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Le cessionnaire est donc créancier vis-à-vis du cédant, mais il ne l'est pas vis-à-vis du débiteur, car le débiteur est un tiers et c'est au cédant seul qu'appartient la qualité du créancier vis-à-vis des tiers. Le cessionnaire est donc un créancier sans débiteur.

Faut-il dire qu'une créance est un rapport obligatoire qui comporte essentiellement un sujet passif; et que, par conséquent, la conception de la translation de la créance entre parties est une chose absurde?

L'hypothèse du jeu caché d'une condition explique cette tare. Le cessionnaire est créancier sous condition résolutoire vis-à-vis du cédant; il a donc un droit actuel qui exige un sujet passif. Or, ce sujet passif il ne l'a pas, parcequ'il n'est créancier du débiteur que sous condition suspensive, c'est-àdire créancier éventuel. Créancier actuel vis-à-vis du cédant, créancier éventuel vis-à-vis du débiteur, est une combinaison absurde.

L'impossibilité juridique du système tient à la compréhension du mot tiers qui englobe le débiteur.

Pour écarter l'obstacle, il faudrait exclure le débiteur de la nomenclature des tiers que la sanction protège. On ne peut le faire sans dénaturer les données du problème, preuve que le résultat de la solution tient à un vice du système.

Après épuisement de tous les moyens d'investigation, nous croyons devoir affirmer notre profonde conviction sur l'irréductibilité de cette hérésie.

L'origine de cette erreur ?

Si l'explication que l'on donne de l'art. 1690, C. civ., est exacte, il faut admettre que l'on a négligé d'approfondir la formule en apparence fort séduisante: « Propriété transmise entre parties par l'effet du consentement, transmise à l'égard des tiers par la tradition » avant que d'en décréter l'adoption.

Innover dans une matière fondamentale est doublement périlleux, quand on prétend combiner un système bâtard, sans avoir étudié à fond les antécédents de l'histoire. Le danger de pareils incidents achève de démontrer l'excellence de la méthode de l'Ecole historique.

* **

Il est enfin une vérité qu'il convient de mettre en relief, c'est le néant pratique du transfert de la créance entre parties. La valeur économique d'un droit de créance vis-à-vis du cédant est nulle, complètement nulle.

Nous aimons à appuyer nos démonstrations d'arguments empruntés aux auteurs qui préconisent le système que nous analysons.

Voici une appréciation que donne M. HUC (t. Ier, p. 201): « Un droit ne vaut précisément que par son exercice; le » droit envisagé sous son rapport utile, c'est précisément le >> droit exercé ou exerçable: en un mot, le droit à son état » actif. Que reste-t-il après avoir détaché du droit la seule >> chose qui le rend utile? Rien. »

La translation entre parties ne confère donc aucune valeur patrimoniale au cessionnaire. Quelle peut être, en effet, la valeur d'une créance sans débiteur ?

Il n'en est pas de même de la translation de la propriété des choses corporelles entre parties, car celle-ci, au moins, procure la possession.

$ 6.

Examen du deuxième système.

La cession non signifiée n'est pas opposable aux tiers lésés; en d'autres termes, elle est dénuée d'effets vis-à-vis de ces tiers.

L'inobservation des formes de publicité ne tenant pas à la perfection du contrat ne fait point obstacle au transfert de propriété.

Le cédant est exproprié, le cessionnaire est titulaire de la créance, sauf le droit des tiers.

Les manifestations pratiques de ce système sont les sui

vantes :

I.

1. Par suite de son expropriation, le cédant n'a plus qualité pour poursuivre le débiteur (1).

(1) Le débiteur qui refuse de payer au cédant pourra-t-il faire preuve

2.- Le cessionnaire a qualité pour accepter payement de l'obligation, si le cessionnaire consent à payer entre ses mains; il peut donner valable quittance, sans préjudice du droit des tiers. Sous le bénéfice de cette réserve, il exerce toutes les prérogatives d'un créancier.

3.

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Le débiteur a le droit de payer au cédant tant que la cession ne lui est pas officiellement connue.

4. Il n'est pas obligé de le faire; le payement qu'il fait au cessionnaire est valable parce qu'il est fait au véritable

créancier.

Mais comme il n'est pas maître, en consentant l'extinction de la créance, de priver les autres tiers du bénéfice de la sanction instituée dans l'intérêt commun, il agit à ses risques et périls. Hormis le cas spécial de l'art. 1240, s'il paie, il s'expose à être traité comme s'il était encore débiteur.

5. La qualité de créancier du cessionnaire devient inattaquable par la prescription extinctive des actions que les tiers ont contre lui.

6.

La cession non signifiée est néanmoins un acte par

de la cession non signifiée, puisque la signification du transport ne peut être suppléée par la connaissance officieuse de la cession?

La sanction est établie en faveur des tiers, dans un but de protection privée ; ils sont libres de ne pas s'en prévaloir. Spécialement, le débiteur a le choix de payer au cédant, s'il estime que sa sécurité l'exige.

Mais il peut renoncer à ce bénéfice, contester la qualité du cédant et demander à faire la preuve de la cession, car il a le droit de ne payer ensuite qu'au véritable créancier. Le cédant aurait mauvaise grâce d'invoquer la disposition de l'art. 1690 qui n'a pas été établie à son intention.

Décider le contraire serait faire tourner la sanction légale contre ceux qu'elle doit protéger, car le payement au cédant imposé au débiteur, malgré sa résistance, opère extinction de la dette au détriment des autres tiers intéressés. Ce serait alors le cas d'invoquer cette sage sentence: « Nulla autem juris ratio aut æquitatis benignitas patitur, ut quæ salubriter pro utilitate hominum introducuntur, ea nos duriore interpretatione, contra ipsorum commodum producamus ad severitatem. » 25, D. de leg., 1, 3.

Ce raisonnement ne peut être étendu au système de la première sanction, car le cédant étant propriétaire de la créance vis-à-vis du débiteur, a qualité pour réclamer le payement nonobstant la cession consentie.

fait. Au point de vue fiscal, elle donne lieu à la perception des droits de mutation, sauf restitution, si le droit du cessionnaire venait à être résolu.

7. Les tiers intéressés qui entendent invoquer la clandestinité de la cession sont en droit de se comporter comme si la cession n'avait pas eu lieu.

8. La main-mise d'un tiers sur la créance cédée, fait crouler tous les actes de disposition consentis au sujet de cette créance.

La présomption de la loi est que la clandestinité de la cession est préjudiciable; la loi décrète une réparation indirecte du préjudice en faveur des tiers qui invoquent la clandestinité :

Par une attribution de la créance aux créanciers du cédant qui sont reçus à pratiquer une saisie-arrêt.

En décrétant la libération du débiteur qui a payé au cédant. Par une attribution de la créance au second cessionnaire ou par celle d'un droit de gage au créancier gagiste du cédant. Les tiers se comportent donc comme si le droit du cessionnaire était résolu et rentré dans le patrimoine du cédant.

Le cessionnaire est donc dans une position analogue à celle d'un créancier sous condition résolutoire. Tout événement qui fait évanouir la possibilité d'une signification opérée en temps utile amène sa déchéance; tel: une saisie-arrêt par les créanciers du cédant, l'extinction de la créance par le débiteur payant au cédant, la signification du transport notifiée par un autre cessionnaire ou par un créancier du cédant qui a reçu la créance en gage.

I.

$ 7.

A.

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Conclusions de cet examen.

Critique du premier système de sanction.

Il ne protège pas les tiers d'une façon irréprochable. Il est un cas, en effet, où la sanction se retourne contre les

tiers, en ce qu'elle procure au cédant le droit d'éteindre la créance, à leur préjudice.

2. Cette protection est acquise au prix du maximum de dommage pour les parties contractantes.

La perfection du contrat et son effet translatif sont suspendus ipso jure; la volonté des parties est tenue en échec, jusqu'à l'accomplissement des formes de publicité.

C'est excessif. Une mesure aussi absolue implique gratuitement la certitude d'une lésion et d'une plainte du tiers lésé.

C'est en vain que l'on voudrait représenter la translation de la propriété entre parties comme une satisfaction donnée au cessionnaire; nous savons que le contenu utile de ce soidisant transfert se réduit à rien.

3. Considéré au point de vue de la progression du droit, ce système a l'air d'avoir fait franchir un pas en avant à la théorie de la cession. C'est un trompe-l'oeil. Le principe nouveau de l'efficacité du simple consentement est sans objet; le cessionnaire sous le Code civil n'a rien de plus que le cessionnaire de l'ancien droit. Tout l'effet utile de la cession est, comme jadis, subordonné à la signification du transport.

Il serait plus exact de dire que la doctrine de la cession a fait un pas en arrière. En effet, le Code civil identifie la perfection du contrat et celle de la mutation, d'où il suit que l'aliénation participe à tous les vices du contrat.

Les acquisitions actuelles n'ont plus la même solidité que celles de l'ancien droit, circonstance qui explique la proposition des rédacteurs du projet de Code civil allemand de rétablir le contrat abstrait d'aliénation, c'est-à-dire, de rendre la convention de transfert indépendante de la convention de cession qu'elle a pour but d'exécuter.

4. Le cédant investi de la qualité de créancier vis-à-vis des tiers, donc vis-à-vis du débiteur, est fondé à poursuivre ce dernier en justice pour l'obliger à verser dans ses mains le capital de la créance déjà cédée, ce qui lui permet de faire deux fois argent de sa créance.

La loi légitime donc un stellionat ; le juge, s'il en est requis,

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