la partie du projet relative à l'antichrèse sont fort simples, et d'ailleurs en petit nombre. L'antichrèse ne s'établit que par écrit. Cette règle, qu'il eût été inutile de retracer si l'on eût voulu la laisser circonscrite dans les termes ordinaires de la législation sur les contrats, indique ici que, lors même que le fonds vaudrait moins de 150 francs, nul ne peut s'y entremettre ou du moins s'y maintenir contre le vœu du propriétaire, en alléguant des conventions verbales qui, en cette matière, pourraient de→ venir le prétexte de nombreux désordres. Au surplus, les obligations que l'antichrèse impose au détenteur de l'immeuble résultent si naturellement de son propre titre, qu'il suffit sans doute de les énoncer pour que la justice en soit aisément reconnue. Ainsi il devra imputer les fruits qu'il percevra sur les intérêts s'il lui en est dû, et ensuite sur le capital de sa créance. Il devra de même payer les charges foncières qui courront 206 pendant la jouissance, et pourvoir, sous peine de dommages et intérêts, à l'entretien et aux réparations de l'immeuble, sauf à prélever sur les fruits le montant de ces diverses dépenses. De la situation respective du débiteur et du créancier, il 1089 résulte aussi qu'il faudra entrer en compte des jouissances et de la gestion que l'antichrèse aura procurées au créancier ; mais cette obligation de droit commun exclura-t-elle la faculté de stipuler en bloc la compensation des fruits avec les intérêts dus au créancier? Dans plusieurs des ci-devant parlemens, et surtout dans les ressorts qui suivaient le droit écrit, les pactes de cette espèce étaient souvent invalidés par les arrêts, sur le fondement de la lésion qui pouvait en résulter pour le débiteur. Ces extrêmes entraves n'ont point paru convenir à notre législation, et ce n'est pas légèrement qu'une convention doit être réputée illicite. Suppose-t-on un créancier rigoureux à l'excès? Il tâchera de se faire céder le fonds à un prix très-médiocre, et il gagnera plus à un tel marché que dans une clause de l'espèce de celle que nous examinons. Cette clause d'ailleurs n'aura souvent pour objet que d'éviter des embarras au créancier et des frais au débiteur luimême. Comment donc l'interdirait-on? Et en l'interdisant ne s'exposerait-on pas à blesser celui-là même qu'on veut protéger? Si d'ailleurs cette voie était fermée, combien ne resterait-il pas d'autres issues à des contrats plus réellement onéreux? Législateurs, je viens de motiver les principales dispositions du projet qui vous est soumis sur le nantissement. Ce contrat, qui a toujours figuré parmi nos institutions civiles, n'existe pas seulement en faveur du créancier ; il est utile au débiteur même, qui souvent ne pourrait traiter sans un tel secours. Le projet de loi aura rempli son objet s'il a concilié ce double intérêt et posé avec justice les règles qui doivent désormais régir cette matière. COMMUNICATION OFFICIELLE AU TRIBUNAT. Le projet fut communiqué, avec l'exposé des motifs, au Tribunat, le 23 ventose an XII (14 mars 1804), et M. Gary en a fait le rapport à l'assemblée générale le lendemain. Le rapport fait an Tribunat par M. Gary n'a point été imprimé sous ce titre, parce qu'il est entièrement conforme au discours ci-après rapporté, prononcé par lui devant le Corps législatif. Le Tribunat émit, dans la même séance, un vœu d'adoption, qu'il fit porter au Corps législatif le 25 ventose an XII (16 mars 1804). DISCUSSION DEVANT LE CORPS LÉGISLATIF. DISCOURS PRONONCÉ PAR LE TRIBUN GARY. Législateurs, le Tribunat nous a chargé de vous offrir son vœu en faveur du projet de loi sur le Nantissement, destiné à former le titre XVIII du livre III du Code civil. Il y a un petit nombre d'affaires dans lesquelles le créancier se confie plus à la personne qu'aux biens de son débiteur : telles sont les affaires de commerce, dans lesquelles une discussion des biens aurait quelquefois autant d'inconvéniens pour ce créancier que le non paiement. Mais à la plupart des transactions de la vie civile s'applique cette vérité énoncée avec tant de précision par une loi romaine, qu'il y a plus de sûretés dans les biens que dans les personnes. C'est de ce genre de sûreté qu'il est question dans les der- 1071-1071. nières parties du Code civil qui vous restent à examiner. Ce n'est pas une nouvelle convention, ce n'est pas un nouveau lien qu'on forme en prenant cette sûreté, on ne fait qu'assurer l'exécution de l'engagement contracté, que resserrer le lien déjà formé. La sûreté sur les biens est a l'obligation ce que la sanction est à la loi. Le créancier se procure cette garantie de deux manières, ou en stipulant que la chose qui lui est affectée passera dans ses mains et y restera jusqu'à son paiement, ou en laissant cette chose dans les mains de son débiteur. La première de ces stipulations forme le contrat de nantissement, qui embrasse à la fois les meubles et les immeubles; la seconde produit l'hypothèque, qui n'a lieu que sur les immeubles. Il n'est question ici que du nantissement, c'est-à-dire du contrat par lequel un débiteur remet une chose à son créancier 2077 282 2083 2073 pour sûreté de la dette. C'est la définition qu'en donne le projet de loi, et elle est aussi claire que précise. La remise de la chose au créancier par le débiteur est de l'essence de ce contrat ; son objet est la sûreté de la dette. Il peut cependant arriver que ce soit un tiers qui remette sa chose en nantissement pour le débiteur. Si c'est un bienfait de la part de ce tiers, la loi le respecte et le protége; si c'est un acte intéressé, c'est une convention qui n'a rien de contraire aux lois. Dans tous les cas, c'est comme si le débiteur agissait lui-même. La sûreté de la dette forme l'objet du contrat de nantissement. Donc, jusqu'à ce que le créancier soit entièrement satisfait, il est autorisé à conserver la chose qui lui a été remise. Le paiement d'une portion de la dette, soit par le débiteur, soit par l'un des héritiers du débiteur, ne peut être un prétexte de le dessaisir, encore que la dette se divise entre ces héritiers. De même, quand la créance se divise entre plusieurs héritiers, celui d'entre eux qui est dépositaire de l'objet affecté à la sûreté de la créance commune ne peut, lors même qu'il est payé, le rendre au préjudice de ceux des cohéritiers qui ne le sont pas. J'ai dit le contrat de nantissement peut avoir pour que objet des meubles ou des immeubles. Le nantissement d'une chose mobilière s'appelle gage; celui d'une chose immobilière s'appelle antichrèse. Dans le premier chapitre du projet de loi il est question du gage, dans le second de l'antichrèse. CHAPITRE Ier. Deux observations sur la matière et la forme de ce contrat précéderont l'examen des droits et des obligations du créancier. 1. Toutes sortes de meubles corporels ou incorporels peuvent être donnés en gage, ce qui comprend les créances mobilières du débiteur. 2°. Quant à la forme, il faut distinguer. S'il ne s'agit que 2074 de l'effet que doit avoir la convention entre le créancier et le débiteur, les règles suivant lesquelles la vérité de cette convention doit être établie sont celles prescrites par la loi des Contrats ou des Obligations conventionnelles en général. Mais si cette convention doit être opposée à des tiers, si le détenteur du gage réclame au préjudice de ces tiers le privilége que la loi lui assure, il faut alors que la remise de ce gage ou la convention dont elle est l'effet ait une date certaine qui exclue toute idée de fraude et de collusion entre ce détenteur et le propriétaire du gage. Sans cette précaution, un débiteur infidèle, au moment où il verrait que ses effets mobiliers vont être mis sous la main de la loi, parviendrait par des intelligences criminelles à les soustraire à l'action de ses créanciers. Voilà pourquoi le projet de loi veut que le privilége accordé au créancier saisi du gage n'ait lieu au préjudice des autres créanciers qu'autant qu'il y a un acte public ou sous seing privé dúment enregistré, contenant la déclaration de la somme due, ainsi que l'espèce et la nature des choses remises en gage, ou un état annexé de leurs qualité, poids et mesure. Cette disposition est conforme à celle des articles 8 et 9 du titre VI de l'ordonnance de 1673, qui n'avait jamais été expliquée et exécutée que dans l'intérêt des tiers, et pour assurer la date du nantissement en cas de faillite du débiteur. Le projet de loi ne croit cependant pas devoir exiger ces formalités lorsqu'il s'agit d'une dette modique. Ainsi la rédaction de l'acte par écrit et son enregistrement ne sont prescrits qu'en matière excédant la valeur de 150 francs. Si c'est une créance mobilière qui est donnée en gage, il 2075 ne suffit pas, pour que le privilége ait lieu, de la date certaine de l'acte; il faut encore que cet acte soit signifié au débiteur de cette créance. Le débiteur ne peut en effet être |