'un seul mot d'improbation inséré dans l'Adresse, vint sanctionner la conduite de la Suisse envers nous; car elle avait été déloyale. Il votait donc la suppression du paragraphe. Ce n'était pas la demande d'expulsion de Louis Napoléon, mais la forme de cette demande, que désapprouvait M. Hippolyte Passy, et qui, suivant lui, avait amené toutes les difficultés de la situation. Quant à la constitution helvétique, l'orateur s'étonnait de l'attaque dont elle avait été l'objet. Dans cet état fédératif, chaque canton avait sa souveraineté les diètes n'étaient pas des assemblées législatives, mais des conseils diplomatiques, déléguant un plénipotentiaire par chaque canton, obligé de demander à ses commettants des instructions nouvelles à chaque incident; de plus, il n'y avait pas de citoyens suisses, mais des citoyens de Berne, de Genève, etc. Or, que fallait-il faire vis-à-vis d'une telle nation? Il fallait demander d'abord à la Suisse ce qu'était Louis Napoléon. Cette question, adressée à la diète, eat été renvoyée au canton de Thurgovie, et, selon la réponse de ce canton, la France aurait exigé ouvertement ou l'expulsion, ou des garanties, que la loyauté suisse ne pouvait nous refuser; enfin, on n'avait pas eu dans cette mesure l'assentiment de l'Angleterre, notre alliée. En Suisse, on avait encouragé le parti hostile à la France, et abattu, par une démarche imprudente, le parti français. Dans cet état de choses, M. Passy désirait, de la part de la Chambre, quelques paroles de sympathie, afin de ranimer, dans la république helvétique, les sentiments de bienveillance qu'il n'y croyait pas éteints; telle était aussi la pensée de la commission. M. Baude, dont l'opinion n'était pas celle du préopinant, déclarait hautement que voter pour le paragraphe, c'était dire que les torts étaient du côté du gouvernement français; que, jamais en face de l'étranger, dans aucun état représentatif, un blâme n'avait été dirigé contre le gouvernement national; que les départements de l'Est, du moment où l'honneur du drapeau avait été engagé, avaient manifesté des sentiments patriotiques qu'il souhaitait de voir dans la Chambre. M. Dufaure soutint le contraire; on avait incontestablement le droit d'apprécier et de juger les actes du pouvoir à l'intérieur et à l'extérieur; surtout, d'exprimer ce vœu si modéré, contenu dans la phrase du projet d'Adresse: qu'à l'avenir les liens d'amitié et d'alliance qui existaient entre les deux pays ne fussent pas rompus. L'honorable membre était convaincu qu'aucune intrigue n'avait été ourdie dans le château d'Arenemberg, depuis le retour de Louis Napoléon. D'ailleurs, le gouvernement n'avait-il pas eu tort de grandir outre mesure ce jeune prince, et de lui donner ainsi toute l'importance d'un prétendant? N'était-il pas aussi à déplorer que nous eussions, par nos démonstrations hostiles, par la réunion de nos troupes sur les frontières suisses, provoqué les cantons à prendre à leur tour les armes, les armes contre la France?... Le gouvernement helvétique n'était pas, comme on l'avait dit, l'anarchie organiAnn. hist. pour 1839. 5 sée. En 1830 le peuple s'était affranchi des liens de cette aristocratie qui avait ouvert, en 1814, toutes les vallées de la Suisse à nos ennemis; il nous importait donc de soutenir les institutions démocratiques d'un pays avec lequel nous faisions un commerce de 200 millions chaque année. Du reste, l'orateur n'aurait point demandé que l'Adresse tendit une main amie aux cantons, si notre incontestable supériorité ne devait lever tous nos scrupules à cet égard. M. le président du Conseil, en réponse aux arguments et aux accusations des précédents orateurs, affirma que le ministère n'avait pas regardé Louis Bonaparte comme un prétendant, mais comme un homme coupable d'une tentative à main armée, qui avait pour but de renverser le gouvernement du pays. On avait usé de clémence ; le prince avait pu gagner l'Amérique et revenir en Suisse pour assister une mère à ses derniers instants, et cependant il n'avait pas craint de renouveler, à Arenemberg, ses intrigues. Dans ces circonstances, la France avait demandé l'expulsion, et toutefois, dans les termes, les plus modérés. Quant au droit de bourgeoisie, il y avait dans la constitution du canton de Thurgovie, de l'aveu même du vorort, une clause formelle qui ne permettait pas que la nationalité fût conférée sans qu'il y eût une renonciation absolue à la nationalité antérieure, à celle que l'on tenait de sa naissance. Le vorort convenait encore que cette formalité n'avait pas été remplie par Louis, Bonaparte. Nous savions donc formellement, continuait le ministre, que du moment où nous demandions que Louis Bonaparte fût renvoyé du pays, il ne pourrait alléguer sa nationalité suisse, pour se préserver d'une expulsion. M. Molé faisait remonter la cause de l'irritation de la Suisse, à l'administration du 22 février et aux mesures de rigueur prises contre les réfugiés étrangers. Pour sa part, il avait cherché à calmer ces souvenirs irritants, et avait procédé avec la plus grande modération. En mettant fin aux intrigues d'Arenemberg, on n'avait pas entendu blesser la Suisse dans sa dignité, et si l'on avait cru devoir, dans le discours de la couronne, ne point parler de ce peuple ami, c'était pour ne pas réveiller les susceptibilités nationales; or, le paragraphe de la commission était de nature à affaiblir les relations amicales de deux pays; aussi M. Molé en demandait-il la suppression. M. Odillon-Barrot se posa de nouveau en défenseur des idées développées dans l'Adresse. Cette expression de sympathie allait, disait-il, resserrer les liens d'amitié entre les deux peuples, et corriger les fautes de la diplomatie; mais c'était, à son avis, une vaine tactique, une vaine justification, que de s'attaquer à telle ou telle administration précédente, et de se retrancher derrière les proclamations hostiles dirigées contre la Suisse par d'autres Cabinets. Les hommes du 15 avril avaient eu tort de ressusciter à l'égard de cette nation, amie de la révo lution de juillet, les notes impérieuses de la saintealliance, et puisqu'ils venaient d'avouer qu'ils n'avaient jamais pris au sérieux le danger de la présence de LouisBonaparte, comment s'étaient-ils décidés à une mesure qui pouvait amener la guerre, et la guerre européenne, si le prince Louis ne s'était, pour ainsi dire, constitué l'arbitre de la paix et de la guerre, en se retirant volontairement ? Cette éloquente protestation en faveur du projet d'Adresse, trouva un habile contradicteur dans la personne de M. d'Angeville jamais, suivant lui, le gouvernement franne s'était mieux conduit que dans l'affaire suisse; et, en preuve de cette allégation, il invoquait le témoignage même du président du grand Conseil de Berne, par le quel il était démontré que le prince Louis Bonaparte entretenait, à Arenemberg, une cour de prétendant, et semblait n'avoir pas perdu toute espérance de réussir dans une nouvelle tentative. Le Cabinet avait donc bien fait de ne point pousser les choses à bout, une fois le prince éloigné, et de n'avoir pas exigé de la Suisse qu'elle se prononçât sur la nationalité de Louis Napoléon; car la Diète ne pouvait le faire sans déchirer sa constitution. Cette opinion, franchement exprimée , provoqua d'assez longues explications de la part de M. Guizot : dans sa conviction, le paragraphe de la commission était moins un blâme de la conduite du Cabinet, qu'un moyen proposé de fermer une plaie et de réparer un mal. L'expulsion de Louis Napoléon avait été nécessaire ; mais le but pouvait être atteint par des mesures qui n'au raient point compromis la sûreté du pays et ses bons rapports avec une puissance voisine. La question de bannissement était facile sous un gouvernement absolu, en Sardaigne, par exemple; mais en Angleterre et en Suisse, ce cas présentait de très graves difficultés dont il aurait fallu tenir compte. La conduite du ministère en cette occasion ne témoignait certes pas de son respect envers les petits états, et l'usurpation du droit de la France sur la législation helvétique avait tout le caractère d'une grave imprudence. Le paragraphe n'était donc pas inutile, car si la commission y blâmait la marche imprimée à cette affaire, elle n'y introduisait du moins que des paroles propres à prévenir les conséquences du mal déjà consommé. Les scrupules de l'honorable préopinant n'étaient point partagés par M. Debelleyme, qui regardait comme une humiliation pour la France, de s'associer au blâme donné à la conduite du gouvernement dans cette |