priétaire de deux immeubles établit entre eux une relation telle qu'elle constituerait une servitude, si les deux immeubles appartenaient à deux propriétaires différents. « La destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes > continues et apparentes » (art. 692) . ◄ Si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe » apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat ➤ contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exis> ter activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds » aliéné» (art. 694). Le propriétaire de deux fonds établit entre eux un rapport, qui constituerait une servitude continue et apparente si les fonds appartenaient à deux propriétaires différents; par exemple il construit le toit de sa maison de façon à ce que l'égout se déverse sur son jardin. Tant que les deux immeubles resteront entre ses mains, il n'y aura pas de véritable servitude, par application de la règle Nemini res sua servit. Mais, si l'un des fonds, par exemple le jardin, passe entre les mains d'un tiers pour quelque cause que ce soit, il ne lui passera que sous la charge de l'égout du toit de la maison. La servitude d'égout, qui n'existait pas, ou qui n'existait qu'à l'état latent quand les deux fonds appartenaient au même maître, apparaîtra le jour où l'obstacle qui s'opposait à son existence aura disparu, c'est-à-dire le jour où les deux fonds appartiendront à deux propriétaires différents. La loi suppose qu'il a été dans l'intention commune des parties de maintenir l'état de choses existant lors de la séparation des fouds. Voilà pourquoi, aux termes de l'article 692, la destination du père de famille vaut titre, c'est-à-dire convention. Il y aurait également destination du père de famille, si la servitude était établie par le propriétaire, non plus entre deux fonds à lui appartenant, mais entre deux parties d'un même fonds dont l'une serait ensuite transmise à un tiers. 1358. Aux termes de l'article 693: « Il n'y a destination du père de » famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les cho» ses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ». Deux conditions sont donc nécessaires pour qu'il y ait destination du père de famille : 1o Que les deux fonds actuellement divisés aient appartenu au même propriétaire; 2o Que ce soit lui qui ait établi l'état duquel résulte la servitude. Un usufruitier par exemple, et à plus forte raison un locataire, n'auraient pas le pouvoir d'établir entre les deux fonds cette relation, qui, par définition, doit émaner du père de famille, c'est-à-dire du propriétaire. Bien que la loi exige que les choses aient été mises par le propriétaire dans l'état duquel résulte la servitude, on s'accorde pour reconnaître qu'il y aurait destination du père de famille si le propriétaire de deux fonds avait maintenu entre eux un rapport qu'il n'a pas créé lui-même. Ainsi le propriétaire d'une maison ouvre des vues sur un terrain contigu dont il n'est pas propriétaire. J'achète successivement la maison et le terrain contigu, et je maintiens l'état de choses existant. Il y aura destination du père de famille. 1359. D'après l'article 692, les servitudes continues et apparentes semblent être les seules qui puissent s'établir par la destination du père de famille. Au contraire l'article 694 paraît dire que ce mode de constitution est aussi applicable aux servitudes qui sont apparentes sans être continues (argument des mots entre lesquels il existe un signe apparent de servitude). Il y a là une antinomie, qui a servi depuis la promulgation du Code civil à exercer la sagacité des jurisconsultes, sans qu'ils aient pu réussir encore à se mettre d'accord. Voici les diverses solutions qui ont été proposées. I. Pour les uns il faut suppléer dans l'article 694 la condition de continuité indiquée dans l'article 692, et que le législateur aurait oublié de reproduire. Cela revient à faire de l'article 694 une répétition inutile de l'article 692. II. Pour d'autres, les articles 692 et 693 se rapportent au cas où les deux fonds sont séparés à la suite d'un partage, tandis que l'article 694 s'applique à l'hypothèse où le propriétaire dispose par aliénation de l'un de ses deux héritages. Dans le premier cas, la loi exige la continuité et l'apparence de la servitude; dans le second elle se contente de l'apparence. Cette opinion manque de base rationnelle. Quel motif y a-t-il en effet d'exiger la continuité de la servitude, quand les deux fonds sont séparés par un partage, plutôt que lorsqu'ils le sont pour toute autre cause? III. Dans un troisième système on dit : Lorsque le propriétaire de deux fonds crée entre eux un rapport, qui constituerait une servitude si les deux fonds appartenaient à deux propriétaires différents, il faut, pour qu'il en résulte effectivement une servitude quand les deux fonds seront séparés, que ce rapport ait les caractères d'une servitude continue et apparente. Ce premier cas est prévu par les articles 692 et 693. L'article 694 au contraire vise l'hypothèse où une servitude existant entre deux fonds est éteinte par la réunion de ces deux héritages dans les mêmes mains (confusion, art. 705), et revit ensuite par leur séparation. Le fait, de la part de celui qui est devenu propriétaire des deux héritages, d'avoir maintenu le rapport existant entre eux, sera considéré comme une destination du père de famille, si ce rapport constitue une servitude apparente, fût-elle discontinue. En pareil cas, le Droit romain déclarait la servitude éteinte, à moins qu'on ne stipulât expressément son maintien dans l'acte qui opérait la division des deux fonds. Mais les rédacteurs du Code ont pensé que les parties, suffisamment averties par le signe apparent de la servitude, ont voulu maintenir l'état de choses existant au moment de la séparation des deux fonds. Si elles avaient voulu le faire cesser, elles l'auraient exprimé dans l'acte qui opère la séparation des deux fonds. En resumé par conséquent, la loi exige, pour qu'il y ait destination du père de famille, qu'il s'agisse d'une servitude continue et apparente quand le rapport entre les deux fonds a été créé par le propriétaire des deux immeubles, et d'une servitude apparente seulement quand le rapport a été simplement maintenu par lui. — Quoiqu'exposé par le tribun Albisson devant le Tribunat, ce système paraît difficilement acceptable, parce que la distinction sur laquelle il est fondé ne trouve pas plus d'appui dans la raison que dans le texte de la loi. Qu'importe que le rapport d'où résulte la servitude ait été créé ou seulement maintenu par le propriétaire des deux fonds? Et, si le rapport créé par le propriétaire ne peut fonder qu'une servitude continue et apparente, comment expliquer que le rapport maintenu par lui puisse servir de fondement à une servitude qui est apparente sans être continue? IV. Il reste une quatrième opinion, qui est la plus généralement suivie et qui nous semble en effet la meilleure. Lorsqu'un propriétaire a créé ou maintenu, entre deux fonds à lui appartenant, un rapport qui constituerait une servitude si les immeubles appartenaient à deux personnes différentes, la question qui se pose quand ces deux fonds sont séparés, est celle de savoir si les parties n'ont pas stipulé la cessation de cet état de choses dans l'acte qui opère la séparation des deux fonds. Aussi les coutumes de Paris et d'Orléans ne déclaraient-elles la servitude établie, après la séparation des deux héritages, qu'autant que cet acte était représenté et ne contenait rien de contraire à la destination du père de famille. Notre Code, moins rigoureux, établit à cet égard une distinction. S'agit-il d'une servitude continue et apparente? Après la séparation des héritages, elle sera considérée comme établie par la destination du père de famille, sans qu'il soit nécessaire de représenter le titre par suite duquel cette séparation a été opérée, et de prouver qu'il ne contient rien de contraire à l'établissement de la servitude. Ce premier cas est prévu par les articles 692 et 693. S'agit-il au contraire d'une servitude qui est apparente seulement sans être continue? La destination du père de famille ne vaudra titre qu'à la condition que <«<le contrat ne contienne aucune convention relative à la servitude» (art. 694); ce contrat devra donc être représenté. 1360. Notre section se termine par une disposition qui se comprend sans difficulté : « Quand on établit une servitude, on est censé accorder » tout ce qui est nécessaire pour en user. - Ainsi la servitude de puiser de > l'eau à la fontaine d'autrui, emporte nécessairement le droit de passage (art. 696). Mais ces droits accessoires à la servitude suivent nécessairement le sort de celle-ci. C'est ainsi que le droit de passage s'éteint avec la servitude de puisage dont il était la conséquence. SECTION III DES DROITS DU PROPRIÉTAIRE DU FONDS AUQUEL LA SERVITUDE EST DUE 1361. Aux termes de l'article 686, al. 2 : « L'usage et l'étendue des ser» vitudes ainsi établies se règle par le titre qui les constitue à défaut de titre, par les règles ci-après. Cette disposition n'est écrite qu'en vue des servitudes établies par titre. S'il s'agit d'une servitude acquise par prescription, les droits du propriétaire du fonds dominant sont réglés par la maxime Tantum præscriptum quantum possessum. Quant aux servitudes constituées par la destination du père de famille, l'étendue et le mode de leur exercice sont déterminés par l'état de choses duquel est née la servitude. Voici maintenant un certain nombre de règles applicables en géné ral à toutes les servitudes, de quelque manière qu'elles aient été établies. 1362. Aux termes de l'article 697 : « Celui auquel est due une servitude » a droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la > conserver ». Par exemple, celui qui a le droit de passage peut faire paver ou macadamiser le chemin, si c'est nécessaire pour l'exercice de la servitude. « Ces ouvrages sont à ses frais, et non à ceux du propriétaire du fonds ➤ assujetti, à moins que le titre d'établissement de la servitude ne dise le » contraire» (art. 698). En principe en effet, les servitudes n'imposent qu'un rôle passif au propriétaire du fonds servant. On peut déroger à cette règle, non seulement, comme le dit la loi, dans le titre d'établissement de la servitude, mais aussi dans un titre postérieur. L'article 699 ajoute: « Dans le cas même où le propriétaire du fonds > assujetti est chargé par le titre de faire à ses frais les ouvrages néces»saires pour l'usage ou la conservation de la servitude, il peut toujours » s'affranchir de la charge en abandonnant le fonds assujetti au proprié» taire du fonds auquel la servitude est due. » « Peut toujours s'affranchir de la charge »; alors même, par conséquent, qu'il l'aurait supportée pendant plus de trente ans. L'abandon établi par notre article est un acte de pure faculté, et par suite le droit de l'effectuer ne peut s'éteindre par la prescription (arg., art. 2232). « En abandonnant le fonds assujetti ». Si une portion seulement du fonds est assujettie, il suffira d'abandonner cette portion. Ainsi pour se libérer de l'obligation de faire des travaux d'entretien d'un chemin affecté à l'exercice d'une servitude de passage, il suffira que le propriétaire du fonds servant abandonne le terrain consacré au chemin. Si au contraire le fonds tout entier est assujetti, le propriétaire devrait en faire l'abandon total pour se libérer. La question de savoir si le fonds est assujetti pour le tout ou partie paraît être dans la plupart des cas une question de fait plutôt que de droit. « Si l'héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, » la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la con»dition du fonds assujetti soit aggravée. Ainsi, par exemple, s'il s'agit » d'un droit de passage, tous les copropriétaires seront obligés de l'exercer » par le même endroit » (art. 700). Au cas où l'exercice de la servitude serait divisible, par exemple s'il s'agit d'une servitude donnant le droit de puiser cent hectolitres d'eau par an à une source, ou de tirer cent quintaux de sable d'une sablière, il se diviserait entre les divers ayant-droit, proportionnellement à la portion du fonds dominant qui leur est échue. Ainsi celui auquel a été attribuée une portion du fonds dominant équivalente au quart, aura droit dans notre espèce de puiser 25 hectolitres d'eau ou de tirer 25 quintaux de sable. Le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire » qui tende à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode. Ainsi, il > ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude > dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée. » Mais cependant, si cette assignation primitive était devenue plus oné» reuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l'empêchait d'y faire > des réparations avantageuses, il pourrait ofrir au propriétaire de » l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits, et > celui-ci ne pourrait pas le refuser » (art. 701). Cette règle que le propriétaire du fonds servant ne peut changer l'état des lieux », ne s'appliquerait pas aux changements, qui peuvent lui profiter sans nuire en aucune façon au propriétaire du fonds dominant. Ainsi le propriétaire d'un héritage grevé d'une servitude de vue peut en changer l'exploitation, par exemple transformer une prairie en un champ ou réciproquement. ◄ De son côté, celui qui a un droit de servitude, ne peut en user que sui» vant son titre, sans pouvoir faire, ni dans le fonds qui doit la servi» tude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la » condition du premier (art. 702). Ainsi une servitude de prise d'eau pour l'irrigation ne saurait être affectée à l'abreuvage des bestiaux, ni utilisée pour obtenir une force motrice. SECTION IV COMMENT LES SERVITUDES S'ÉTEIGNENT 1363. Le Code civil indique trois causes d'extinction des servitudes : 1o l'impossibilité d'en user (art. 703 et 704); 2o la confusion (art. 705); 3o le non-usage pendant trente ans (art. 706 à 710). Nous verrons qu'il y a lieu d'ajouter à cette liste. 4° Impossibilité d'user de la servitude. 1364. « Les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état » qu'on ne peut plus en user » (art. 703). « Elles revivent si les choses sont rétablies de manière qu'on puisse en » user; à moins qu'il ne se soit déjà écoulé une espace de temps suffisant » pour faire présumer l'extinction de la servitude, ainsi qu'il est dit à » l'art. 707 » (art. 704). Les expressions cessent, revivent, employées ici par le législateur sont inexactes. Lorsque l'état des choses devient tel que l'usage de la servitude est impossible, le droit à la servitude subsiste; mais il y a un |