Images de page
PDF
ePub

»complissement des formalités prescrites par l'article 1690. » Néanmoins sa situation est préférable à celle du créancier » conditionnel. Ce dernier, en effet, peut n'être jamais créan»cier; le cessionnaire, au contraire, a réellement acquis un » droit de créance; s'il n'en est pas investi immédiatement à » l'égard des tiers, cela tient uniquement à une disposition >> contingente de la loi française, inconnue du droit romain » comme de plusieurs législations étrangères, mais ne tenant » pas au fond même du droit. Donc, si le créancier condi» tionnel doit être reçu à faire des actes conservatoires, à » plus forte raison doit-il en être ainsi du cessionnaire dont » le droit a plus de consistance que l'espérance du créancier » conditionnel. »

Cette proposition du brillant écrivain est formulée dans des termes dont le vague n'échappera à personne. Oui, il est vrai que le cessionnaire a plus qu'une espérance. La formalité du transport est une chose moins incertaine, moins éventuelle que l'événement qui tient en suspens la réalisation d'une condition suspensive contractuelle, car son accomplissement dépend entièrement de la volonté du cessionnaire, en d'autres termes la condition est potestative.

Mais cette différence ne fait pas obstacle à ce que le cessionnaire soit un créancier conditionnel; l'auteur le dit implicitement (t. II, p. 113).

« L'effet translatif de la cession se trouve subordonné, à l'égard des tiers, à l'observation de l'art. 1690, C. civ. »

Le droit du cessionnaire contient-il encore autre chose? Oui. Il y a encore un prétendu droit de propriété de la créance vis-à-vis du cédant; mais nous verrons que ce droit est précaire, sujet à résolution ou annulation, absolument nominal, dépourvu de la moindre valeur économique.

Ainsi donc, la précision qui est de rigueur dans les qualifications juridiques ne peut s'accommoder de la proposition de M. HUC, interprétée en ce sens que le cessionnaire est plus qu'un créancier'conditionnel.

Il existe un autre jugement qui, celui-là, s'écarte de la précision juridique au point de dénaturer le droit du cessionnaire, c'est celui de TROPLONG portant que ce droit est une

quasi-propriété. LAURENT (t. XXIV, no 519) apprécie sévèrement cette qualification fantaisiste.

Le langage que tient M. HUC peut, à la rigueur, être interprété comme admettant la possibilité d'une position intermédiaire entre le droit conditionnel et le droit pur et simple.

La loi civile n'offre pas de surface susceptible de contenir cette construction juridique.

La jurisprudence rapporte une tentative ingénieuse, d'une conception de même nature, qu'un grand jurisconsulte formula sans succès.

WINDSCHEID, voulant définir par une création technique la condition sous entendue par laquelle le recevant n'encaisse le paiement que sous l'hypothèse que la chose payée lui soit due, dit qu'il y a là une condition non développée (unentwickelte bedingung), qu'il appelle « voraussetzung ». Cette proposition est combattue par la doctrine allemande qui déclare qu'il ne peut exister de position intermédiaire entre le terme et la condition (1).

* *

Cette théorie du droit conditionnel est intéressante au point de vue de ses applications.

La cession non signifiée ne peut être assujettie au droit proportionnel. Le droit n'est dû au fisc que si l'acte contient en forme authentique l'acceptation du débiteur ou si la cession est signifiée au débiteur.

Que si cependant l'administration perçoit le droit proportionnel sur l'acte de cession, restitution est due au cessionnaire quand il est établi que la condition a défailli.

Tant que la cession n'est pas parfaite par la signification ou l'acceptation en forme du débiteur, la créance fait partie du patrimoine du cédant et passe à ses héritiers qui sont rede

(1) WINDSCHEID, Die lehre des römischen rechts von der voraussetzung, P. 207. Voy. l'indication des autorités : ZIMMERMANN, Beiträge zur theorie der condictio indebiti (Giessen, 1868), p. 4, note 5.

vables envers le fisc des droits de mutation par décès, sauf la résolution du droit des héritiers, pouvant résulter ultérieurement de l'événement d'une signification.

Au point de vue fiscal, le droit du cessionnaire ne donne donc prise à aucune perception du chef d'une mutation quelconque; tant que la publicité n'est pas accomplie son droit n'est que suspensif.

Cette même théorie présente encore un intérêt pratique assez considérable, en ce qu'elle donne une base juridique au droit jusqu'ici non démontré et fort controversé du cessionnaire d'exercer des actes conservatoires de la créance. RENT, Principes, t. XXIV, nos 518 et s.

Voy. LAU

Voici un argument que nous proposons à l'appui de la théorie d'un droit conditionnel du cessionnaire.

Sans l'hypothèse d'une condition, la signification du transport est impuissante à conférer au cessionnaire la propriété intégrale de la créance.

Prenons le cas d'une compétition entre deux cessionnaires : A, premier en date; B, second en date. B signifie le premier la cession.

Acquiert-il la propriété intégrale de la créance?

Raisonnons d'abord selon une première hypothèse qui est celle de la

a) NON CONDITION.

La signification dessaisit le cédant du droit de propriété vis-à-vis des tiers et saisit B de ce même droit.

B a-t-il la propriété intégrale? Mais certainement! dira-t-on. Les deux aspects complémentaires du droit de propriété de la créance se sont réunis dans une seule main.

N'est-ce pas une erreur?

En effet, le cédant n'est pas propriétaire vis-à-vis de tous les tiers, car il avait vendu la créance à A qui est propriétaire vis-à-vis de lui; le contenu du droit que le cédant a pu passer à B, c'est donc son droit de propriété vis-à-vis des tiers, A excepté. B n'a donc pu acquérir du cédant la propriété de

la créance vis-à-vis de A; donc son droit n'est pas complet. Il nous semble que des inconvénients pratiques peuvent résulter de cette lacune.

B pourrait-il réclamer à A, devenu héritier du débiteur, le remboursement de la créance?

Le débiteur paie A par erreur et devient insolvable. B se fait subroger dans son action en répétition contre A. On demande si celui ci ne peut point exciper de sa qualité et tenir ce langage à B: Je suis propriétaire vis-à-vis de vous, il vous est donc interdit de plaider que le paiement qui m'a été fait est indu?

La simple attribution, par la volonté de la loi, du droit du cédant au cessionnaire, sans le jeu d'une condition, ne remplit donc pas les exigences de l'art. 1690, qui doit saisir le cessionnaire vis-à-vis de tous les tiers.

Procédons ensuite d'après la deuxième hypothèse qui est celle de la

b) CONDITION.

Cette hypothèse prend corps de la manière suivante :

1o Le cédant est propriétaire vis-à-vis des tiers, sous la condition résolutoire de la signification du transport. A et B, cocontractants du cédant, ne sont pas des tiers pour lui;

2o A est créancier sous condition résolutoire vis-à-vis du cédant et sous condition suspensive vis-à-vis des tiers, B compris ;

3o B est créancier sous condition résolutoire vis-à-vis du cédant et sous condition suspensive vis-à-vis des tiers, A compris.

Nous allons maintenant faire agir la condition et nous verrons si les résultats cadrent avec les desiderata.

B signifie le transport. Trois effets se produisent instantanément :

1o Le droit du cédant vis-à-vis des tiers est résolu ;

2o Le droit de A vis-à-vis du cédant est résolu; son droit suspensif vis-à-vis des tiers ne peut plus se réaliser et s'évanouit;

3. Le droit résolutoire de B vis-à-vis du cédant devient un

droit pur et simple; son droit suspensif vis-à-vis des tiers se réalise.

B est donc créancier complet. La saisine vis-à-vis des tiers est une réalité.

Ce résultat présente une différence avec celui de la première hypothèse ; nous la caractérisons.

A, par l'effet de la signification, est dépouillé de tout droit de créance, tandis que B devient créancier vis-à-vis des tiers en général et de A en particulier.

Motivons de plus près ce dernier résultat.

A n'avait obtenu du cédant qu'un droit de propriété grevé de l'éventualité d'une résolution en cas de signification faite par un second cessionnaire plus diligent. Cet accord tacite résulte de ce que les parties ont contracté sous le couvert de l'art. 1690.

Le cédant avait donc pu transférer à B, postérieur en date, sans violer la règle Nemo plus juris, un droit de propriété suspensif vis-à-vis de A, tiers par rapport à B.

La signification résout le droit résolutoire de A vis-à-vis du cédant et fait évanouir le droit éventuel du même par rapport à B. Voilà comment il se fait que A est complètement dépouillé.

La formalité, d'autre part, rend B créancier vis-à-vis des tiers, A compris.

Ce qu'il fallait démontrer.

Nous estimons que le système de la scission du transfert de la créance renferme une impossibilité juridique insurmontable quelle que soit d'ailleurs l'explication de son jeu intime qu'on imagine.

Les données du problème sont définies avec une netteté et une précision qui excluent tout malentendu.

Répétons-les:

La cession transfère la propriété de la créance entre parties; tant que la formalité n'est pas accomplie, le cédant reste saisi de la propriété de la créance vis-à-vis des tiers.

« PrécédentContinuer »