tentions, avant que la sainteté des traités n'ait enfin assuré une paix véritable à l'Europe. >> C'était donc pour rendre la France grande, forte, heureuse, que l'Europe monarchique, que toutes les aristocraties du continent se précipitaient sur nous; et non pour venger leurs défaites, pour reprendre l'œuvre de Pilnitz, pour comprimer et même détruire le grand foyer des idées démocratiques, déjà couvert de cendres par les institutions impériales, mais qui pouvait encore, réveillé par un souffle révolutionnaire, faire jaillir au loin ses flammes ardentes! C'était donc pour raffermir notre puissance, dans ses limites naturelles, avec des vues libérales, que s'avançait la coalition; et non pour ruiner la nation française, pour l'humilier, l'abaisser, la courber so le joug d'une monarchie oppressive! Odieuse profanation de ce qui est sacré aux yeux de tous les hommes d'honneur, la parole! Jeu infâme des rois qui vendent et achètent les peuples, comme une marchandise inerte! Laissez-les pénétrer sur le sol de la patrie, ouvrez-leur vos villes et vos citadelles, et vous verrez ce qu'ils feront de cette France qui, si souvent, les avait épargnés, quand elle avait le droit de les faire rentrer dans le néant, le lendemain de ses immortelles batailles! Nos frontières étaient dégarnies; les débris de nos divisions, sauvés de Leipsick, décimés par les fièvres, avaient presque entièrement disparu. L'ennemi n'avait qu'à franchir le Rhin; nul obstacle ne lui était opposé. L'avant-garde de Schwartzenberg passa sur la rive gauche du fleuve le 21 décembre; le feld-maréchal adressa en même temps aux Français cette proclamation : << Français, la victoire a conduit les armées alliées sur votre frontière; elles vont les franchir. « Nous ne fasons pas la guerre à la France; mais nous repoussons loin de nous le joug que votre gouvernement voulait imposer à nos pays, qui ont les mêmes droits à l'indépendance et au bonheur que le vôtre. << Magistrats, propriétaires, cultivateurs, restez dans vos foyers. Le maintien de l'ordre public, le respect pour les propriétés particulières, la discipline la plus sévère, marqueront le passage et le séjour des armées alliées; elles ne sont animées de nul esprit de vengeance. << D'autres principes et d'autres vues que celles qui ont conduit vos armées chez nous, président au concert des monarques alliés: leur gloire sera celle d'avoir amené la fin la plus prompte des malheurs de l'Europe. La seule conquête qu'ils ambitionnent est celle de la paix; mais d'une paix qui assure à eurs pays, à la France, à l'Europe, un véritable état de repos. Nous espérions la trouver avant de toucher au sol français; nous allons l'y chercher. << Au quartier général de Lærrak, le 21 décembre 1813. « Signé, le général en chef de la grande armée des alliés, <<< Le feld-maréchal, prince de SHWARTZENBERG. » Le 1er janvier 1814, Blücher avait également passé le Rhin, entre Manheim et Coblentz; il publia aussi sa Proclamation aux Français. Beaucoup plus militaire que la précédente, cette pièce était empreinte du caractère particulier du général prussien, brutal, dur, à demi sauvage, parlant de la paix et menaçant de la peine de mort tout individu qui trahirait les puissances alliées, c'est-à-dire qui continuerait à communiquer avec le gouvernement de Napoléon. Arrêtons-nous un moment; suspendons notre récit. L'heure des désastres a sonné, et les os de nos guerriers héroïques ne blanchiront plus sur les champs de bataille du Rhin, de i Oder, de la Sprée; le sol de l'empire a subi l'offense de l'invasion, et ce sont les plaines de la patrie qui leur serviront de tombeau! Dans la convulsion de la terreur, nous avons vu la France républicaine rejeter au delà de ses frontières galvanisées les soldats de la coalition de Pilnitz. La France impériale est plus sage que son aînée de 1793; elle n'a pas son fanatisme ardent, ses terribles extrémités; elle ne fait point tomber la tête de son premier magistrat sous le triangle d'acier; elle dédaigne la pique des faubourgs; les nobles et les prêtres mourront dans leur lit. Mais sa sagesse négative s'arrête tout juste où le patriotisme finit, où commence l'égoïsme; et si elle se dérobe aux grandes fatalités, c'est pour se jeter dans les grandes défaillances! CHAPITRE XVIII. Les adieux aux Tuileries et les adieux au peuple. - Traité de Valençay. - Trahison de Murat. Campagne de France. -- Combat de Brienne. - Bataille de la Rothière. - Congrès de Châtillon. - Champaubert, Montmirail, Vauxchamps. - Mouvements des royalistes. La politique de M. de Talleyrand. - Traité d'alliance de Chaumont. - Victoire de Craône. - Levée en masse. - Carnot.Événements de Bordeaux et de Lyon. - Rupture du Congrès de Châtillon. Combat d'Arcis-sur-Aube. - Journée de la Fère-Champenoise. - Les alliés sous Paris. JANVIER. - MARS 1814. Une touchante solennité eut lieu aux Tuileries le 24 janvier 1814. Les officiers de la garde nationale nouvellement élus, furent reçus par l'empereur, et prêtèrent serment de fidélité. Napoléon s'avança vers eux, tenant par la main l'impératrice et le petit roi de Rome. Leur annonçant son départ pour l'armée : « Il est possible, dit-il, que par suite des mouvements que je vais exécuter, l'ennemi trouve l'occasion de s'approcher de Paris. Mais ce danger n'aurait rien de sérieux, parce que je serai toujours en mesure d'accourir et de vous délivrer. Je vous recommande d'être unis entre vous. On ne manquera pas de chercher à vous diviser, à ébranler votre fidélité à vos devoirs. Je compte sur vous pour repousser toutes ces coupables insti TOME V. 18 gations. Je vous laisse l'impératrice et le roi de Rome..... ma femme et mon fils! Je partirai l'esprit dégagé de toute inquiétude, parce qu'ils seront sous votre sauvegarde. Ce que j'ai de plus cher au monde après la France, je le remets entre vos mains! » Napoléon prononça ces dernières paroles avec émotion, et des marques sensibles de sympathie lui furent données par tous les témoins de cette scène, où l'empereur avait un instant disparu pour laisser voir le père et l'époux. La grande majorité des officiers de la garde nationale quitta les Tuileries avec la ferme résolution de ne plus remettre l'épée au fourreau, que les ennemis de la France n'eussent repassé les frontières. Ils étaient tous sincères, en ce moment; mais quand l'impression de cette journée se fut affaiblie; lorsque l'image de cette femme et de cet enfant, espoir de la dynastie impériale, eut disparu: ils retombèrent tous dans ce chaos, dans cette indécision, dans ce découragement, dans cette défaillance morale qui formaient le fond de l'esprit des classes moyennes à cette époque. Le roi de Rome et l'impératrice n'eurent plus de défenseurs. Napoléon ignorait que la philosophie de Voltaire et la philosophie de Rousseau avaient rendu impossible en France une répétition de ce drame chevaleresque où Marie-Thérèse, présentant ses enfants aux Hongrois, leur disait : « Messieurs, je viens vous remettre la femme et la famille de votre souverain; ne souffrez pas que l'on désunisse sur la terre ce qui a été uni dans le ciel! » Voltaire avait éteint toute espèce de foi dans l'esprit de la bourgeoisie, y compris le culte de la royauté; et Rousseau avait allumé dans les masses une foi nouvelle, celle de la démocratie devant laquelle a disparu toute autre croyance politique. Il y aurait eu, en 1814, un autre spectacle à offrir aux Parisiens. Le souverain n'excitait qu'un enthousiasme passager et factice en essayant de réveiller les sentiments dynastiques; le défenseur de la nationalité française, le repré |