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Je me trouvais à Beaucaire le dernier jour de la foire le hasard me fit avoir pour convives à souper, deux négocians Marseillais, un Nîmois et un fabricant de Montpellier. Après plusieurs moments employés à nous reconnaître, l'on sut que je venais d'Avignon et que j'étais militaire. Les esprits de mes convives, qui avaient été toute la semaine fixés sur le cours du négoce qui accroît les fortunes, l'étaient dans ce moment sur l'issue des événemens présents, d'où en dépend la conservation; ils cherchaient à connaître mon opinion, pour, en la comparant à la leur, pouvoir se rectifier et acquérir des probabilités sur l'avenir, qui nous affectait différemment; les Marseillais surtout paraissaient être moins pétulans l'évacuation d'Avignon leur avait appris à douter de tout; il ne restait qu'une grande sollicitude sur leur sort: la confiance nous eut bientôt rendus babillards, et nous commençâmes un entretien à peu près en ces termes.

LE NIMOIS.

L'armée de Cartaux est-elle forte? L'on dit qu'elle a perdu bien du monde à l'attaque; mais s'il est vrai qu'elle ait été repoussée, pourquoi les Marseillais ont-ils évacué Avignon.

LE MILITAIRE.

L'armée était forte de 4,000 hommes lorsqu'elle a attaqué Avignon; elle est aujourd'hui à 6,000 hommes, elle sera avant quatre jours à 10,000 hommes; elle a perdu cinq hommes et quatre blessés ; elle n'a point été repoussée, puisqu'elle n'a fait aucune attaque en forme: elle a voltigé autour de la place, a cherché à forcer les portes, en y attachant des pétards; elle a tiré quelques coups de canon pour essayer la contenance de la garnison; elle a dû ensuite se retirer dans son camp pour combiner son attaque pour la nuit suivante. Les Marseillais étaient 3,600 hommes; ils avaient une artillerie plus nombreuse et de plus fort calibre, et cependant ils ont été contraints à repasser la Durance; cela vous étonne beaucoup : mais c'est qu'il n'appartient qu'à de vieilles troupes de résister aux incertitudes d'un siége; nous étions maîtres du Rhône, de Villeneuve et de la campagne, nous eussions intercepté toutes leurs communication. Ils ont dû évacuer la ville; la

cavalerie les a poursuivis dans leur retraite ; ils ont eu beaucoup de prisonniers et ont perdu deux pièces de canon.

LE MARSEILLAIS.

Ce n'est pas là la relation que l'on nous a donnée; je ne veux pas vous le contester, puisque vous étiez présent; mais avouez que cela ne vous conduira à rien : notre armée est à Aix, trois bons généraux sont venus remplacer les premiers; on lève à Marseille de nouveaux bataillons, nous avons un nouveau train d'artillerie, plusieurs pièces de 24; sous peu de jours nous serons dans le cas de reprendre Avignon, ou du moins nous resterens maîtres de la Durance. LE MILITAIRE.

Voilà ce que l'on vous dit pour vous entraîner dans le précipice qui s'approfondit à chaque instant, et qui peut-être engloutira la plus belle ville de la France, celle qui a le plus mérité des patriotes; mais l'on vous a dit aussi que vous traverseriez la France, que vous donneriez le ton à la république, et vos premiers pas ont été des échecs ; l'on vous a dit qu'Avignon pouvait résister long-temps à 20,000 hommes, et une seule colonne de l'armée, sans artillerie de siége, dans vingt-quatre heures, en a été maîtresse; l'on vous a dit que le midi était levé, et vous vous êtes trouvés seuls; l'on vous a dit que la

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cavalerie nimoise allait écraser les Allobroges, et ceux-ci étaient déjà au Saint-Esprit et à Villeneuve ; l'on vous a dit que 4,000 Lyonnais étaient en marche pour vous secourir, et les Lyonnais négociaient leur accommodement; reconnaissez donc que l'on vous trompe, concevez l'impéritie de vos meneurs, et méfiez-vous de leurs calculs; le plus dangereux conseiller, c'est l'amour propre : vous êtes naturellement vifs, l'on vous conduit à votre perte par le même moyen qui a ruiné tant de peuples, en exaltant votre vanité; vous avez des richesses et une population considérable, l'on vous les exagère; vous avez rendu des services éclatans à la liberté, on vous les rappelle, sans faire attention que le génie de la république était avec vous alors, au lieu qu'il vous abandonne aujourd'hui ; votre armée, ditesvous, est à Aix avec un grand train d'artillerie et de bons généraux ; eh bien! quoi qu'elle fasse, je vous assure qu'elle sera battue; vous aviez 3,600 hommes, une bonne moitié s'est dispersée. Marseille et quelques réfugiés du département peuvent vous offrir 4,000 hommes: cela est beaucoup; vous aurez donc 5 à 6,000 hommes sans ensemble, sans unité, sans être aguerris ; vous avez de bons généraux, je ne les connais pas ; je ne puis donc leur contester leur habileté, mais ils seront absorbés par les détails, ne seront pas

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