1. Nous avons vu jusqu'à présent ce que c'est que le commerce, et quelles lois le régissent; nous avons vu comment le droit des gens règle, soit en temps de paix, soit en temps de guerre, les rapports commerciaux des nations; et comment le droit international privé règle les rapports commerciaux des individus appartenant à des nationalités diverses; enfin nous avons jeté un coup-d'œil rapide sur les lois qui restreignent ou qui protègent la liberté du commerce et de l'industrie. De ces notions premières, qui embrassent le commerce dans toutes ses conditions, indiquent les lois générales auxquelles il est soumis, et qui en constituent en quelque sorte le droit public, nous allons descendre à des notions plus particulières, mais non moins intéressantes, sur les lois spéciales qui en règlent l'exercice, et en constituent le droit privé. A dater de ce moment nous entrons, pour n'en plus sortir, dans le droit civil, et dans l'examen de ses rapports avec le droit commercial. Les personnes, les biens, les contrats, tels sont les trois objets principaux des lois civiles. On peut trouver une division plus scientifique : il n'en est pas de plus claire; et comme elle a été adoptée par le législateur lui-même, nulle ne se prête mieux aux développements qui doivent trouver leur point d'appui dans la loi. Cette division des lois civiles proprement dites, peut s'appliquer également aux lois commerciales, puisqu'il y a des commerçants, des choses qui font l'objet du commerce, et des contrats au moyen desquels se fait le commerce. 2. Dans le présent Livre je m'occuperai des commerçants et des lois civiles auxquelles ils sont soumis, d'abord en tant que citoyens, et comme exerçant la profession commerciale; je traiterai ensuite des diverses sortes d'incapacités qui atteignent les individus, relativement au commerce; enfin je terminerai par l'exposé des règles particulières aux héritiers et aux conjoints des commerçants. TITRE I. DES COMMERÇANTS EN GÉNÉRAL. QUI EST COMMERÇANT. SOMMAIRE. CHAPITRE I. QUAND LES COMMERÇANTS SONT-ILS RÉPUTÉS FAIRE ACTE DE COMMERCE. 3. Qui est commerçant. 4. Pouvoir discrétionnaire des tribunaux en cette matière. — 5. Faits caractéristiques de la profession commer ciale. 6. Qualification commerciale prise ou acceptée. Distinctions. ' 7. Celui qui fait le commerce pour le compte exclusif d'un tiers n'est pas commerçant. 8. Mais celui pour le compte duquel le commerce est fait, est 9. Les débitants de poudre et de tabac sont-ils commerçants? commerçant. 10. Quid? des bouchers et des boulangers. et des courtiers de commerce. 11... Des agents de change 12.... Des comptables de deniers publics. 13. Les banquiers sont commerçants. 14. Quid? de ceux qui ont pour habitude de prêter de l'argent. 15. Celui qui fait un commerce illicite peut-il être réputé commerçant?—16. Application des règles qui précèdent, à l'industrie manufacturière et à l'industrie agricole. — 17. Quand les actes des commerçants sont-ils présumés fait pour leur commerce? — 18. Quid? des actes des comptables des deniers publics. — 19. De l'achat par un commerçant des fournitures nécessaires à sa famille, ou à ses ouvriers. 20. De l'achat des outils par un artisan, et de l'achat de certains accessoires de l'industrie commerciale ou de l'industrie manufacturière. - 21. Des actes et des dépenses qui ont pour objet des immeubles. Vente, achat, décoration des boutiques et magasins. 22. De l'achat d'un fond de commerce. Renvoi -23. Transition. 3. J'ai défini le commerce, une spéculation où l'on achète afin de revendre, et où l'on vend ce que l'on a acheté pour le revendre; ou bien encore, où l'on fait les actes nécessaires soit pour arriver à l'achat et à la revente, soit pour les compléter (1). Or, comme le commerçant est celui qui fait le commerce, il semble qu'on doive naturellement en conclure que celui qui achète afin de revendre, ou qui vend ce qu'il a acheté pour le revendre, ou qui fait des actes accessoires ou équivalents, est commerçant. Cependant, cette conclusion ne serait pas parfaitement juste. Celui qui achète pour revendre, ou qui revend ce qu'il a acheté pour le revendre, fait sans doute acte de commerce; mais il ne suffit pas de faire acte de commerce pour être commerçant. Etre commerçant, c'est exercer une profession, c'est par conséquent faire une suite d'actes de la même nature, dont l'ensemble constitue une habitude, qui à son tour constitue la profession. Les commerçants sont donc ceux qui font du commerce leur profession (') Tome I, n. 3. habituelle (). Quem esse mercatorem demonstrat pluralitas negotiorum, dit la rote de Gênes (*). Una mercantia, dit Balde (3), non facit mercatorem, sed professio et exercilium. 4. On comprend au surplus qu'en cas de contestation, c'est aux tribunaux à déterminer d'après les faits et les circonstances, et d'après le nombre des actes, si celui à qui est attribuée la qualité de commerçant, ou qui la revendique, a réellement cette qualité (*). 5. Il est d'ailleurs certains faits qui font présumer par euxmêmes la qualité de commerçant et qui rendent inutile toute recherche ultérieure du nombre et de la nature des actes caractéristiques de cette profession. Telle est l'ouverture d'un magasin, l'apposition d'enseignes, d'affiches; telle est encore l'autorisation obtenue pour un commerce soumis à la formalité de l'autorisation préalable, le payement de patentes ou autres impôts spéciaux auxquels les commerçants sont soumis. Telle est également la qualification de commerçant prise dans des actes ou contrats (*). Ex unico actu mercatorem non censeri temperandum est, dit Straccha (*), nisi unicum actum præcederet professio, seu descriptio in albo, et ut vulgò dicitur, in matriculâ mercatorum. 6. Cependant il est à remarquer sur ce point, que si celui qui a pris publiquement la qualité de commerçant, ou qui l'a publiquement acceptée, ne peut plus la répudier pour se soustraire aux charges qui en sont la conséquence, ni par suite (1) Cod. com., art. 1. (2) Décis. 37, n. 13. (3) De conslilulo, n. 8. (*) Cass., 28 mai 1828 (S. 28, 1, 269; Dall., 28, 1, 302). (*) Paris, 11 germ. an XI. (Devill. et Car., 1, 2, 126; Dall., 2, 710). (*) De mercaturâ, part. 1, n. 9 et suiv., p. 342.-Voy. aussi Balde, ubi sup. être admis à prouver qu'il n'a pas fait d'actes de commerce, ceux contre lesquels il cherche à se prévaloir de cette qualité, n'en sont pas moins recevables à la lui contester, et à prouver qu'en réalité il n'est pas commerçant. C'est ce qu'on peut conclure des paroles de Straccha qui, après avoir dit, comme on vient de le voir, qu'on doit réputer commerçant celui qui se qualifie ou qui se fait immatriculer comme tel, ajoute que celui qui n'a en sa faveur que cette qualification ou cette immatricule, et qui ne fait pas d'ailleurs des actes de commerce, ne peut prétendre aux privilèges et aux immunités des commerçants. Hæc sententia intelligenda est ut ei qui in albo mercatorum descriptus est nudum mercatoris nomen consequatur; eo enim solo immunitatibus et privilegiis mercatoribus concessis non fruitur; necesse est enim mercaturæ officium exerceat, ut immunitatibus gaudeat ('). Cette distinction est parfaitement juste. Celui qui prend publiquement la qualité de commerçant dans ses rapports avec les tiers ne peut, lorsqu'il s'agit d'exécuter les obligations qu'il a contractées, être reçu à prétendre qu'il n'est pas commerçant, pour se dégager des conséquences plus onéreuses des obligations commerciales, parce qu'il ne peut changer au préjudice des tiers la position qu'il s'est faite à lui-même. Par la même raison il ne peut se prévaloir de cette position contre les tiers, parce que sa fraude ne peut dans aucun cas leur préjudicier. Et pour éclairer ce point par un exemple, celui qui aura pris la qualité de commerçant pourra être traduit par les tiers non commerçants devant la juridiction commerciale, tandís qu'il ne pourra demander à être renvoyé devant cette juridiction, si ceux qui l'ont assigné devant la juridiction ordinaire prouvent qu'il ne fait pas habituellement des actes de commerce. (') Übi sup. |