Dieu et toujours de Dieu « Car il n'y a point de pouvoir si ce n'est de Dieu (1) ». Par conséquent, lorsque les nouveaux gouvernements qui représentent cet immuable pouvoir sont constitués, les accepter n'est pas seulement permis, mais réclamé, voire même imposé par la nécessité du bien social qui les a faits et les maintient. D'autant plus que l'insurrection attise la haine entre citoyens, provoque les guerres civiles et peut rejeter la nation dans le chaos de l'anarchie. Et ce grand devoir de respect et de dépendance persévérera, tant que les exigences du bien commun le demanderont puisque ce bien est, après Dieu, dans la société, la loi première et dernière. Par là s'explique d'elle-même la sagesse de l'Eglise dans le maintien de ses relations avec les nombreux gouvernements qui se sont succédé en France, en moins d'un siècle, et jamais sans produire des secousses violentes et profondes. Une telle attitude est la plus sûre et la plus salutaire ligne de conduite pour tous les Français, dans leurs relations civiles avec la république, qui est le gouvernement actuel de leur nation. Loin d'eux ces dissentiments politiques, qui les divisent; tous leurs efforts doivent se combiner pour conserver ou relever la grandeur morale de leur patrie. Objection La république antichrétienne Mais une difficulté se présente : « cette république, fait-on remarquer, est animée de sentiments si antichrétiens que les hommes honnêtes, et beaucoup plus les catholiques, ne pourraient consciencieusement l'accepter ». Voilà surtout ce qui a donné naissance aux dissentiments et les a aggravės. Différence entre Pouvoirs constitués et Législation On eût évité ces regrettables divergences si l'on avait su tenir soigneusement compte de la distinction considérable (1) Non est enim potestas nisi a Deo (Rom. XxIII, 1). qu'il y a entre Pouvoirs constitués et Législation. La Législation diffère à tel point des pouvoirs politiques et de leur forme, que, sous le régime dont la forme est la plus excel· lente, la législation peut être détestable; tandis qu'à l'opposé, sous le régime dont la forme est la plus imparfaite, peut se rencontrer une excellente législation. Prouver, l'histoire à la main, cette vérité, serait chose facile; mais à quoi bon? tous en sont convaincus. Et qui mieux que l'Eglise est en mesure de le savoir, elle qui s'est efforcée d'entretenir des rapports habituels avec tous les régimes po litiques? Certes, plus que toute autre puissance, elle saurait dire ce que lui ont souvent apporté de consolations ou de douleurs les lois des divers gouvernements qui ont successivement régi les peuples, de l'Empire romain jusqu'à nous. Si la distinction, tout à l'heure établie a son importance majeure, elle a aussi sa raison manifeste; la législation est l'œuvre des hommes investis du pouvoir et qui, de fait, gouvernent la nation. D'où il résulte qu'en pratique, la qualité des lois dépend plus de la qualité de ces hommes, que de la forme du pouvoir. Ces lois seront donc bonnes ou mauvaises, selon que les législateurs auront l'esprit imbu de bons ou de mauvais principes et se laisseront diriger, ou par la prudence politique, ou par la passion. Qu'en France, depuis plusieurs années, divers actes importants de la législation aient procédé de tendances hostiles à la Religion et par conséquent aux intérêts de la Nation, c'est l'aveu de tous, malheureusement confirmé par l'évidence des faits. Nous-même, obéissant à un devoir sacré, Nous en en adressâmes des plaintes vivement senties, à celui qui était alors à la tête de la République. Ces tendances cependant persistèrent, le mal s'aggrava, et l'on ne saurait s'étonner, que les membres de l'Episcopat français, placés par l'Esprit-Saint pour régir leurs différentes et illustres Eglises, aient regardé, encore tout récemment, comme une obligation, d'exprimer publiquement leur douleur, touchant la situation créée en France à la Religion catholique. Pauvre France! Dieul seul peut mesurer l'abime de maux où elle s'enfoncerait, si cette législation, loin de s'améliorer, s'obstinait dans une telle déviation, qui aboutirait à arracher de l'esprit et du coeur des Français la religion qui les a faits si grands. Et voilà précisément le terrain sur lequel tout dissentiment politique mis à part, les gens de bien doivent s'unir comme un seul homme, pour combattre, par tous les moyens légaux et honnêtes, ces abus progressifs de la législation. Le respect que l'on doit aux pouvoirs constitués ne saurait l'interdire il ne peut importer, ni le respect, ni beaucoup moins l'obéissance sans limites à toute mesure législative quelconque, édictée par ses mêmes pouvoirs. Qu'on ne l'oublie pas, la loi est une prescription ordonnée selon la raison et promulguée, pour le bien de la communauté, par ceux qui ont reçu à cette fin le dépôt du pouvoir. En conséquence, jamais on ne peut approuver des points de législation qui soient hostiles à la Religion et à Dieu; c'est au contraire un devoir de les réprouver. C'est ce que le grand Evêque d'Hippone, Saint Augustin, mettait en parfaite lumière dans ce raisonnement plein d'éloquence: « Quelquefois, les puissances de la terre sont bonnes et craignent Dieu; d'autrefois, elles ne le craignent pas. Julien était un Empereur infidèle à Dieu, un apostat, un pervers, unidolatre. Les soldats chrétiens servirent cet Empereur infidèle. Mais, dès qu'il s'agissait de la cause de Jésus-Christ, ils ne reconnaissaient que Celui qui est dans le ciel. Julien leur prescrivait-il d'honorer les idoles et de les encenser; ils mettaient Dieu au-dessus du prince. Mais leur disait-il : formez vos rangs pour marcher contre telle nation ennemie; à l'instant ils obéissaient. Ils distinguaient le Maître éternel du maître temporel, et cependant, en vue du Maitre éternel, ils se soumettaient même à un tel maître temporel (1) ». (1) Aliquando... potestates bonæ sunt, et timent Deum; aliquando non timent Deum. Julianus extitit infidelis imperator, extitit apostata, iniquus idolatra milites christiani servierunt Imperatori infideli: ubi veniebatur ad caussam Christi, non agnoscebant nisi Illum qui in cœlis erat. Si quando volebat ut idola colerent, ut thurificarent, præponebant illi Deum : quando Nous le savons, l'athée, par un lamentable abus de sa raison et plus encore de sa volonté, nie ces principes. Mais en définitive, l'athéisme est une erreur si monstrueuse, qu'elle ne pourra jamais, soit dit à l'honneur de l'humanité, y anéantir la conscience des droits de Dieu pour y substituer l'idolatrie de l'Etat. Les principes qui doivent régler notre conduite envers Dieu et envers les gouvernements humains étant ainsi définis, aucun homme impartial ne pourra accuser les catholiques français, si, sans épargner ni fatigues ni sacrifices, ils travaillent à conserver à leur patrie ce qui est pour elle une condition de salut, ce qui résume tant de traditions glorieuses enregistrées par l'histoire, et que tout Français a le devoir de ne pas oublier. Le Concordat Avant de terminer Notre Lettre, Nous voulons toucher à deux autres points connexes entre eux, et qui, se rattachant de plus près aux intérêts religieux, ont pu susciter parmi les catholiques quelque division. L'un d'eux est le Concordat qui, pendant tant d'années, a facilité en France l'harmonie entre le gouvernement de l'Eglise et celui de l'Etat. Sur le maintien de ce Pacte solennel et bilatéral, toujours fidèlement observé de la part du Saint-Siège, les adversaires de la Religion catholique euxmêmes ne s'accordent pas. Les plus violents voudraient son abolition, pour laisser à l'Etat toute liberté de molester l'Eglise de Jésus-Christ. D'autres, au contraire, avec plus d'astuce, veulent, ou du moins assurent vouloir la conservation du Concordat: non pas qu'ils reconnaissent à l'Etat le devoir de remplir envers l'Eglise les engagements souscrits, mais uniquement pour le autem dicebat, producite aciem, ite contra illam gentem; statim obtemperabant. Distinguebant Dominum æternum, a domino temporali; et tamen subditi erant propter Dominum æternum, etiam domino temporali (ENARRAT, in Psalm. cxxiv, n. 7, fin). faire bénéficier des concessions faites par l'Eglise; comme si l'on pouvait à son gré séparer les engagements pris des concessions obtenues, alors que ces deux choses font partie substantielle d'un seul tout. Pour eux, le Concordat ne resterait donc que comme une chaîne propre à entraver la liberté de l'Eglise, cette liberté sainte à laquelle elle a un droit divin et inaliénable. De ces deux opinions, laquelle prévaudra? Nous l'ignorons. Nous avons voulu seulement le rappeler, pour recommander aux catholiques de ne pas provoquer de scission sur un sujet dont il appartient au Saint-Siège de s'occuper. Séparation de l'Eglise et de l'Etat Nous ne tiendrons pas le même langage sur l'autre point, concernant le principe de la séparation de l'Etat et de l'Eglise, ce qui équivaut à séparer la législation humaine de la Jégislation chrétienne et divine. Nous ne voulons pas nous arrêter à démontrer ici tout ce qu'a d'absurde la théorie de cette séparation; chacun le comprendra de lui-même. Dès que l'Etat refuse de donner à Dieu ce qui est de Dieu, il refuse, par une conséquence nécessaire, de donner aux citoyens ce à quoi ils ont droit comme hommes; car, qu'on le veuille ou non, les vrais droits de l'homme naissent précisément de ses devoirs envers Dieu. D'où il suit que l'Etat, en manquant, sous ce rapport, le but principal de son institution, aboutit en réalité à se renier lui-même, et à démentir ce qui est la raison de sa propre existence. Ces vérités supérieures sont si clairement proclamées par la voix même de la raison naturelle, qu'elles s'imposent à tout homme que n'aveugle pas la violence de la passion. Les catholiques, en conséquence, ne sauraient trop se garder de soutenir une telle séparation. En effet, vouloir que l'Etat se sépare de l'Eglise, ce serait vouloir, par une conséquence logique, que l'Eglise fût réduite à la liberté de vivre selon le droit commun à tous les citoyens. Cette situation, il est vrai, se produit dans certains pays. C'est une manière d'être qui, si elle a ses nombreux et graves inconvénients, offre aussi quelques avantages, sur |