1 denier au plaignant. » (1) Heureux temps que celui où l'on pouvaitse contenter, pour toute preuve, du serment de l'accusé. Deux siècles plus tard, l'invention féconde de Gutenberg s'introduisait dans le royaume français. Une législation aussi simple que celle des établissements ne pouvait suffire à réprimer les écarts de l'imprimerie; les ordonnances royales édictent contre la diffamation imprimée des peines sévères. L'Edit de Moulins, rendu au mois de février 1566, confirme la nouvelle législation et porte en son article 77 : « Défendons très étroitement à tous nos sujets d'écrire, imprimer et exposer en vente aucuns livres, libelles ou écrits diffamatoires et convicieux contre l'honneur et renommée des personnes, sous quelque prétexte et occasion que ce soit. Et déclarons dés à présent tels scripteurs, imprimeurs et vendeurs, et chacun d'eux, infracteurs de paix et perturbateurs du repos public, et comme tels voulons estre punis des peines contenues en nos édits. Enjoignons à nos sujets qui ont tels livres ou écrits, de les brusler dedans trois mois, sur les peines de nos dits édits. » Sous quelque prétexte et occasion que ce soit! Ainsi la vérité du fait imputé n'est pas une excuse la diffamation vraie est punie comme la diffamation calomnieuse. La législation préconisée par l'Edit de Moulins reste en vigueur jusqu'à la Révolution : toutes les ordonnances pénales y renvoient : « Défendons à tous nos sujets sans aucun excepter, suivant le soixante et dix-septième article des ordonnances de Moulins, d'écrire, imprimer, ou faire imprimer, exposer en vente, publier et distribuer, aucuns livres, libelles ou écrits diffamatoires et convicieux, imprimez ou écrits à la main, contre l'honneur et renommée des personnes. » Ainsi s'exprime l'article 179 du code Michaud. Les tribunaux appliquent ses dispositions sévères, et nombre d'arrêts qu'il serait trop long d'énumérer, condannant à des peines rigoureuses les diffamateurs, nous sont conservés. (1) Etablissement de Saint-Louis. Liv. I. Chap. 148. Avec la Révolution apparaît pour la première fois, dans un monument législatif de notre pays, le mot de calomnie. L'art. 18 du cinquième chapitre de la constitution du 3 septembre 1791, était ainsi conçu : « Les calomnies et injures contre quelques personnes que ce soit, relatives aux actions de leur vie privée, seront punies sur leurs poursuites. » Quelle était au juste la portée de cette brève disposition? Autorisait-elle la preuve du fait infamant? Créait-elle une distinction entre l'allégation vraie et l'imputation fausse ? On ne peut le dire. Mais qu'importe? Puisqu'en fait, pendant cette période troublée, les calomniateurs jouirent de la plus franche impunité... Le mot de calomnie reparaît, et d'une façon plus explicite dans le code pénal de 1819. « Sera coupable du délit de calomnie, dit l'article 367 de ce code, celui qui, soit dans des lieux ou réunions publics, soit dans un acte authentique et public, soit dans un écrit imprimé ou non qui aura été affiché, vendu ou distribué, aura imputé à un individu quelconque des faits qui, s'ils existoient, exposeraient celui contre lequel ils sont articulés à des poursuites criminelles ou correctionnelles, ou mème l'exposeraient seulement au mépris ou à la haine des citoyens. » Ce n'est plus, on le voit, la simple diffamation qui est réprimée par le code, c'est la diffamation calomnieuse, c'est l'allégation mensongère, c'est l'imputation fausse. Il est vrai que, suivant la disposition de l'article 368, « est réputée fausse,toute imputation à l'appui de laquelle la preuve légale n'est point rapportée. » Et que « la preuve qui résultera d'un jugement Ou de tout autre acte authentique, sera seule considérée comme preuve légale. » Mais si la preuve du fait allégué est difficile et rarement admise, elle produit lorsqu'elle est rapportée un effet radical: « Lorsque le fait imputé sera legalement prouvé vrai, l'auteur de l'imputation sera à l'abri de toute peine. » Ces dispositions que nous retrouverons dans plusieurs législations étrangères, n'eurent pas en France une longue durée: elles furent abrogées par la loi du 17 mai 1819 sur la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication. L'article 13 de cette loi définissait la diffamation: « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputė » ; et l'article 18 de la même loi punissait la diffamation envers les particuliers « d'un emprisonnement de cinq jours à un an et d'une amende de 25 à 2.000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement, selon les circonstances. >> La distinction entre la calomnie et la médisance, qui n'avait fait qu'apparaître dans notre législation avait vécu : nulle des nombreuses lois sur la presse, qui modifièrent, renouvelèrent, abrogèrent la loi de 1819, ne vint la ressusciter. Que les tribunaux n'aient point à rechercher, lorsqu'il s'agit de la vie privée des individus, si l'imputation diffamatoire est exacte ou mensongère, et qu'ils punissent dans tous les cas et à égal degré, la diffamation vraie et la diffamation calomnieuse c'est le principe dominant de la loi pénale française. Ce n'est pas, nous allons le voir, à quelques exceptions près, la règle des législations étrangères. De celles qui sont à notre connaissance, nous ne voyons que les législations de Serbie, du Brésil, du canton de Vaud et de l'Etat américain de Géorgie, qui aient adopté d'une manière absolue les dispositions du législateur français. La loi serbe sur les infractions commises par la voie de la presse du 12-24 mars 1881, punit, dans son article 24, « toute allégation d'un fait portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé, d'un emprisonnement de un à six mois ou d'une amende de 50 à 300 francs. « Jamais et dans aucun cas, proclame énergiquement le texte même de la loi, la vérité du fait diffamatoire ne pourra être établie, lorsque le fait se rapportera à la vie privée des personnes. >> << Les responsables n'auront pas le droit de rapporter la preuve de la vérité des injures concernant les faits de la Le vie privée. » Ainsi s'exprime la loi Brésilienne du 20 septembre 1830, qui punit la diffamation d'un emprisonnement de un à trois mois et d'une amende de 20 à 200 reis. code pénal du canton suisse de Vaud, promulgué le 26 décembre 1832, et une loi récente (5 décembre 1877) de l'état de Géorgie, consacrent cette même interdiction de la preuve. Mais, ce n'est là que l'exception. Toutes les autres législations que nous connaissons admettent, dans une mesure plus ou moins large, une distinction entre la calomnie et la médisance; toutes autorisent, avec une plus ou moins grande facilité et dans des cas plus ou moins restreints, le prévenu à rapporter la preuve de la vérité de son imputation. Tantôt on exige de l'accusé qui prétend fournir la preuve de son dire, une pièce authentique, un titre légal : c'était, on se le rappelle, la disposition du code de 1810. C'est aussi celle du code pénal belge (1),- avec une importante modification, toutefois. Tandis que le législateur français de 1810 déclarait à l'abri de toute peine l'auteur de l'imputation, lorsque le fait imputé était légalement prouvé vrai, le législateur belge de 1867 apporte, à cette impunité, une très sage restriction. « Lorsqu'il existe, dit l'article 449 du code belge, au moment du délit, une preuve légale des faits imputés; s'il est établi que le prévenu a fait l'imputation sans aucun motif d'intérêt public ou privé et dans l'unique but de nuire, il sera puni, comme coupable de divulgation méchante, d'un emprisonnement de huit jours à deux mois et d'une amende de 26 francs à 400 francs. » Le même principe corrigé par la même restriction, figure dans le code pénal genevois du 21 octobre 1874. L'article 308 de ce code s'exprime en ces termes : «S'il s'agit d'un fait qui rentre dans la vie privée, l'auteur de l'imputation ne pourra faire valoir pour sa défense aucune autre preuve que celle (1) Le projet de révision du Code pénal belge porte, il est vrai, dans son article 12 que : « Nul ne sera admis à prouver la vérité des faits diffamatoires ou injurieux. » Mais ce projet n'a pas encore abouti. qui résulte d'un jugement ou de tout autre acte authentique. Dans ce cas, la preuve des faits imputés met l'auteur de l'imputation à l'abri de toute peine... » (ce sont les termes mêmes du code de 1810)... à moins que, ajoute l'article 309, <«< il ne soit établi que le prévenu a fait l'imputation dans l'unique but de nuire et sans aucun motif d'intérêt public ou privé. » La loi bulgare des 17-29 décembre 1887, qui, à l'exemple des deux législations précédentes, n'admet comme preuve que « celle qui est faite au moyen d'un jugement ayant acquis force de chose jugée et constituant un document irréfragable,» distingue encore, pour l'autoriser, suivant que l'acte imputé constitue, ou non, un délit. « Quiconque, porte son article 28, attribue faussement à autrui quelque acte criminel ou infamant est considéré comme calomniateur et passible d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende ne dépassant pas 1,000 francs. » Mais l'accusé peut, par le moyen que nous avons indiqué, faire la preuve que « les faits criminels ou infamants qu'il a imputés à autrui sont réels », et s'il réussit, il n'est pas puni. Que si, au contraire, l'acte imputé à utrui n'est point un acte punissable, mais simplement «< un acte qui l'abaisse ou qui l'expose au mépris de la société », aucune preuve n'est. plus autorisée. L'accusé, déclare l'article 29 de la loi, est « coupable d'injure et passible d'un emprisonnement de quinze jours à six mois et d'une amende ne dépassant pas 500 francs. >>> Les diverses législations que nous avons parcourues jusqu'ici, apportent, à l'admission de la preuve, des restrictions tirées de la nature même du moyen probant. D'autres, et en assez grand nombre, autorisent toute espèce de preuves, mais dans certains cas spécifiés par la loi seulement. Le code pénal des Pays-Bas, promulgué depuis peu d'années, permet la preuve du fait allégué, et cette preuve peut se faire par tous les moyens possibles, - lorsque le plaignant lui-même invite son adversaire à la fournir. Le Code néerlandais n'a pas cru devoir refuser à la personne |