s'élevait au sein du Corps législatif entre les orateurs du Gouvernement et ceux du Tribunat; après quoi le Corps législatif votait au scrutin secret et sans délibération préalable, ce qui lui a fait donner le nom de Corps des muets, sur le sort de la loi proposée. Si le vote était favorable, la loi était décrétée; mais elle ne devenait exécutoire qu'après avoir été promulguée. La promulgation devait être faite par le premier Consul dix jours après que la loi avait été décrétée; ce qui explique comment toutes les lois qui composent le Code civil portent deux dates distantes l'une de l'autre de dix jours. Pendant ce délai de dix jours, le décret pouvait être déféré au Sénat, qui pouvait l'annuler pour cause d'inconstitutionnalité. 22. Ainsi se faisait la loi d'après la Constitution de l'an VIII, qui était en vigueur lors de la confection du Code civil. La complication même de ce mécanisme ou son imperfection faillit faire avorter une fois de plus le projet si souvent tenté d'un code de lois civiles uniformes pour toute la France. En effet le premier projet de loi présenté fut rejeté par le Corps législatif, après avoir été l'objet d'un vœu défavorable de la part du Tribunat. Le deuxième projet allait subir le même sort, lorsque le premier Consul adressa au Tribunat un message ainsi conçu: « Législateurs, le Gouvernement a arrêté de retirer les projets de loi du Code civil. C'est avec peine qu'il se trouve obligé de remettre à une autre époque les lois attendues avec intérêt par la nation. Mais il s'est convaincu que le temps n'est pas encore venu où l'on portera dans ces grandes discussions le calme et l'unité d'intention qu'elles demandent. » (13 nivôse an X.) On put croire après cela que la discussion du Code civil était indéfiniment ajournée; elle n'était que suspendue pour un temps assez court. Bonaparte tenait à la réalisation de son œuvre. La croyant compromise par une opposition systématique du Tribunat, il résolut de le briser. A cet effet, il fit rendre à la date du 16 thermidor an X un sénatusconsulte qui réduisait le nombre des membres du Tribunat à cinquante, ce qui lui permit d'éliminer les membres de l'opposition. De plus, il institua ce que l'on a appelé la communication officieuse au Tribunat. On sait que, d'après la Constitution de l'an VIII, le Corps législatif, avant de voter sur le projet de loi, devait communiquer ce projet au Tribunat, afin que celui-ci fût mis à même d'exprimer un vœu sur le projet. C'était la communication officielle. Le Tribunat ne pouvait proposer aucun amendement, de sorte que l'existence dans le projet de quelques imperfections de détail pouvait conduire le Tribunat à émettre un vœu défavorable et entraîner le rejet du projet tout entier par le Corps législatif. La communication, dite officieuse, parait à cet inconvénient. Voici en quoi elle consistait. Avant la présentation au Corps législatif, le projet était communiqué officieusement à la section de législation du Tribunat, qui entrait en conférences avec la section de législation du Conseil d'Etat et participait ainsi par ses observations à la préparation du projet de loi. L'accord s'établissait donc par avance entre le Conseil d'État et le Tribunat; et, lorsque plus tard, par respect pour la Constitution, le projet était soumis officiellement au Tribunat, celui-ci ne manquait pas d'émettre un vou favorable. Trente-six lois furent ainsi successivement décrétées et promulguées. Leur réunion en un seul corps sous le titre de Code civil fut ordonnée par la loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804). Ce qui n'a pas empêché chacune de ces lois de demeurer exécutoire à partir de sa promulgation. 23. Définition et division du Code civil. Le Code civil peut être défini « le Code de la théorie du droit privé ordinaire » de la théorie, par opposition au Code de procédure civile qui s'occupe aussi du droit privé, mais au point de vue de la pratique; du droit privé ORDINAIRE, par opposition au Code de commerce qui contient une partie importante du droit privé, celle qui est spéciale aux commerçants. On a aussi défini le Code civil « le Code du droit de famille et du droit de propriété. » Le Code civil s'occupe en effet à peu près exclusivement de l'organisation de la famille et de la propriété. Le Code civil est divisé en trois livres, précédés d'un titre préliminaire composé des articles 1 à 6. Le livre premier, qui comprend les articles 7 à 515, est divisé en onze titres; il est intitulé: « Des personnes ». Le livre II, composé des articles 516-710, est intitulé: « Des biens et des différentes modifications de la propriété », et contient quatre titres. Enfin le livre III, comprenant les articles 711 à 2231, est intitulé: Des différentes manières dont on acquiert la propriété», et se divise en vingt titres. En tout 35 titres (y compris le titre préliminaire), correspondant aux 36 lois dont l'ensemble forme le Code civil. Les titres sont divisés en chapitres, et quelquefois les chapitres en sections et les sections en paragraphes. On donne le nom de rubrique à l'intitulé de chacune de ces divisions, parce que dans les anciens manuscrits ces intitulés étaient écrits en caractères rouges (rubrum, rubrique). Les trente-six lois com posent d'ailleurs une seule série d'articles, ce qui facilite beaucoup les indications et les recherches. 24. Diverses éditions officielles du Code civil. - Il existe plusieurs éditions officielles du Code dont nous venons de décrire la physionomie. La première est de 1804 (V. loi du 30 ventôse an XII). Une deuxième édition fut décrétée par la loi du 3 septembre 1807 sous le nom de Code Napoléon. Les changements faits dans cette édition. portent sur la forme beaucoup plus que sur le fond. C'est ainsi qu'on a remplacé les mots premier Consul par Empereur, République par Empire, etc. Cependant la loi du 3 septembre 1807 ordonnait aussi (cela touchait au fond): 1o le retranchement d'un numéro à l'article 17; 2o la suppression complète de l'article 2261 remplacé par un paragraphe retranché à l'article 2260; 3° l'addition d'un paragraphe à l'article 896 et par suite une légère modification dans l'article 897. La troisième édition fut publiée en vertu d'une Ordonnance de Louis XVIII du 30 août 1816. Elle est en harmonie avec le gouvernement de la Royauté. C'est la dernière édition officielle du Code civil, de sorte qu'aujourd'hui, sous le gouvernement de la République, nous trouvons dans le Code civil les mots Roi (art. 1), procureur du Roi (art. 99, 356), cour Royale (art. 357)... Cela prouve qu'il vaudrait beaucoup mieux employer dans les lois des expressions indépendantes de la forme du gouvernement, telles que cours d'appel, commissaire du gouvernement, etc., surtout dans un pays comme le nôtre, où la forme du gouvernement change si souvent. 25. Le nom de notre principal Code a plusieurs fois changé. Il s'est d'abord appelé Code civil en vertu de l'article 1er de la loi du 30 ventôse de l'an XII. La loi du 3 septembre 1807 décida qu'il s'appellerait à l'avenir le Code Napoléon. Mais ce dernier nom lui fut retiré par l'article 68 de la Charte de 1814, devenu plus tard l'article 59 de la Charte de 1830 qui lui restitua son nom primitif de Code civil. Enfin un décret du 27 mars 1852, qui n'a pas été expressément abrogé, a décidé qu'il reprendrait le nom de Code Napoléon. « En rétablissant cette dénomination, dit » le décret, on ne fait que rendre hommage à la vérité historique..... » Il y a du vrai dans cette assertion. Sans examiner quelle était la valeur du premier Consul comme jurisconsulte et quelle est l'importance du rôle qu'il a joué dans les discussions auxquelles le Code civil a donné lieu, il est certain que la France doit à son indomptable énergie et à sa rare sagacité la réalisation d'une œuvre qui avait été tentée sans succès avant lui. Napoléon considérait à juste titre le Code civil comme son plus beau titre de gloire. Il disait à Sainte-Hélène : « Ma gloire n'est pas d'avoir gagné quarante batailles... Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires... Mais ce que rien n'effacera, ce qui vivra éternellement, c'est mon Code civil... » (1) Ce n'est pas cependant que le Code civil soit un chef-d'œuvre; il s'en fait peu en matière législative. La critique n'a pas tardé à y signaler de nombreuses imperfections, dont plusieurs ont été effacées par des lois (4) De Montholon, Récit de la captivité, t. 1, p. 401. postérieures et dont beaucoup d'autres subsistent et subsisteront peutêtre longtemps encore; c'est ainsi que notre législation hypothécaire demanderait une refonte complète. Mais si l'on compare le Code civil aux œuvres législatives des autres peuples de l'époque, il est incontestable qu'il jouit d'une supériorité relative; on l'a bien prouvé en nous l'empruntant de toutes parts soit en totalité soit en partie. A l'heure qu'il est, le Code civil a fait le tour du monde civilisé. Les peuples, qui ne nous l'ont pas emprunté, nous ont fait au moins l'honneur de le traduire dans leur langue. 26. Les principes fondamentaux, sur lesquels le Code civil est basé, sont : 1o Le respect de la liberté individuelle; 2o L'inviolabilité de la propriété ; 3o L'égalité de tous les Français devant la loi; 4o La sécularisation de la législation civile, c'est-à-dire la séparation absolue entre les institutions civiles et les institutions religieuses. 27. Les principales sources, auxquelles le Code civil a été puisé, sont : 1o Les coutumes, principalement celle de Paris, notamment en matière d'autorisation maritale, de succession, de communauté entre époux. 2o Le Droit romain surtout en matière de propriété, d'obligations, de régime dotal. En cas de collision entre le Droit romain et le Droit coutumier, c'est ordinairement au Droit coutumier que la préférence a été accordée, toutes les fois au moins qu'on a cru ne pas pouvoir admettre une sorte de transaction ou de moyen terme. Cette préférence s'explique facilement. Le Droit coutumier est notre droit national, c'est un enfant de notre sol; il devait donc être préféré, toutes choses égales d'ailleurs, au Droit romain qui est d'origine exotique. D'ailleurs, le Droit coutumier était en général plus conforme à l'équité que le Droit romain. Enfin la plupart des membres du Conseil d'État étaient enfants des pays de coutume, et par suite imbus des principes du Droit coutumier. 3o Les ordonnances royales, notamment en matière d'actes de l'état civil (Ordonnance d'avril 1667), de donations (Ordonn. de 1731), de testaments (Ordonn. de 1735), de substitutions (Ordonn. de 1747). 4 Le Droit intermédiaire, principalement pour le mariage, la puissance paternelle, les privilèges et hypothèques. A cette nomenclature il faut ajouter subsidiairement: 5 la jurisprudence des Parlements, en matière d'absence par exemple; 6' le Droit canon ou droit tiré de l'Ecriture sainte, des conciles, des décrets ou constitutions des Papes, et enfin des sentiments des Pères de l'Église. On s'en est inspiré principalement en matière de mariage et de légitimation. 28. Conséquences de la promulgation du Code civil au point de vue du droit antérieur. Aux termes de l'article 7 de la loi du 30 ventôse de l'an XII : « A compter du jour où ces lois sont exécutoi> res, les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou » locales, les statuts, les règlements cessent d'avoir force de loi géné› rale ou particulière dans les matières qui sont l'objet des dites lois > composant le présent Code. » Si l'article qui vient d'être transcrit n'existait pas, le droit antérieur au Code civil serait régi par les principes de l'abrogation tacite, c'est-à-dire que ce droit continuerait à conserver sa force obligatoire dans toutes celles de ses dispositions qui ne sont pas inconciliables avec la loi nouvelle, le Code civil. L'application de cette règle aurait présenté des inconvénients fort graves en ce qui concerne le droit antérieur à 1789 ou Droit ancien. On sait quelle diversité existait dans le Droit de cette époque; ici on était régi par telle coutume, là par telle autre, ailleurs par le Droit romain. Si donc on avait admis pour notre ancien Droit le principe de l'abrogation tacite, beaucoup de points du Droit privé non prévus par le Code civil auraient été réglés d'après le Droit ancien, c'est-à-dire d'une manière différente suivant les localités. L'œuvre d'unification, que le Code civil a eu pour but de réaliser dans la législation civile, se serait trouvée ainsi fortement compromise. C'est pour cela que notre article abroge le Droit ancien dans toutes les matières qui font l'objet du Code civil. Remarquons qu'il suffit qu'une matière ait été réglementée par le Code civil pour que les lois anciennes relatives à cette matière soient abrogées complétement. Ainsi le Code civil traite de la prescription; il en résulte que toutes les lois anciennes relatives à la prescription sont par cela même abrogées; elles n'ont plus force de loi, même pour la solution des questions que le Code civil a omis de réglementer en cette matière. * Mais au moins faut-il, pour que l'abrogation contenue dans notre article atteigne une loi ancienne, que cette loi soit relative à une matière faisant l'objet du Code civil; ce sont à peu près les termes de la loi. L'abrogation prononcée par notre article n'atteint donc pas les lois anciennes qui régissent des matières non réglementées par le Code civil, sauf à voir si elles ne sont pas abrogées expressément ou tacitement par d'autres dispositions législatives postérieures. On l'a contesté à tort. La question n'a pas d'ailleurs un grand intérêt pratique en ce qui concerne les lois relatives au Droit privé; car, le Code civil réglementant à peu près toutes les matières du Droit privé, l'abrogation du Droit ancien se trouve être sur ce point presque complète. |