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évacuée, et le maréchal Soult levait à la hâte le siége de Cadix où s'était réfugiée la junte insurrectionnelle. Dans le mois d'octobre, l'armée française reprit l'offensive. Arrêté sous les murs de Burgos, Wellington ne profita point de ses succès. Quittant les montagnes du royaume de Murcie, le roi Joseph avait opéré sa jonction avec l'armée du Midi, commandée par le maréchal Soult, et forcé le passage du Tage le 1er novembre. Wellington repassa à la hâte les frontières du Portugal, craignant d'être coupé; on lui fit dans sa retraite près de cinq mille prisonniers. Le roi rentra dans Madrid. Ainsi, la guerre d'Espagne n'avait pas perdu son caractère étrange de continuelles alternatives, de grandes défaites et de grands succès. Au moment où Napoléon préparait, au sein de sa capitale, la prochaine campagne d'Allemagne, tout semblait fini au-delà des Pyrénées : le général Caffarelli tenait Burgos; le général Reille occupait Valladolid; Madrid était entouré par l'armée du Centre avec le général d'Erlon; Suchet était dans le royaume de Valence; les généraux Decaen et Lamarque gardaient l'Aragon et la Catalogne. Deux cent soixante-dix mille Français veillaient sur le trône du roi Joseph, et comprimaient l'explosion toujours menaçante de la nationalité espagnole.

Cette armée d'Espagne offrait des ressources à Napoléon pour la réorganisation de son armée du Nord; mais après avoir mûrement examiné la situation de la Péninsule, il reconnut que loin de pouvoir la diminuer, il devrait peut-être lui envoyer des renforts. L'Angleterre ne manquerait pas de tenter encore de ce côté une diversion, tandis qu'il marcherait sur l'Elbe. Ce fut alors que, tout en faisant venir d'Espagne les cent quarante cadres de bataillons dont nous avons parlé, il envoya trente mille conscrits au roi Joseph, ce qui porta l'armée à trois cent mille hommes. « La guerre d'Espagne et la guerre du Nord, >> dit-il, seront menées de front. » Et il déclara publiquement que l'occupation du Portugal devrait être poursuivie avec la plus grande activité, dès que le permettraient les circonstances. Tout était prêt pour commencer avec vigueur les hostilités; Napoléon pouvait aller se mettre à la tête de ses armées, rassuré sur la situation intérieure de l'empire et sur tous les objets étrangers à la guerre. Quel est cependant le but politique qu'il va porter devant la coalition? Modifiera-t-il, avec les circonstances, son système européen, ou se battra-t-il pour rétablir chaque chose en la place qu'elle occupait avant le désastre de Moscow? Parlera-t-il encore en maître qui ne plie point, à ces alliés de la veille, tièdes et hésitant déjà aujourd'hui, demain peut-être ses ennemis? Ou bien, usant du prestige que ses victoires passées lui ont donné, se hâtant de profiter de la crainte qu'on doit avoir à Berlin, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, dans toute l'Allemagne, qu'il ne reprenne vigoureusement l'offensive et repasse l'Elbe et l'Oder à la tête de ses cinq cent mille hommes, essayera-t-il d'un traité de paix qui permette à la France épuisée de se refaire des pertes immenses qu'elle a éprouvées? La solution de cette question avait été l'objet des délibérations de son Conseil privé. Divers avis se produisaient dans ce Conseil, où Napoléon, quand il s'agissait de la grande politique, consultait surtout le prince archi-chancelier Cambacérès, le prince archi-trésorier Lebrun, Talleyrand, prince de Bénévent, Champagny, duc de Cadore, ancien ministre des relations extérieures, Maret, duc de Bassano, qui avait succédé, en 1811, à Champagny, Caulaincourt, duc de Vicence, Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre. La question avait été définitivement résolue dans une séance à laquelle assistaient, avec tous les ministres, l'archi-chancelier, M. de Talleyrand, le président du sénat et plusieurs grands officiers de la maison impériale. On venait d'apprendre la défection du corps prussien. L'empereur, après avoir exposé luimême cet événement, et mis sous les yeux de ses conseillers toutes les pièces qui le concernaient, s'était résumé en ces termes: «Dans cette conjoncture qui complique encore notre mau>> vaise situation, me conseillez-vous de négocier pour la paix, » ou de faire de nouveaux efforts pour la guerre? >>

Cambacérès, consulté le premier, opina pour la paix. Napoléon, que cette opinion satisfaisait médiocrement, s'adressa au prince de Bénévent qu'il estimait assez peu, qu'il tenait en une certaine défiance, mais dont il était bon cependant de connaître l'avis, ne fût-ce que pour savoir ce qu'il ne pensait pas. Talleyrand se déclara pour une négociation. « Votre Majesté, >> dit-il, a encore entre les mains des effets négociables; si elle >> attend davantage, et qu'elle vienne à les perdre, elle ne pourra >> plus les négocier. » L'empereur, frappé de ces paroles, pressa Talleyrand de s'expliquer sur ce qu'il entendait par ces valeurs négociables, et dans quelles limites il fallait les comprendre. Les valeurs négociables ne manquaient pas, en effet, entre les mains de Napoléon; il avait l'Espagne, le royaume de Naples, les Etats du pape, le royaume d'Italie, les bords du Rhin, la Belgique et la Hollande, sans compter la confédération du Rhin, le royaume de Saxe et la Pologne, toute l'Europe napoléonienne enfin. Talleyrand voulait-il dire qu'il fallait sacrifier tout cela, de peur de perdre davantage? Et que pouvait perdre de plus la France, que le fruit de ses conquêtes? Les pensées de Talleyrand n'avaient pas l'habitude d'habiter un palais de verre, et quelques efforts que fît l'empereur pour avoir une explication complète, l'oracle du prince de la diplomatie demeura enveloppé de son obscurité. Napoléon, préférant l'avis brutal du soldat à ces finasseries et à ces demi-mots qui sentaient leur chancellerie, se tourna vers le duc de Feltre, ministre de la guerre. La réponse de celui-ci eut du moins le mérite de la netteté : « Je regarderais Votre Majesté comme » déshonorée, s'empressa-t-il de répondre, si elle consentait >> à l'abandon d'un seul village réuni à l'empire français >> par un sénatus-consulte. »

-Voilà qui est clair, s'écria l'empereur. Et dès qu'on l'eut vu décidé ainsi à persister dans la politique qui avait amené la campagne de 1812, tout le Conseil s'empressa d'émettre le même avis.

Le 27 mars, M. de Krusemarck, ambassadeur du cabinet de Berlin à Paris, demanda ses passeports en remettant à Napoléon la déclaration de guerre du roi son maître, allié de l'empereur de Russie. Le système adopté sur la simple nouvelle de la défection du général prussien ne pouvait subir de modifications devant l'hostilité même de la Prusse. La dignité de la France était intéressée au strict maintien du statu quo enropéen. La coalition ne comprenait encore, d'ailleurs, que la Russie, la Prusse, la Suède et l'éternelle Angleterre.

Ce fut donc avec la résolution bien arrêtée « de ne pas aban>> donner un seul village de l'empire » que Napoléon quitta Saint-Cloud le 15 avril 1813, à 4 heures du matin, pour aller prendre le commandement de ses armées d'Allemagne. Le 16, il est à Mayence, où il passe en revue les troupes qui vont entrer en ligne. Quelques princes de la confédération du Rhin lui apportent l'assurance de leur dévouement. Le 25, il se trouve à Erfurth, au centre d'une armée formidable, dont les divisions, accourant de tous les points de l'empire, se réunissent, se groupent et prennent chacune leur place avec un ensemble parfait. C'est sur les bords de la Saale que va se décider le sort de l'Europe. Nos généraux y trouveront des champs de bataille déjà illustrés par leurs armes, sous la république et sous l'empire. A tout prendre, la situation n'est rien moins que désespérée. Cette coalition qui menace de loin encore nos frontières n'est-elle point la même qui campait en 1792 à quelques étapes de Paris, dans les défilés de l'Argonne, et que Dumouriez contraignit à une retraite précipitée? Si la France, depuis quinze ans, a eu ses journées glorieuses et ses victoires éclatantes, n'a-t-elle pas eu aussi ses mauvais jours, ses défaites? Et puisqu'elle a su se relever des abaissements du Directoire, alors que l'impéritie de son gouvernement l'avait mise à deux doigts de sa perte, lui sera-t-il impossible de se relever d'un échec que la fatalité et la rigueur du climat ont seules produit?

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