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leurs efforts contre notre centre. Wittgenstein et Barclai de Tolly envahissent et perdent quatre fois le village de Probstheyda. La garde, formant quatre colonnes toujours dirigées vers les points d'attaque, se porte partout où quelque vide se fait, pour soutenir nos troupes harassées, rétablir le combat, et remplir ainsi le rôle d'une réserve perpétuelle.

Laissons un moment le champ de bataille de Probstheyda pour voir ce qui se passe sur la Partha. Bernadotte a opéré sa jonction avec Blücher. De son côté, le prince de la Moscowa s'est renforcé des divisions saxonnes commandées par le général Reynier; ce dernier couvre le village de Reudnitz. Les Prussiens de Blücher essaient à plusieurs reprises de s'emparer du faubourg de Halle; ils échouent dans toutes leurs tentatives et l'avantage est pour nous de ce côté. Mais Bernadotte a franchi la Partha, et il marche sur Reudnitz. Reynier s'apprête à le repousser, lorsque tout à coup l'infanterie, la cavalerie, l'artillerie saxonne et la cavalerie wurtembergeoise placées sous ses ordres, font un mouvement en avant, l'arme au bras, et vont se ranger sur la ligne des coalisés. Reynier court à ses divisions: «Où allez-vous? que faites-vous? » s'écrie-t-il. Quelques jeunes officiers saxons se précipitent vers lui et le supplient de s'éloigner. « Voyez, leur disent-ils, notre armée entraînée par des traîtres, passe à l'ennemi; retirez-vous, et n'ajoutez pas à notre honte celle de livrer notre général ! >>>

C'est une défection de douze mille hommes et de quarante pièces de canon. Les Saxons poussent l'infamie jusqu'à tourner immédiatement leurs armes contre les Français. Leur artillerie porte le carnage dans nos rangs. La division Delmas est hachée par leur feu, et ce général lui-même tombe frappé d'un coup mortel. Napoléon, de la hauteur où est placé son quartier général, a été témoin de cet événement qui nous compromet gravement. Il s'élance au galop vers Reudnitz, suivi des réserves de la garde. Les Suédois et les Saxons étaient déjà dans le village. L'empereur rallie nos colonnes éparses, remplit avec sa garde le vide qui s'est fait dans leurs rangs, rétablit le combat, chasse l'ennemi, et revient à la hâte vers Probstheyda pour diriger de nouveau l'action principale.

L'armée de Schwartzenberg, découragée par l'inutilité de ses attaques sur les trois principaux points de notre ligne, Connewitz, Probstheyda et Stotteritz, se retire avec lenteur. Mais pendant que ce mouvement s'opère, ses batteries font des décharges très nourries et nous tuent beaucoup de monde. La canonnade se prolonge ainsi jusqu'au soir, et la nuit seule fait taire le bronze.

Il était six heures. Le feu du bivouac s'allumait, et Napoléon, entouré de son état-major, se rendait compte du résultat de la journée. La bataille de Leipsick a eu le même dénouement que celle de Wachau; seulement, c'est sous les murs même de la place que nous campons maintenant. Profitera-t-on de la nuit pour évacuer Leipsick, traverser l'Elster et se retirer par la route d'Erfurth que le général Bertrand nous a préparée; ou faut-il tenter un troisième combat? L'empereur ne peut se décider à fuir devant un ennemi qu'il a vaincu deux fois en trois jours. Tout rempli des souvenirs de sa gloire passée, il ne voit point les conditions tout exceptionnelles dans lesquelles il est placé; il ne songe pas qu'une nouvelle bataille semblable aux deux précédentes réduirait son armée, si victorieuse qu'elle soit, à une poignée de braves, isolée au milieu d'une horde innombrable de vaincus, dont les colonnes pressées finiraient par lui couper toute retraite et l'ensevelir dans son propre triomphe. Un rapport des commandants de l'artillerie Dulauloy et Sorbier coupe court à cette perplexité. Depuis trois jours on a tiré deux cent vingt mille coups de canon. Les munitions ont été épuisées. Les magasins où l'on trouverait à s'approvisionner sont à Torgau, Magdebourg et Erfurth; on ne peut songer aux deux premiers; Erfurth est donc notre seule ressource, et il

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faut se håter de gagner cette place. Napoléon se fait présenter les états; il reconnaît lui-même qu'il nous reste à peine seize mille coups. Aussitôt des ordres sont envoyés pour que tous les corps se replient sur Leipsick. Le passage de la rivière commence sans retard.

Rentré à Leipsick, Napoléon va faire ses adieux au roi de Saxe, ce fidèle allié que la défection de son armée à rempli de douleur et qui ne veut point nous abandonner de sa personne. L'empereur n'accepte pas ce nouveau témoignage de dévouement de Frédéric-Auguste; il le presse de rester au milieu de ses États et le délie de ses engagements. Le mouvement de retraite est commencé par le corps du duc de Bellune et du duc de Castiglione. C'est le duc de Tarente, le prince Poniatowski et le général Lauriston qui défendront la ville avec les débris de leurs divisions, pendant que nos colonnes, les bagages, les fourgons et les blessés s'écouleront par le long défilé de Lindenau. Le grand pont qui est en tête de ce défilé, à l'extrémité du boulevard, a été miné. Le colonel Montfort est chargé de veiller sur les fougasses, et d'y mettre le feu dès que notre arrière-garde l'aura franchi. Le 19, à la pointe du jour, tous les parcs, les bagages, une grande partie de la cavalerie et de l'artillerie, toute la garde avaient évacué la ville; mais déjà l'ennemi s'était aperçu de notre mouvement, et il accourait de toutes parts pour pénétrer dans la place et se précipiter sur nos pas. Lauriston, le duc de Tarente et Poniatowski le reçoivent avec vigueur, le repoussent de tous les faubourgs du midi, pendant que Blücher, au nord, essaie en vain de s'emparer du faubourg de Halle. A neuf heures du matin, Napoléon sort de Leipsick et va s'établir à Lindenau, pour voir défiler l'armée et présider lui-même à toutes les opérations de la retraite.

Notre arrière-garde, assaillie sur tous les points, commençait à fléchir. Les faubourgs étaient envahis. Des soldats saxons qui se trouvaient dans la ville, profitent du désordre de nos

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