du droit de créance comporte une impossibilité d'une autre nature un cessionnaire créancier sans débiteur. Ce résultat emporte cette conséquence: La scission du droit de créance est un vain mot, le contenu économique du droit de propriété du cessionnaire à l'égard du cédant équivaut à rien, le cessionnaire n'est pas plus avancé que s'il avait une simple action personnelle. Fermons cette parenthèse et consultons l'histoire du droit français pendant les périodes franque, coutumière et révolutionnaire. Droit germanique. Il existe une doctrine d'après laquelle le droit germanique a connu la scission de la propriété. Voici dans quelles circonstances. << Dans les textes de l'époque carolingienne, on distingue, en matière d'aliénation d'immeubles, la traditio et la vestitura; la traditio désigne, dans le langage de l'époque, le contrat lui-même, vente ou donation. On n'est pas absolument d'accord sur l'effet de la vestitura: les uns veulent qu'elle ait été nécessaire pour la transmission du droit, d'autres, qu'elle ne fut requise que pour la perfection du contrat à l'égard des tiers (c'est le système qui paraît prévaloir parmi les historiens modernes du droit germanique et du droit gallofranc). En tout cas, pour l'époque des coutumiers allemands, l'ancienne investiture, devenue la cession judiciaire (Auflassung), est bien considérée comme nécessaire pour effectuer l'aliénation (1). » M. GLASSON, avec la haute autorité qui s'attache à sa profonde connaissance du droit germanique, opine sans hésiter que le droit franc ne connaissait pas le transfert de la propriété par le seul échange des consentements, ce mode d'aliénation étant propre aux législations avancées et qui ont su se dégager de tout formalisme (2). (1) SALEILLES, Essai, p. 3 et la note 2. (2) Hist. du droit et des inst. de la France, t. III, p. 134, 229. Ancien droit français. - Le professeur V. THIRY, précisant (B. J., t. XIV, p. 833) la valeur du mot tiers dans l'art. 1er de la loi hypothécaire, se trouva amené à exposer avec sa sagacité habituelle, la filiation de l'art. 26 de la loi du II brumaire an VII. Bien que la scission du transfert de la propriété lui parût être une conception anti-juridique, il crut néanmoins trouver dans l'ancien droit assez d'autorités pour se rallier à cette doctrine légitimée par ses racines historiques. Cette opinion ne paraît pas fondée. Les citations de l'auteur sont discutables. Elles sont infirmées d'ailleurs par d'autres autorités établies avec précision. La première autorité invoquée par THIRY est VOET (ad Pandectas, lib. 41, tit. Ier, no 42) : «Si quis rem immobilem ex justa causa alteri simpliciter, >> non coram lege loci solenniter, tradiderit, nullum quidem » traditione tali præjudicium suis adfert creditoribus, quo>> minus illi cum aliis debitoris rebus etiam rem immobilem >> ita traditam judicati exsequendi causa vel aliter persequan>> tur ac vendant; sed sibi omnino nocet, sic ut neque vindi>> care amplius possit ab emptore fundum ita simpliciter >> traditum; exceptione quippe rei venditæ et traditæ repulsam » passurus, neque emptorem in possessione ejus et exercendis » dominii juribus turbare possit, emptorique turbato vel >> dejecto possessio adjudicanda sit. Quod enim possessio >> coram lege loci tradenda fuerit, id ideo inductum, ne clam in >> creditorum fraudem fiat, aut fingatur alienatio, neve >> emptori secundo, prioris venditionis ac traditionis privatim > factæ ignaro, per iteratam ejusdem rei venditionem, impo»> natur; ac proinde ex ratione illa, quæ anima legis, nullum >> impedimentum est, quo minus venditor alio modo posses-»sionem in gratiam emptoris abdicet, in eumque ita transfe» rat dominium, ut non aliis, sed sibi soli, præjudicium >> faciat ». Le texte de VOET est susceptible de trois interprétations. a) La vente, suivie de tradition vulgaire, sans accomplissement des œuvres de loi, ne confère à l'acquéreur que l'action personnelle ainsi que la possession avec tous ses avantages de droit et de fait; b) Une vente semblable opère mutation de la propriété, mais sans que cette mutation puisse être opposée au préjudice des tiers. THIRY adopte la seconde version avec une variante qui la dénature complètement. Voici son opinion: c) Dans ce passage, le savant jurisconsulte dit expressément que les œuvres de loi ont été établies pour empêcher qu'on ne fraude les droits des créanciers, qu'on ne simule des aliénations, et qu'on ne trompe un second acquéreur ignorant une vente antérieure; qu'en conséquence, c'est seulement à l'égard de ces personnes, et non entre le vendeur et l'acheteur, que ces formalités sont nécessaires pour la transmission de la propriété. Il suit de là que la propriété n'est transférée qu'entre parties. Examen de ces trois solutions. C'est un principe de droit commun que l'expropriation intégrale du vende ur dépendait de la tradition, du nantissement, ou de l'accomplissement des œuvres de loi; il suit de là que la première solution, a priori, paraîtra la seule exacte; elle a aussi l'avantage d'être conforme au droit romain. La situation de l'acquéreur qui n'a pas rempli les devoirs de loi, est semblable à celle du citoyen romain qui acquiert par tradition des biens qui ne peuvent être aliénés que par l'un des modes du droit civil (1). Il jouit simplement de cette possession juridique qualifiée qu'on appelle le dominium bonitorium, institution bien connue de VOET et de POTHIER. Outre les actions possessoires, l'acquéreur romain, comme l'acheteur de VOET, peut se défendre contre les entreprises du vendeur à l'aide de l'exceptio rei vendita et tradita; il peut même prendre l'offensive et dispose d'une action réelle en cas de dépossession, c'est l'action publicienne « nec abolita usu fori », dit VOET (2), et formellement reconnue dans le droit de POTHIER (3). (1) MAYNZ, Droit romain, t. Ier, § 178. (2) Ad Pand., lib. VI, tit. II, no 11. (3) Traité du dom. de la propriété, no▪ 292 et s. Le texte de VOET est favorable à la seconde solution, sauf une réserve. Nous ne nous expliquons pas, si l'acquéreur est devenu propriétaire, pourquoi l'auteur ne lui donne pas pour sa défense l'exceptio dominii, au lieu de lui conférer l'exceptio rei venditæ et traditæ, qui n'est qu'un pis-aller et un moyen de défense moins énergique. En dépit de cette particularité, il nous semble cependant que l'intention de VOET est de décider que la vente non revêtue de la publicité officielle emporte transfert de propriété « nullum impedimentum est quominus venditor alio modo possessionem in gratiam emptoris abdicet, in eumque ita transferat dominium » (4). THIRY a donc probablement trouvé la bonne version, mais nous cherchons vainement ce qui a pu le déterminer à croire que la mutation de propriété ne s'accomplit qu'entre parties. VOET ne dit rien de semblable; il insiste sur cette idée que le transfert de propriété ne peut avoir lieu au préjudice des tiers : «< in eumque ita transferat dominium, ut non aliis, sed sibi soli præjudicium faciat ». Or, c'est bien certainement une erreur de croire que la protection des tiers ne peut être obtenue qu'en empêchant la mutation de propriété de se produire à leur égard; ce résultat peut être atteint à l'aide d'une sanction moins radicale: il suffit de décréter que la mutation, bien que parfaite, ne leur sera pas opposable, qu'ils pourront la faire rétracter ou annuler. Nous nous sommes longuement expliqué là-dessus dans la partie théorique de cet ouvrage, nous n'insistons pas. Peut-être jugera-t-on que certaine réflexion que VOET formule à la suite de son commentaire, et que THIRY a omise, confirme cette manière de voir. VOET ajoute qu'en conséquence de ce qu'il vient de dire, la nullité comminée dans l'édit de Charles-Quint du 10 mai 1529, ne regarde pas le vendeur, mais bien les tiers à qui la vente pouvait porter préjudice «< illam nullitatis comminationem ad tertios tantum pertinere ». L'idée de la vente rendue inoffensive pour les tiers (4) V. les édits dans les Plac, holland., t. Ier, p. 374, 1957; t. III, P. 1011. peut se traduire par l'expression nullité, il n'en est pas de même de celle de la rétention de la propriété vis-à-vis des tiers, laquelle ne peut être rendue que par l'expression imperfection du contrat. Cette interprétation de l'édit a le mérite d'être conforme à son texte : « Alle verkoopige, belastingen vervreemdigen en de hypotheequeringe anders gedhaen, gehouden en de geacht sullen worden als nul... » Cela veut dire : « Toutes les ventes, charges, aliénations et hypothèques autrement établies seront tenues et réputées comme nulles.. » Ce langage implique une mutation accomplie et simplement inopposable aux tiers; nous verrons d'ailleurs, infra, p. 45, l'ancienne jurisprudence française décider la même question en des termes presqu'identiques (1). Puis, il y a la citation suivante tirée de la Notice sur la Coutume du bailliage de Vermandois, par DUMOULIN : « L'art 102 de la Coutume exigeait les formalités du nantissement pour l'établissement des droits réels, notamment de l'hypothèque, et DUMOULIN explique cette disposition par la note suivante: Scilicet contra tertium, sed contra obligatum et ejus heredem manet in jure communi. » La Coutume de Vermandois dispose ce qui suit : CXVI. L'acquéreur de rente nantie et réalisée peut, si bon lui semble, poursuivre personnellement ceux qui ont institué la rente ou leurs héritiers ou bien hypothécairement le tiers détenteur. CXVII. - Et si ceux qui ont institué la dite rente ou leurs héritiers détiennent les héritages hypothéqués à la dite rente, celui auquel est due la dite rente peut conclure personnellement et hypothécairement contre eux. CXVIII. (Indivisibilité de l'hypothèque) CXIX. L'hypothèque ne se constitue par le seul consentement, mais est requis nantissement du jour auquel elle doit avoir cours et non plutôt *, de manière que si aucun a em (1) V. les édits dans les Plac. holland., t. Ier, p. 374, 1957; t. III, p. 1011. |