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priorité est d'une application plus équitable et plus rationnelle encore peut-être que lorsqu'il s'agit des appropriants du sol; car la terre est d'une étendue limitée; après la prise de possession des premiers appropriants, il pourrait, à la rigueur, ne plus rien rester pour ceux qui viendraient après; tandis que le domaine de la propriété intellectuelle est infini, et qu'il y restera toujours des champs nouveaux à mettre en culture par les générations ultérieures. Ils pourraient faire valoir encore que la nécessité des produits de l'agriculture est la même à toutes les époques, pour les hommes de tous les temps, tandis que les produits de la pensée, toujours destinés à satisfaire des besoins nouveaux, n'éclosent, comme ceux-ci, que successivement, à des périodes différentes de la vie de l'humanité; qu'ils ne sauraient réellement naître, ou produire leurs fruits pour les inventeurs et la société qu'àcertains moments donnés de l'histoire, et que, par conséquent, ils ne pouvaient être conçus ni cultivés utilement par les hommes des générations précédentes. Il ya donc en matière de propriété intellectuelle des raisons de plus qu'en matière de propriété ordinaire pour consacrer le droit indispensable du premier travailleur, du premier occupant.

7. OBJECTION. - L'homme n'est jamais l'unique créateur d'une pensée.

Dans un ordre d'idées qui n'est pas le même que celui de la Commission belge, mais qui s'en rapproche beaucoup, M. Lestiboudois, lors de la discussion sur la loi de la propriété littéraire en France, avait déjà dit, non pas pour dénier complétement, mais seulement pour amoindrir la valeur du droit des travailleurs intellectuels :

« Une pensée ne peut devenir le patrimoine héréditaire d'un homme, parce que cet homme jamais n'en est l'unique créateur; les idées sont filles des idées; elles sont engendrées les unes par les autres. L'humanité creuse pendant des siècles; un homme donne le dernier coup de sonde, et la vérité jaillit; mais elle n'est point à lui, elle est à tous ceux qui y ont travaillé. >>>

M. Dupin, dans son rapport à la Chambre des députés; sur le projet de loi des brevets d'invention, disait aussi, le 5 juillet 1839, pour justifier la limitation de durée plus étroite pour le titre de l'inventeur que pour celui de l'écrivain : « Les découvertes faites dans les arts et métiers n'empruntent-elles pas au passé beaucoup plus de secours que les œuvres de l'écrivain?»

Enfin, M. Renouard, combattant, lui, contre l'écrivain, ajoute de son côté, dans son Traité des droits d'auteurs (vol. Ier, p. 437). «Méconnaîtra-t-il (l'auteur) que si le public a gagné à connaître l'ouvrage, l'auteur, de son côté, a gagné à avoir un public? Niera-t-il que l'écrivain le plus original est l'œuvre de son siècle et des siècles antérieurs autant, au moins, que de son propre génie; que le domaine général lui a fourni les éléments des idées par lui élaborées; qu'en les rendant à la civilisation à qui il les doit, il s'acquitte d'un devoir envers l'humanité, et paye à ses contemporains et à ses descendants une dette de reconnaissance dont il s'est chargé envers ses contemporains et ses ancêtres? »

-Non, il ne niera pas précisément tout cela; mais voici

ce que l'écrivain et l'inventeur pourront répondre à MM. Lestiboudois, Dupin et Renouard :

« L'idée est un trésor, plus ou moins riche, que le penseur met au jour, et, d'après la loi, le trésor matériel quel qu'il soit appartient à celui qui l'a trouvé. Notre législation, comme l'ancienne loi romaine, le lui attribue, et avec raison, sans se soucier de la peine des autres individus qui ont précédemment cherché sans le rencontrer, et dont les efforts égarés ont pu éviter quelques fatigues infructueuses à l'heureux inventeur. En outre, notre travail est un service rendu aux autres hommes, or, la valeur attribuée à un service est en raison directe des obstacles qui restaient à vaincre pour le rendre, et tous les obstacles précédemment annihilés par d'autres hommes ou par le temps ne comptent plus dans cette valeur; tous les résultats déjà obtenus avant l'auteur ou l'inventeur sont tombés au rang des utilités gratuites dans la communauté générale, ils constituent une richesse acquise pour toute la société; ils ne sont plus une valeur, ils sont sans prix, et, quand il s'agit d'une idée nouvelle, comme lorsqu'il s'agit d'un transport matériel, il n'y a d'évalué et de rémunéré que la peiné prise par le travailleur, que la fatigue épargnée à celui pour qui l'effort a été accompli, en un mot, que le service rendu; et le service du penseur, comme celui du commissionnaire ou du voiturier, ne vaudra pas si cher dans le cas où l'élaboration des idées précédentes avait rendu la dernière déduction facile, où le chemin était frayé, le rail de fer substitué à la route empierrée, que dans le cas contraire, où tous les obstacles matériels et moraux

DI ROMA

étaient encore à surmonter; enfin si, dans une hypothèse comme dans l'autre, l'élucidation de l'idée, la facilité du voyage ont vulgarisé le besoin et rendu plus nombreux les consommateurs du service intellectuel ou matériel, soyez persuadé que, le contrat ayant lieu librement et dans les vraies conditions économiques, l'écrivain, l'inventeur ou le messager pourront bien, au total, avoir recueilli une rémunération plus importante qu'autrefois pour la somme entière de leurs services, mais que chacun des consommateurs en particulier les aura payés un prix moindre qu'auparavant.»

$ IX.

Résumé et conclusions du livre II.

Il faut clore ce chapitre : aussi bien nous croyons y avoir passé en revue toutes les objections importantes. S'il en est resté quelques-unes en dehors, nous aurons peut-être occasion de les ressaisir et de les examiner au courant de la troisième et dernière partie de la tâche que nous nous sommes imposée; nous nous croyons donc autorisé dès à présent à résumer et conclure ainsi notre second paragraphe :

Oui, quoi qu'en aient dit des hommes éminents, bien intentionnés à coup sûr, mais fourvoyés dans les sentiers multiples et souvent obscurs de la science, oui, les pro

positions suivantes sont vraies :

UNIVERSITA

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L'auteur, l'inventeur ou l'artiste, comme tout homme, a le droit d'exercer son activité, de faire des e

ST

MPARATO

forts pour arriver à la satisfaction de ses besoins et de ceux de sa famille, de travailler et de recueillir l'utilité, les produits, les fruits, la valeur de son travail.

C'est là pour lui, comme pour tout le monde, la propriété.

Or, le résultat, le fruit, le produit de son travail, c'est une idée déterminée : cette idée est susceptible d'utilité et de valeur; tant qu'il la garde ou ne peut la garder que pour lui, qu'il ne manifeste son idée à aucun autre homme, il n'y a là qu'utilité dont jouit individuellement celui qui accomplit l'effort. Mais en tant qu'il peut livrer cette idée et du moment qu'il la livre à un autre homme pour l'échanger, il y a service possible ou rendu à cet autre homme, et, par conséquent, valeur; cette valeur appartient à celui qui l'a créée et qui a rendu, veut ou peut rendre le service.

L'idée peut, comme tout autre effort de l'homme, pour ne pas rester stérile, avoir besoin, dans certains cas, de s'exercer sur la matière, de l'emprunter, de s'y adjoindre, en un mot, de recourir au moyen accessoire de l'appropriation à nos besoins d'un objet extérieur. L'idée peut, en effet, se manifester ou par la parole, par simples signes et mouvements (comme dans l'art chorégraphique, la pantomime ou les conférences entre muets), par l'écriture, l'imprimerie, la peinture, la sculpture, l'architecture, la fabrication, etc.; alors, il y a là, outre le précédent travail intellectuel, un autre travail tout matériel, comme celui de l'appropriation d'une terre.

Ce nouveau travail peut n'être pas fait par l'individu même qui crée l'idée, il peut être exécuté par un autre

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