qui a son dessein et ne veut pas nous la livrer avant la nuit, envoie au secours du général Doctorow, chargé de la défense, tout le corps de Baggowouth, et le combat se poursuit avec de nouvelles fluctuations. Quarante mille Russes ont donné; mais les ténèbres suspendent l'action. Le général Korw garnit alors les remparts d'une division, tandis que les autres repassent le fleuve et se réunissent au gros de l'armée. Cette retraite achevée, les ponts mobiles repliés, Korw lui-même se retire après avoir mis le feu aux quatre coins de la ville. A une heure du matin l'incendie éclate et dévore les plus beaux bâtiments. A deux heures, on allait tenter l'assaut, lorsqu'on s'aperçut que la place était évacuée et qu'on pouvait l'occuper sans coup féir. Il est vrai que Smolensk n'était plus qu'une immense ruine! Aux premières lueurs du jour, la ville est envahie et l'on s'efforce d'arrêter l'incendie. Les rues, les places offrent un spectacle affreux: quatre mille cadavres; des blessés partout, quelques familles poussant des cris de désolation, disputant aux flammes les restes de leurs habitations, et des nuages de fumée roulant entre deux monceaux de débris, de tisons et de pierres noircies. Bagration se retirait avec son corps intact sur la route de Moscow; Barclai de Tolly occupait celle de Saint-Pétersbourg. Le 20 au matin, le maréchal Ney, le prince d'Eckmülh, le roi de Naples et le duc d'Abrantès traversent le fleuve. Ney, chargé d'aller reconnaître les mouvements de retraite de l'ennemi, rencontre sur les hauteurs de Valoutina-Gora une ligne d'infanterie qui le reçoit à coups de fusil. Le combat s'engage, et les Russes opposent une résistance désespérée aux attaques du maréchal. Leur retraite s'opère lentement de hauteur en hauteur, et ils rallient plusieurs renforts qui portent, avant la nuit, leur nombre à quinze mille hommes. Ney, de son côté, réunit ses divisions, celles du roi de Naples accourent, et l'on fait, de part et d'autre, des prodiges de valeur. Le général Gudin a les jambes fracassées par un boulet. Un simple capitaine, nommé Étienne, fait prisonnier le général Touschkow. A trois heures du matin, Napoléon arrive sur le champ de bataille et apprend ce qui s'est passé. Grâce à la barrière que les divisions de Toutchkow, Ostermann et Baggowouth ont opposée aux Français, sur les hauteurs de Valoutina, l'armée de Barclai de Tolly a pu défiler dans un chemin de traverse caché derrière les hauteurs, et qui l'a conduite de la route de Saint-Pétersbourg sur celle de Moscow. Engagé dans un véritable ravin, Barclai de Tolly, malgré les troupes qu'il avait placées en avant de Valoutina, était perdu, si le duc d'Abrantès eût accompli la manœuvre que lui prescrivaient les ordres de Napoléon. Junot avait passé le Dniéper à Prouditchevo, et il n'avait qu'un pas à faire pour déboucher sur la route de Moscow, au-delà du défilé de Valoutina, c'est-à-dire pour rejeter et pour écraser le général russe dans ce défilé, où les colonnes resserrées ne pouvaient faire aucun mouvement offensif, où la cavalerie devenait inutile, où l'artillerie était un embarras. Junot s'arrête obstinément sur les bords du fleuve, et se refuse à toute opération, malgré les instances et même les sommations du roi de Naples. Il partage avec le roi Jérôme et le général Oudinot la lourde responsabilité des désastres prochains; car il est permis de croire que la campagne de Russie aurait eu une autre issue et de moins épouvantables catastrophes, si l'armée de Bagration avait été détruite dans les marais de Pinsk, si Wittgenstein avait été rejeté sur le golfe de Riga, ou si l'armée de Barclai de Tolly avait été détruite dans le chemin de traverse de Valoutina. Les bulletins de deux journées heureuses pour notre armée de la Volhynie et pour notre armée de la Dvina arrivent à Smolensk. En Volhynie, Schwartzenberg et le général Reynier ont battu Thormasow à Glorodezna; à Polotsk, le comte GouvionSaint-Cyr, qui a pris le commandement du général Oudinot, a défait la petite armée de Wittgenstein. Dans cette dernière bataille, l'armée française a perdu le vieux général Deroy, et une grave blessure a mis le brave général Verdier hors de combat. Après une halte de quatre jours à Smolensk, l'armée se remet en marche; on se diririge sur Moscow! Un instant on a cru à des ouvertures de paix: un parlementaire russe s'est rendu auprès de Napoléon. Les princes, les maréchaux, les comtes et les ducs, que Moscow effraie toujours, ont un éclair de joie; mais le parlementaire n'est venu que pour avoir des nouvelles du général Toutchkow, notre prisonnier, Dès que le mouvement sur Moscow est bien nettement dessiné, les murmures recommencent, les plaintes grandissent; mais la grande bataille, poursuivie depuis si longtemps, va opérer une profonde diversion et ramener, pour un instant, dans les conditions ordinaires cette guerre de Parthes. Le général Kutusow a pris, le 29 août, le commandement en chef. L'opinion publique est péniblement impressionnée par ces retraites continuelles, qu'elle attribue à l'impéritie des généraux. Il faut une action d'éclat pour la relever. On ne livrera pas Moscow comme on a livré Wilna, Witepsk, Smolensk. Les divisions ennemies se concentrent autour de Borodino, sur la Kalouga, petite rivière qui se jette dans la Moscowa, à quelques lieues de la capitale de l'ancienne Russie; elles choisissent une position formidable, sur une suite de plateaux défendus en partie par des ravins. L'armée française, forte de cent trente mille hommes environ, s'avance sur trois colonnes. La cavalerie de Murat, la garde impériale, les corps du prince d'Eckmülh et du duc d'Elchingen forment la colonne du centre, qui marche par la grande route de Moscow; la colonne de droite est commandée par le prince Poniatowski; celle de gauche, qui s'étend à deux lieues, est placée sous les ordres du vice-roi; les Westphaliens sont à l'arrière-garde. Le pays que l'on traverse est fort beau, couvert de bestiaux et de moissons; le soldat est dans l'abondance, et il oublie les privations qu'il a subies. Des vivres en quantité et la perspective d'une bataille, c'est plus qu'il n'en faut à des troupes françaises pour être animées du meilleur esprit et pour doubler gaîment les étapes. | Pendant cette marche, à la veille de la grande bataille qui va décider peut-être du sort de la Russie, ou plutôt de l'empire du monde, Napoléon saisit avec empressement une occasion qui se présente de parler au cœur d'Alexandre, et de lui faire entendre, au milieu des fureurs de cette guerre acharnée, des paroles où perce un vif désir de la paix et de la réconciliation. L'histoire impartiale doit recueillir avec soin et mettre en relief les documents semblables à celui qu'on va lire; car l'éclat des grands événements, les retentissements des champs de bataille ne les font que trop souvent oublier. Un second parlementaire se présente de la part du général Barclai de Tolly, pour s'informer de ce qu'est devenu le premier envoyé qui s'était rendu à Smolensk dans le but d'avoir des nouvelles du général Toutchkow, et n'est pas encore de retour au quartier général russe. Napoléon dicte au prince de Neufchatel la réponse suivante : « Monsieur le Général, M. Orlow, officier aux gardes, envoyé en parlementaire pour avoir des nouvelles du général Toutchkow, a été envoyé mal à propos de l'avant-garde sur Smolensk, au moment des opérations de l'armée, ce qui a fait diriger son retour par les avant-postes de notre droite, qui s'avance sur Viazma. Il doit être arrivé à l'heure qu'il est; mais j'ai eu l'attention de donner des nouvelles du général Toutchkow, en faisant passer une lettre de ce général, qui est parti pour Metz. A cette occasion..... » L'empereur s'arrête; il réfléchit un instant. Ce qui va suivre doit être l'expression d'un sentiment si délicat, et doit offric de telles nuances, qu'il veut l'écrire lui-même, afin d'imprimer à sa pensée sa véritable et intime couleur. Il suppose qu'Alexandre Ier est dans le camp russe, et il se dit que son frère de Tilsit et d'Erfurt sera peut-être touché comme par un rayon de leur ancienne amitié, en lisant ces lignes. Il écrit done : << A cette occasion je renouvelle à V. E. la proposition que je lui ai faite d'établir un cartel d'échanges et de régler les communications des deux armées, ainsi que la manière dont les parlementaires doivent être traités. S. M. voit avec peine les maux que souffre le pays. Elle voudrait que l'empereur de Russie laissât des gouverneurs civils pour prendre soin du peuple et des propriétés, et diminuer par là les maux de la guerre. C'est l'usage qui été suivi dans toutes les guerres; au surplus, en faisant cette proposition à V. E., je m'acquitte d'un devoir cher au cœur de mon souverain. L'empereur, monsieur le baron, à qui j'ai communiqué cette lettre, me charge de vous prier de faire ses compliments à l'empereur Alexandre, s'il est à l'armée, ou au premier rapport que vous lui ferez. Dites-lui que ni les vicissitudes de la guerre, ni aucune circonstance, ne peuvent altérer l'estime et l'amitié qu'il lui porte. >>> a L'illusion qui a dicté ces paroles à Napoléon ne sera point dissipée par l'acte d'une implacable politique qui l'attend à Moscow. Mais une bataille nous sépare encore de la capitale de la vieille Russie; tout se prépare pour une journée sanglante qui sera la réponse de Kutusow à cette ouverture chevaleresque de l'empereur. 1 L'armée française est à Ghjath; deux marches seulement la séparent des positions de Borodino, où les divisions russes préparent leur ligne de bataille, et rallient depuis quelques jours tous les corps épars. Napoléon fait à Ghjath une halte de soixante-douze heures, qui lui permet de prendre toutes ses dispositions pour une action décisive. Le 4 septembre, on marche sur l'ennemi, et le 5, vers le milieu de la journée, nous découvrons ses postes. La division Compans, formant notre avant-garde, se jette avec tant d'impétuosité sur la redoute de Schwardina, oui est placée au-devant des lignes rus 1 |