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chander, et ne l'octroyer que momentanément, en se faisant, pour le surplus, céder les bénéfices du droit luimême? Peut-on admettre qu'elle protége et détruise aiusi tout à la fois? Ce serait saper par sa base l'édifice social! La société protége le propriétaire du sol ou d'un meuble; elle le protége à toujours, sans exiger, à un moment donné, l'abandon du terrain ou de l'objet mobilier; elle ne demande à ces propriétaires que de contribuer, pour leur part, aux dépenses communes destinées précisément à assurer la sécurité générale de tous les droits. Qu'on soumette donc à l'impôt, sous une forme quelconque, les créateurs et les exploiteurs de propriétés intellectuelles, soit! mais qu'on ne les dépouille pas.

§ VIII.

5o, 6o et 76 OBJECTION. - Objections de la Commission parlementaire belge.

C'est pourtant là ce que font, à l'heure qu'il est, toutes les législations du monde. La nouvelle loi belge du 24 mai 1854, la plus libérale qui soit encore pour les inventeurs, repose cependant sur cette base inique et fausse. La Commission chargée d'examiner le projet de loi, Commission composée d'hommes éminents dans leur pays, évidemment animés de sentiments favorables à l'industrie et à l'esprit de découverte, a produit un. rapport rempli d'énormités économiques. Ce travail est rédigé d'ailleurs sous la préoccupation exclusive d'un système particulier, édifié et vaillamment défendu par

notre spirituel collègue au comité de la Société des inventeurs, M. Jobard, directeur du musée de l'Industrie à Bruxelles. Dans leur haine contre le monautopole (ce qui n'est guère, au demeurant, qu'un nouveau nom donné à la doctrine de la propriété intellectuelle perpétuelle), les membres de cette Commission lui adressent tous leurs arguments et toutes leurs objections; quelques-unes ne sont que la répétition plus ou moins affaiblie de celles que nous avons rapportées et combattues plus haut, quelques autres sont nouvelles, au moins dans la forme que leur a donnée le président de la Commission, M. Tielemans. Parmi ces dernières, nous allons, avant de clore cette discussion, relever les plus saillantes.

50 OBJECTION. - Danger de l'accaparement universel par l'appropriation universelle.

La Commission s'effraye d'abord (p. 657, Annales parlementaires, session de 1851-52) de l'accaparement universel de toutes les choses et forces naturelles utiles à la vie, par la voie de cette sorte d'appropriation individuelle réclamée pour les hommes qui se livrent aux travaux de l'intelligence.

« Vous ne breveterez, dit la Commission aux partisans de la propriété intellectuelle, vous ne breveterez ni le bois ni le fer, mais vous breveterez la bêche et la charrue; vous ne breveterez ni l'eau ni la vapeur, mais vous breveterez la chaudière et la locomotive; vous ne breveterez ni l'eau ni la lumière, ni le magnétisme ni l'électricité, mais vous breveterez le prisme, la lampe, la boussole et la pile de Volta. Eh! ne voyez-vous pas que c'est la même chose? Tout ce que la nature nous livre à l'état d'élément ou de principe, tout ce que l'intelligence perçoit à l'état d'idée n'attend-il pas le travail de l'homme pour devenir utile? Et ce travail at-il un autre objet que de faire des bêches et des charrues, des instruments et des machines? Et quand vous aurez breveté toutes les machines, tous les instruments, tous les procédés qui composent l'industrie; quand vous aurez dit aux inventeurs: Tout cela vous appartient, que restera-t-il aux autres? Il leur restera la liberté de battre le fer pour le plaisir de le battre.

Et d'abord laissons de côté cette hypothèse, qui consiste à supposer l'arrivée d'un moment où toutes les machines, tous les instruments, tous les procédés imaginables seront découverts; où toutes inventions nouvelles et tous perfectionnements seront devenus impossibles; quand arrivera un tel moment, la mission de l'homme paraîtra sans doute accomplie, et la vie de l'humanité parvenue à son terme; car, soyons sûrs que tant qu'elle vivra elle inventera, cherchant, après la satisfaction de mille besoins, mille besoins nouveaux à satisfaire, élargissant sans cesse le cercle de ses jouissancės matérielles et morales. La supposition finale de la commission belge est donc une chimère, et presque, osons le dire, uné puérilité.

Puis, pourquoi confondre deux ordres de faits et d'idées bien distincts? Sans doute, on peut comparer l'intelligence humaine, générale, avec la lumière, l'électricité, la chaleur et l'eau. Comme ces forces matérielles, livrées à l'homme par la nature, la faculté de penser et de comprendre nous est donnée à tous gratuitement, et ne saurait devenir la propriété d'un seul; mais il n'en est pas de même pour l'idée, l'idée déterminée, produite par l'effort de la pensée, par le travail individuel d'une certaine intelligence. Il faut bien distinguer entre les phénomènes qui sont l'œuvre exclusive et spontanée de la nature, les phénomènes non produits par l'homme, et ceux dont, au contraire, la production lui est due; les uns sont des utilités naturelles, gratuites, elles ne proviennent d'aucun travail, si ce n'est de celui de Dieu, qui nous les livre libéralement sans rien demander en échange; les autres ont leur source dans le travail humain; ce sont des services, à l'égard des hommes autres que celui qui a pris la peine et accompli l'effort; ce sont des valeurs.

Enfin, comme l'a répondu spirituellement l'auteur belge du Traité des inventions, M. Tillière, que nous avons déjà eu l'occasion de citer plusieurs fois : « Il y a une différence entre le fer, le bois, et la charrue, la bêche; entre le feu, la vapeur, l'eau, et la chaudière, la locomotive. Prêter de semblables idées au monotaupole, il faut l'avouer, c'est, à l'instar du proverbe, dire qu'il est enragé parce qu'on désire le tuer; et puisque l'absurde revêt ici la forme de la plaisanterie, nous pourrions dire, en raisonnant toutefois plus logiquement: Mais si les idées de l'inventeur ne sont rien, si elles étaient restées dans son cerveau à l'état de productions internes; si la charrue, le moulin à vent, le métier à tisser n'avaient été divulgués, où serions-nous? On ne battrait pas le fer pour le plaisir de le battre, car il aurait déjà fallu un inventeur pour trouver le marteau.>>>

60 OBJECTION. - Injustice du privilége de priorité.

La même Commission va jusqu'à s'élever contre le droit de priorité, et dit : « Si c'était la pensée qui fit le titre des inventeurs à la propriété de leurs œuvres, ce titre serait commun à tous les hommes; et puisque tel est l'ordre de la Providence que les individus se succèdent dans le temps, ceux qui viennent les derniers ne pourraient, à coup sûr, dépouiller de leurs droits ceux qui les suivent. Aussi, les partisans de la propriété intellectuelle sont-ils forcés de recourir à un autre titre pour justifier leurs prétentions, et ils invoquent la priorité. Vous serez, disent-ils, propriétaire de votre pensée, pourvu qu'un autre ne vous devance pas. Singulière logique! La priorité, qui est le fait du hasard dans la vie et la succession des êtres, devient donc une cause de proscription contre la pensée elle-même, et anéantit le droit de tous au profit d'un premier né. »

- Mais la Commission ne s'est donc pas aperçue qu'avec un pareil argument elle battait en brèche la propriété ordinaire elle-même; car, lui aussi, le propriétaire du sol, dit: Je suis propriétaire de ce champ, parce que personne ne m'a devancé dans sa prise de possession! Et cette prétention est juste. Pourquoi les inventeurs ne pourraient-ils pas tenir logiquement et légiti mement le même langage? Ne pourraient-ils pas même ajouter cette observation qu'en ce qui les concerne, la

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