Images de page
PDF
ePub

le cours de la rivière, dont les bords sont profonds. Cette position est formidable, à en croire ce qui se dit à Dresde. Trois cents redoutes la défendent; toutes les hauteurs sont couronnées d'artillerie. Autour de Baschwitz, Jeukowitz et Kubchitz, sur lesquels s'appuie le centre de l'ennemi, on a exécuté tant de travaux, qu'on peut considérer ces villages comme de véritables places fortes, protégées par un terrain marécageux. La ligne n'a pas moins d'une lieue et demie d'étendue. C'est un autre camp de la Drissa; mais les Russes, cette fois, combattront sur leurs retranchements. Le quartier général de l'empereur de Russie et du roi de Prusse est placé au centre même du camp, dans une auberge isolée, dite Klein-Baschwitz.

Au milieu des conférences diplomatiques de Dresde, Napoléon apprend que l'ennemi, résolu de se tenir sur la défensive, se croit inexpugnable derrière la Sprée; il prépare à l'avance sa défaite par une manœuvre que lui suggère la position des troupes de Lauriston, de Ney et de Regnier, qu'il a lancées par Wittemberg sur la route de Berlin, couverte par le corps de Bulow. Calculant le moment précis où l'attaque du camp de Bautzen sera dans toute sa vigueur, il expédie au prince de la Moscowa l'ordre de laisser devant Bulow quelques mille hommes, afin de lui masquer son mouvement. Ney tournera brusquement par la droite, se portera avec rapidité sur le camp de Bautzen, qu'il prendra ainsi à revers, par Hoyerswerda et Kænigswartha, entraînant à sa suite toutes les divisions qui ont passé l'Elbe, entre Dresde et Wittemberg, et ramenant près de soixante mille hommes. Cet ordre, donné avec les détails les plus minutieux, étant exécuté avec précision, notre attaque de front coïncidera avec l'arrivée de ces soixante mille hommes; et l'ennemi, placé entre deux feux, culbuté dans ses retranchements, tourné par la gorge de ses ouvrages, sera forcé de précipiter sa retraite et de nous abandonner ses lignes importantes.

Le 18, Napoléon a quitté la ville de Dresde. Son armée s'est renforcée de la grosse cavalerie du général Latour-Maubourg, de la cavalerie italienne du général Frésia, et d'une seconde division de la jeune garde, commandée par le général Barrois. Le soir, il établit son quartier à Hartau. Le duc de Vicence est appelé auprès de lui. Au moment d'engager la grande bataille qu'il médite et dont il tient entre les mains le dénoucment, l'empereur a réfléchi. Il s'est rappelé la journée de Lutzen, où, faute de cavalerie, il n'a pu compléter sa victoire, et qui n'a été pour lui qu'un succès de position. Malgré les renforts qu'il a reçus, sa cavalerie est toujours insignifiante, et il craint que Bautzen ne soit encore qu'une brillante déception. Si, après leur défaite, les armées d'Alexandre et de FrédéricGuillaume, chassées de leur camp, vont se reformer plus loin pour l'attendre et le combattre de nouveau, la campagne se prolonge, et avec elle l'intrigue autrichienne. Or, l'Autriche a cent cinquante mille hommes qui demeurent l'arme au bras, comme une menace perpétuelle; et Metternich, mettant enfin un terme à ses irrésolutions, peut jeter tout à coup ce formidable appoint du côté de la coalition. Alors tout change sur les bords de la Sprée; nos communications avec la France sont compromises par l'insurrection allemande que ne manquera pas d'exciter, de faire éclater sur tous les points cette grande défection; nous perdons tous nos avantages, et c'est sur le Rhin que nous devons, à notre tour, aller défendre nos frontières battues en brèche. Napoléon, avec de la cavalerie, ne s'arrêterait pas un seul instant à la pensée d'un armistice: là est tout le secret de la soudaine résolution qu'il adopte. Une lettre portant ses instructions est remise au duc de Vicence, qui se rend auprès de l'empereur Alexandre avec plein pouvoir de négocier, conclure et signer toute convention militaire ayant pour but de suspendre les hostilités, et de préparer ce congrès de Prague où seront débattues les conditions de la paix du continent. En attendant le résultat de la mission du duc de Vicence, l'empereur fait continuer le mouvement offensif, et, le 19, le gros de l'armée a rejoint l'avant-garde du duc de Tarente, qui, depuis quelques jours, est tenue en échec devant le camp de Bautzen. Le duc de Vicence est de retour, dans la soirée, du quartier général de l'ennemi. On n'a pas voulu le recevoir, et il ne nous reste plus qu'à combattre. Alexandre a pénétré le motif qui porte Napoléon à demander un armistice, et c'est précisément le même motif qui lui fait repousser cette demande. Avec des chances égales des deux côtés, les coalisés traiteraient peut-être; mais ils se croient aussi supérieurs par la position que par le nombre, et ce qui manque aux Français, la cavalerie, est précisément ce qu'ils ont de plus fort (*). Fiers derrière leurs retranchements, ils ne se doutent pas de la marche que Ney exécute en ce moment sur leur revers. Nous aurons done une bataille, et ce sera pour nous une victoire.

Quatre de nos corps d'armée bordent la Sprée et se développent en face du camp, dans la matinée du 20. La droite, commandée par le duc de Reggio, passe la rivière sur un pont de chevalets, à une lieue en amont de Bautzen; repoussant les divisions russes de Gortchakow, elle occupe les collines qui s'élèvent entre Bautzen et les frontières de la Bohême. Le duc de Tarente a forcé le pont de pierre de Bautzen et soutient l'attaque du duc de Reggio; Miloradowitz lui est opposé. En aval de Bautzen, le duc de Raguse, malgré le feu des Prussiens du général Kleist, s'est établi également sur la rive droite de la Sprée. La garde et les réserves, sous les ordres du duc de Trévise, manœuvrent à notre extrême gauche et forcent l'ennemi à disséminer et à étendre ses moyens de résistance. La canonnade

(*) L'armée française était, pour ainsi dire, sans cavalerie; l'armée des alliés péchait par l'excès contraire. Un écrivain militaire qui vit les forces russes et prussiennes, à Dresde, un peu avant la bataille de Lutzen, a signalé dans une publication cette inutile surabondance de chevaux.

commence à midi, et pendant six heures le bronze tonne de part et d'autre sans discontinuer. Bautzen, après une vive résistance, est occupé par le général Compans, ainsi qu'un autre village; les hauteurs qui formaient la première position de l'ennemi, rejeté alors sur Wurtchen, derrière ses secondes lignes, sont couronnées par nos troupes. A huit heures du soir, Napoléon établit son quartier à Bautzen.

Cette première journée nous donnait la rive droite de la Sprée, et avait fortement entamé le camp formidable devant lequel les coalisés croyaient nous arrêter. Mais les divisions du maréchal Ney n'avaient pas encore paru, et nous savons que c'était sur elles que comptait l'empereur pour enlever le succès. Le combat recommença le lendemain, entre Bautzen et Wurtchen, avec un grand acharnement. L'empereur a calculé que le prince de la Moscowa doit déboucher sur la droite du camp, entre midi et une heure. Dans le but de détourner l'attention du point vulnérable, il ordonne aux ducs de Reggio et de Tarente d'entretenir l'attaque sur la gauche de l'ennemi, et de l'occuper assez pour qu'il ne puisse se dégarnir et renforcer sa droite. Vers les onze heures, Napoléon estime que Ney doit approcher; il fait battre les redoutes et tous les retranchements par le duc de Raguse, qui engage une canonnade épouvantable, après s'être porté hardiment à mille toises en avant de ses positions. La grande diversion attendue n'a point lieu encore, et jusqu'à deux heures la lutte continue avec des chances diverses. Les Français gagnent du terrain; ils enlèvent de temps en temps une redoute; les positions ennemies sont entamées; mais chacun de ces succès coûte si cher, le nombre des morts et des blessés est déjà si considérable, qu'au prix de tant de pertes, la victoire vaudrait presque une défaite, dans de telles conditions.

Nos soldats commencent à s'inquiéter de cette bataille acharnée qui dure depuis deux jours, et dont le dénouement sem

:

ble incertain; lorsque Napoléon, qui domine le feu du haut d'un mamelon, reconnaît à la direction des feux, au bruit qui s'élève sur la droite des coalisés, que le prince de la Moscowa a exécuté son mouvement et se trouve au rendez-vous qu'il lui a assigné.

L'arrivée de Ney, de Lauriston et de Reynier avec leurs soixante mille hommes, par la route de Berlin, apporte une immense perturbation dans les positions de l'ennemi, qui est obligé de changer sa ligne. Sa droite devient son centre, son centre sa gauche, car il faut qu'il s'allonge tout à coup par sa droite avec ses meilleures troupes pour repousser l'attaque sur un terrain qu'il n'a nullement étudié.

Le duc de Dalmatie, les divisions de Latour-Maubourg, plusieurs batteries se portent sur le nouveau centre des coalisés. Les généraux Dulauloy et Drouot s'avancent avec soixante pièces et enlèvent des files entières de Russes et de Prussiens. Bertrand avec le quatrième corps italien, le duc de Trévise avec les divisions de la jeune garde, secondent ce mouvement. L'ennemi est forcé de dégarnir sa nouvelle droite, de peur d'être enfoncé par le centre. Ney en profite pour pousser des colonnes en avant; il envahit le village de Preilitz, et déborde déjà l'armée ennemie. Il est trois heures. Napoléon annonce à ceux qui l'entourent que la bataille est gagnée. En effet, voyant leur droite tournée et leur centre ébranlé, ne pouvant renforcer l'une de ces positions sans que l'autre ne soit immédiatement perdue, et trop affaiblis pour les défendre l'une et l'autre à la fois, les généraux coalisés font sonner la retraite. A six heures du soir, Ney et Lauriston pointent sur Wurchen; le duc de Raguse attaque toutes les redoutes et tous les villages fortifiés. Blücher qui a tenu jusque-là sur les hauteurs de Kreckwitz, assailli par trois côtés est précipité sur les pentes. Toutes les redoutes sont en notre pouvoir, toutes les collines sont emportées et couronnées; mais cette dernière partie de

,

TOME V.

12

« PrécédentContinuer »